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Chapter 14 - L’Épreuve Royale

Les premiers rayons du soleil traversaient les hautes fenêtres du couloir du palais, faisant luire le marbre poli sous les bottes de Damon. Malgré la douceur de cette matinée, un frisson lui parcourait l'échine. Le roi Alastair l'avait convié à une audience privée dès l'aube, et Damon ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur ce qui l'attendait. Il avançait d'un pas mesuré, entouré de Seraphina, Rivan et Marisol. Tout autour d'eux régnait le murmure feutré des activités de la cour : courtisans drapés de soieries, gardes postés à chaque croisement, serviteurs pressés qui portaient des messages ou des plateaux garnis.

Au bout du couloir, deux grandes portes à deux battants, ornées d'aigles d'argent, se dressaient. De part et d'autre, des gardes royaux se tenaient, leurs lances à la verticale. À l'approche de Damon et de ses compagnons, l'un d'eux annonça :

— Damon Blackthorn et ses compagnons, convoqués par Sa Majesté.

Les gardes pivotèrent de façon synchronisée et poussèrent les portes, dévoilant une vaste pièce baignée de soleil. De hautes fenêtres s'ouvraient sur les jardins du palais. Le sol, recouvert de tapis moelleux, se prolongeait jusqu'à une table ronde entourée de fauteuils à dossier élevé. Près de la table, le roi Alastair l'attendait, vêtu d'une tunique et d'un pantalon plus simples que les somptueux atours qu'il portait lors de l'audience publique. Pourtant, la broderie subtile de son vêtement rappelait sans ambiguïté son rang royal.

Lorsqu'il aperçut Damon, Alastair releva les yeux des parchemins éparpillés devant lui. Il esquissa un léger sourire :

— Entrez donc, dit-il d'un ton plus décontracté que la veille en salle du trône. Refermez les portes, je vous prie.

Un intendant s'exécuta, les laissant seuls avec le roi. Deux autres personnes se trouvaient déjà dans la pièce. L'une était un chevalier en armure brillante — Damon le reconnut aussitôt : Sir Rodrik, celui avec qui il avait croisé le fer la veille. L'autre, un homme trapu vêtu d'une robe d'érudit, portait de petites lunettes sur le nez. Sans doute un clerc ou un scribe du roi.

— Bonjour, Votre Majesté, dit Damon en s'inclinant. Ses compagnons l'imitèrent.

Alastair inclina la tête.

— Asseyez-vous, s'il vous plaît, fit-il en montrant les fauteuils. Nous avons beaucoup à évoquer.

Audience privée

Damon et les autres prirent place autour de la table ronde, tandis qu'Alastair restait debout, les bras croisés. Les rayons du soleil effleuraient son visage, laissant deviner des marques de soucis que Damon n'avait pas remarquées auparavant — celles d'un souverain accablé par des responsabilités pesantes.

— Avant tout, permettez-moi à nouveau de vous féliciter pour votre performance lors du duel d'hier, reprit Alastair, son regard se posant sur Damon. Vous avez convaincu plus d'un sceptique. Même le duc Lennox a fini par admettre, à contrecœur, que vous aviez des aptitudes.

Rivan esquissa un sourire, se rappelant la mine contrariée du duc. Marisol, plus réservée, garda le silence.

— Je vous remercie, Votre Majesté, répondit Damon. Sir Rodrik est un chevalier d'exception. Je suis soulagé que tout se soit déroulé sans heurts.

Près de la fenêtre, Sir Rodrik hocha la tête en souriant poliment :

— En effet. J'espère que nous pourrons nous entraîner côte à côte — si vous choisissez cette voie.

Alastair poussa un léger soupir :

— Ce qui nous amène à la raison de cette convocation. Hier, je vous ai parlé des troubles qui secouent le royaume : bandes de guerre disséminées, rumeurs de sorcellerie pervertie, villages isolés attaqués. Mes éclaireurs font état d'une recrudescence de ces menaces.

Il se tut un instant, faisant glisser un parchemin sur la table vers Damon. Une carte grossière, marquée de croix et de symboles inquiétants, s'y étalait.

— Nous avons besoin de guerriers compétents — des gens qui n'ont pas peur d'affronter l'inconnu, poursuivit Alastair.

Damon parcourut la carte du regard. Plusieurs zones y étaient encerclées, dont certaines proches de Fallbrook et d'autres lieux où il avait déjà croisé la route de ce Gardien draconique. Un malaise grandit en lui. Le danger est plus étendu que nous le pensions.

Le roi tapota la carte.

