Chang'an, 744 après J.-C., vibrait comme un tambour prêt à éclater. Les rues étaient encombrées de lanternes multicolores, de marchands criant leurs prix et de badauds impatients de voir les illuminations nocturnes. Le quartier ouest, en particulier, était une mer d'étoffes chatoyantes, d'épices importées, et de visages qui cachaient souvent plus qu'ils ne montraient.
Dans l'ombre d'une échoppe de soie, trois hommes attendaient. Ils étaient vêtus comme des marchands, avec des manteaux de lin grossier et des turbans modestes, mais leurs gestes trahissaient une discipline rigide. Ces hommes n'étaient pas des marchands ordinaires : ils étaient des membres de l'Escouade du Loup, une unité secrète composée de survivants d'un royaume tombé en ruine. Leur mission ? Frapper là où ça faisait mal.
Le chef de l'opération, un homme à la barbe bien taillée mais au regard glacial nommé Cao Poyan, observait la foule. Il tenait un pendentif en jade entre ses doigts, le tordant avec une tension nerveuse. Autour de lui, ses hommes, surnommés les Loups de Fer, échangeaient des signaux subtils. Rien ne devait laisser deviner leur véritable objectif.
Cao Poyan connaissait chaque ruelle de ce quartier, chaque angle mort. La ville, bien qu'immense, était un terrain familier pour lui depuis sa fuite des plaines de l'ouest. Pourtant, il savait que cette fois-ci, leur mission ne tolérait aucun faux pas.
Il ajusta son manteau et s'approcha d'un étal où une vieille femme vendait des lanternes en papier rouge. En apparence, il s'agissait d'un simple marchand cherchant à négocier un bon prix, mais dans un murmure presque inaudible, il chuchota quelques mots en une langue étrangère.
Une seconde plus tard, un des "marchands" de l'équipe se détacha de la foule pour entrer dans une ruelle sombre. Il portait un panier rempli de "marchandises" — en réalité, des fusées incendiaires dissimulées sous une couche de fruits secs. Le signal était donné : l'opération commencerait dans une heure.
Cependant, tout ne se déroulait pas sans accroc. À quelques mètres, un homme, vêtu d'une cape râpée mais dont l'allure trahissait un passé militaire, observait la scène. C'était Zhang Xiao Jing, le prisonnier que Li Bi avait envoyé traquer Cao Poyan.
Sous ses sourcils froncés, Xiao Jing analysait les gestes des hommes. Il reconnut immédiatement le langage corporel des conspirateurs. Il s'approcha lentement, sa main glissant vers son poignard caché sous sa ceinture. Mais il s'arrêta net. Une ombre plus large se dessinait derrière lui.
"Tu veux mourir avant l'heure ou quoi ?", murmura une voix derrière lui. C'était Cui Qi, un agent double travaillant à la fois pour les renseignements de Li Bi et pour ses propres intérêts. Xiao Jing ne se retourna pas. Il répondit calmement :
"Je fais juste mon travail. Et toi, Cui Qi, tu fais le tien ? Ou tu joues encore à double face ?"
Cui Qi eut un sourire froid, mais ne répondit pas. Il posa une main sur l'épaule de Xiao Jing et désigna discrètement un étal de thé, où un vieillard avait fait tomber un bol. Un homme en apparence insignifiant s'agenouillait pour le ramasser, mais Xiao Jing savait que c'était une diversion.
De retour à l'échoppe de soie, Cao Poyan serra les dents. Son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas. Les rues de Chang'an étaient trop pleines de ces silhouettes immobiles qui ne semblaient pas appartenir à la foule festive. Des agents impériaux ? Des chasseurs de primes ? Il jeta un coup d'œil à un jeune garçon déguisé en colporteur qui hocha imperceptiblement la tête : le Prince Héritier avait sans doute envoyé des espions.
Mais Cao Poyan n'avait pas peur. Il ajusta son pendentif et murmura à ses hommes :
"Accélérons le plan. Dans trente minutes, peu importe la situation, on frappe."
Dans une petite taverne à proximité, Li Bi observait la scène de loin. Entouré de parchemins et de cartes, il fixait les mouvements des "marchands". À ses côtés, He Zhi Zheng, son supérieur, sirotait un thé tiède.
"Tu joues un jeu dangereux, Li Bi. Utiliser Zhang Xiao Jing, c'est comme jeter une torche dans une grange pleine de foin."
Li Bi esquissa un sourire sans joie.
"Zhang Xiao Jing est le seul qui puisse comprendre leur logique. Il pense comme eux."
Zhi Zheng haussa un sourcil.
"Et toi ? Qu'est-ce que tu veux réellement ? Le Prince Héritier ou le trône pour toi-même ?"
Li Bi ne répondit pas. Il posa sa plume et sortit en laissant la question flotter dans l'air.
De retour dans les rues, la tension était palpable. Le marchand déguisé avec ses fusées incendiaires avait disparu dans une ruelle, suivi de près par un Xiao Jing déterminé à ne pas le perdre. Pendant ce temps, Cao Poyan et son équipe s'étaient dispersés stratégiquement, leurs positions calculées pour maximiser les dégâts lors de l'attaque.
Mais un cri d'alerte soudain traversa le marché : "Stop ! Assassin !"
Zhang Xiao Jing avait été repéré. La foule se dispersa dans la panique, et l'ancien chef de la police se retrouva face à trois hommes armés de dagues courtes. Un combat s'engagea, rapide et brutal. Les corps tombèrent, mais Xiao Jing, blessé au flanc, savait qu'il avait perdu leur trace.
Dans le chaos, Li Bi arriva en personne, dissimulé sous un manteau noir. Il tira Zhang Xiao Jing hors de la ruelle et murmura :
"Je savais que tu raterais leur chef. Maintenant, tu travailles pour moi, mais écoute bien : ce n'est pas juste l'attaque que je veux empêcher. Je veux être Chancelier Suprême."
Xiao Jing resta interdit, le souffle court, tandis que Li Bi disparaissait dans la foule.
Alors que les premières lanternes s'allumaient au crépuscule, la ville de Chang'an basculait lentement vers une nuit d'incertitudes. Zhang Xiao Jing, blessé et confus, se demandait s'il était un simple pion dans une partie d'échecs bien plus vaste que ses propres ambitions.
La chasse à Cao Poyan allait commencer…