— Je souhaite que vous serviez la couronne comme émissaire spécial, chargé d'intervenir rapidement là où mes chevaliers ne peuvent être dépêchés aisément. Vous aurez l'autonomie nécessaire pour voyager, enquêter et éliminer les menaces au fur et à mesure.

Marisol échangea un regard avec Rivan, qui haussa un sourcil. Le visage de Seraphina resta impassible, mais Damon sentait son esprit en pleine réflexion : devenir « émissaire » conférait une liberté d'action, tout en les plaçant sous l'autorité royale.

Damon prit la parole d'une voix prudente :

— Nous sommes prêts à aider, Sire. Mais nous menons aussi nos propres recherches. Nous traquons des reliques — d'origine draconique — qui pourraient alimenter ces troubles. Je ne peux négliger cette quête.

Un éclair d'intérêt traversa le regard du roi :

— Les rumeurs sur votre intérêt pour d'antiques reliques sont parvenues jusqu'à moi. Si elles existent et s'avèrent liées aux monstruosités qui émergent, vous avez d'autant plus besoin de mon aval pour les dénicher.

Le ton d'Alastair sous-entendait qu'il percevait là une convergence d'intérêts. Sans doute voyait-il comment Damon pouvait servir ses propres fins.

Il désigna alors l'homme trapu :

— Voici maître Bereth, mon principal scribe et conservateur des archives royales. Il vous aidera dans vos recherches. Notre bibliothèque renferme des documents séculaires, certains traitant des anciens cultes draconiques et de reliques mystérieuses. Si cela peut faire avancer votre quête — et assurer la sécurité du royaume — je vous ouvre ces ressources sans hésiter.

Bereth ajusta ses lunettes et s'inclina légèrement :

— Je serai ravi de collaborer, messire Damon, dit-il en insistant légèrement sur le « messire », comme pour souligner une courtoisie. Les archives pourraient contenir des éléments sur l'époque draconique…

Seraphina, qui écoutait, laissa poindre un léger intérêt dans son regard. Visiblement, elle saluait l'opportunité d'explorer cette piste pour la Couronne Cramoisie. Damon, toutefois, demeurait sur ses gardes. Avançons prudemment.

Alastair fit quelques pas, les mains jointes dans le dos :

— Toutefois, avant de formaliser notre accord, j'aimerais mettre vos capacités à l'épreuve une fois encore. Non pas un nouveau duel, mais une mission de terrain.

Sir Rodrik prit la parole :

— Le roi fait allusion aux troubles près du Bois de Sombrebranche. Les rapports font état de bêtes rôdant, de bandits… et de phénomènes impies.

Un léger silence s'installa. Damon sentit son pouls s'accélérer. Ainsi, un nouveau test s'annonçait, sans doute décisif.

— Exact, confirma Alastair en se tournant vers Damon. Si vous l'acceptez, je veux que vous meniez une expédition au Bois de Sombrebranche, pour vérifier ces rumeurs et éliminer toute menace. Sir Rodrik vous accompagnera, ainsi qu'un détachement de gardes. Montrez-moi votre valeur, et je vous nommerai officiellement Émissaire Royal, avec tout le soutien nécessaire pour continuer votre enquête sur les reliques.

Rivan s'inclina légèrement, la voix teintée d'hésitation :

— Pardonnez-moi, Sire, mais cette mission est-elle urgente ? Mon amie ici présente — Marisol — se remet encore d'une blessure.

Marisol, reconnaissante, redressa néanmoins les épaules :

— Je ne serai pas un fardeau. S'il faut partir dès l'aube, je suivrai.

Le roi leur adressa un signe de tête empreint de compréhension :

— Je vous accorde deux jours pour vous préparer, rassembler des vivres et vous reposer. Après cela, vous devez partir. Les troubles au Bois de Sombrebranche empirent, je ne peux attendre davantage. La sécurité de mes sujets prime.

Damon inspira profondément. Deux jours. Suffisants pour rassembler quelques informations, consulter les archives, puis se lancer. Il songea à l'attaque subie par Fallbrook, aux cultistes difformes… Si un péril semblable sommeille au Bois de Sombrebranche, nous devons l'endiguer.

— Nous acceptons, Votre Majesté. Nous ne vous décevrons pas, déclara-t-il, la voix ferme.

Les rouages de la politique

Quelques instants plus tard, l'audience prit fin. Le roi Alastair les congédia avec un air de satisfaction, tandis que maître Bereth promit de les retrouver plus tard dans la bibliothèque du château. Sir Rodrik, lui, s'inclina respectueusement avant de s'éloigner pour organiser la petite troupe de gardes qui accompagnerait Damon.

Quand Damon, Seraphina, Rivan et Marisol regagnèrent les couloirs, la réalité de leur nouveau rôle les frappa de plein fouet. Ils étaient mis à l'épreuve : réussir cette mission, et le roi leur offrirait un statut officiel et des ressources.

Ils atteignirent un vaste atrium, baigné de lumière sous un dôme de verre. Des mosaïques au sol, des piliers sculptés de créatures ailées. Des courtisans en conversation feutrée, drapés de costumes chamarrés.

— Je déteste l'idée de passer une sorte d'« audition » devant le roi, grommela Rivan à mi-voix, mais nous avons autant besoin de lui qu'il a besoin de nous.

Marisol hocha la tête :

— Pour voyager et chercher des indices sur les reliques, il vaut mieux avoir l'aval du roi. Sans cela, nous serions facilement catalogués comme hors-la-loi.

Seraphina laissa échapper un léger soupir pensif :

— Exact. Et si le roi nous juge utiles, nous pourrons accéder à ses archives. C'est précieux pour retrouver la Couronne avant que d'autres mains malintentionnées ne s'en emparent.

Damon, songeur, ne put réprimer la sensation de plonger dans un univers de faux-semblants et d'ambitions masquées. Mais c'était probablement la meilleure chance de protéger le royaume et de percer le mystère de la Couronne.

Alors qu'ils s'apprêtaient à quitter l'atrium, une voix connue retentit :

— Damon Blackthorn !

Le duc Lennox venait d'apparaître près d'une statue ornée. Son pourpoint bordeaux et son port altier le distinguaient. Son expression oscillait entre curiosité polie et condescendance.

— Duc Lennox, salua Damon en inclinant poliment la tête.

Le duc s'avança, jetant un bref regard à Seraphina et aux autres.

— On m'a dit que le roi vous envoie enquêter sur ces sinistres rumeurs du Bois de Sombrebranche, fit-il, sa voix résonnant dans l'espace. C'est une responsabilité non négligeable.

Damon resta impassible :

— Nous en sommes conscients, Monseigneur.

Le noble jaugea encore un instant l'absence d'armoiries sur la tunique de Damon :

— Peut-être est-ce préférable, oui. Les chevaliers de Sa Majesté ont déjà fort à faire. Si vos prouesses sont à la hauteur des bruits qui courent, vous épargnerez un précieux temps aux forces royales.

On sentait le défi sous-jacent dans ses propos, comme s'il soupçonnait Damon de n'être pas à la hauteur. Seraphina se raidit légèrement, mais Damon effleura son bras pour la calmer.

— Nous ferons de notre mieux pour satisfaire vos attentes, Monseigneur, répondit-il d'un ton neutre.

Le duc esquissa un sourire sans chaleur :

— Soit. Cependant, sachez-le : le Bois de Sombrebranche jouxte d'anciennes terres, autrefois affiliées à des familles rivales. Certains seigneurs pourraient fomenter des troubles pour affaiblir le roi. Méfiez-vous. Tous les ennemis ne se présentent pas sous l'apparence de monstres.

Et sans attendre de réponse, il tourna les talons et s'en alla, laissant Damon et ses amis digérer l'avertissement voilé.

Marisol réprima un rire amer :

— On ne peut pas dire qu'il fasse dans la délicatesse, hein ?

Le front de Seraphina restait plissé :

— Il pointe du doigt les marécages politiques. Ne l'oublions pas. Les menaces ne viennent pas seulement des créatures…

Rivan, le regard circulant dans la foule, soupira :

— Retrouvons maître Bereth à la bibliothèque au plus vite. Toute information sur le Bois de Sombrebranche ou les reliques draconiques nous sera utile.

En silence, ils poursuivirent leur chemin. L'architecture fastueuse du palais se déroulait devant eux. Damon percevait des tensions dans l'air. Entre la bienveillance apparente du roi, les nobles aux intentions troubles et le spectre de la Couronne Cramoisie, les deux jours à venir s'annonçaient décisifs.

Aux archives

Plus tard dans l'après-midi, maître Bereth les conduisit dans l'aile la plus ancienne du château, où se trouvait une immense bibliothèque. D'interminables rangées de livres grimpaient jusqu'à une voûte, chaque étagère chargée de volumes épais et de parchemins enroulés. À travers des vitraux colorés, la lumière donnait à la pièce une ambiance solennelle.

Les bras chargés de plusieurs ouvrages, Bereth les guida vers un recoin isolé où s'entassaient quelques ouvrages rares. La poussière voletait dans les rayons de soleil.

— Voilà certains de nos plus vieux grimoires sur les légendes draconiques et les activités de cultes, expliqua Bereth en tapotant les reliures de cuir. Puissent-ils vous éclairer.

Seraphina ne perdit pas un instant et ouvrit un volume intitulé Chroniques des Guerres de Dragons. Damon, de son côté, s'empara des Annales des Reliques Arcaniques, un ouvrage abîmé. Rivan et Marisol examinèrent des rouleaux, cherchant toute mention du « Bois de Sombrebranche » ou de créatures impies.

Les heures passèrent sans révélation majeure. Les senteurs de vieux parchemin et d'encre emplissaient l'air. Parfois, Seraphina notait un passage intéressant, invitant Damon à venir lire. Bereth tentait de les guider, mais beaucoup de ces textes étaient incomplètement préservés.

Finalement, Marisol soupira, son épaule la faisant encore souffrir :

— Je commence à croire qu'on n'y trouvera rien sur un culte récent. Tout est trop ancien.

Rivan approuva :

— On a au moins appris que la région du Bois de Sombrebranche compte de vieux tertres funéraires. Il s'y cache peut-être quelque chose.

Damon feuilleta encore quelques pages des Annales des Reliques Arcaniques. L'une mentionnait un « Diadème Rubis » censé permettre de communiquer avec de petits drakes, d'origine incertaine. Rien de clairement lié à la Couronne Cramoisie, hélas.

Il referma l'ouvrage avec frustration. Tant de reliques, si peu de certitudes. Seraphina reposa les Chroniques des Guerres de Dragons et massa ses tempes :

— Nous en apprendrons peut-être davantage sur place. Les livres n'aideront qu'en partie. À moins de tomber sur une référence explicite à la Couronne, il faudra enquêter nous-mêmes.

Bereth s'excusa pour la pauvreté des archives, promettant de continuer à fouiller les sections les plus obscures. Au crépuscule, ils quittèrent la bibliothèque, partagés entre reconnaissance et déception. Damon conservait tout de même quelques notes sur d'éventuels sites — anciens temples, cryptes oubliées — situés près du Bois de Sombrebranche.

Préparatifs de départ

À la tombée du jour, revenus à leurs appartements, ils trouvèrent dans leur salon un repas laissé au chaud — du pain, du fromage, un ragoût encore fumant. Damon et Rivan mangèrent avec appétit, tandis que Seraphina et Marisol discutaient à voix basse de stratégie.

— Il nous reste deux jours, rappela Seraphina. Profitons-en au mieux : repos, achat d'équipement, recueil des derniers renseignements. On ignore encore sur quoi on va tomber — sectes, bandits, ou pire. Avec la bannière du roi, nous aurons un petit contingent et les compétences de Sir Rodrik.

Marisol fit une grimace quand sa blessure la relança :

— Je ferai plus office de stratège que de combattante de première ligne, mais je ne vous ralentirai pas.

Rivan lui tapota l'épaule avec douceur :

— Tu nous as déjà sauvé la mise plus d'une fois. Nous saurons nous adapter.

Damon sentit un élan de gratitude pour ses compagnons. Au cœur de toutes ces incertitudes, leur cohésion restait un roc. Et il pressentait qu'ils en auraient bien besoin.

Il se tourna vers Seraphina :

— Une fois partis pour le Bois de Sombrebranche, nous ne reviendrons sans doute pas avant des semaines. Ne ratons-nous pas l'opportunité de trouver ton contact chez les Gardiens ?

Une lueur de conflit traversa son regard :

— J'essaierai de sonder la cour discrètement dès demain. Avec un peu de chance, je le localiserai. Sinon, nous misons sur le soutien du roi, en attendant que mon contact se manifeste.

Un silence pesant s'installa. Toutes les révélations du jour — l'offre d'Alastair, les mises en garde de Lennox, les maigres découvertes dans les archives — tourbillonnaient dans l'esprit de Damon. Il se leva et s'approcha de la fenêtre, contemplant la skyline de Silverhold sous le ciel étoilé. Une détermination sourde pulsa en lui : Je ne laisserai pas le royaume sombrer, que ce soit par la magie draconique ou une autre menace. Si la Couronne m'a choisi, je ferai en sorte que son pouvoir protège plutôt qu'il ne détruise.

Après s'être imprégné de cet élan de volonté, Damon quitta enfin la fenêtre, décidé à prendre du repos. À l'aube, une nouvelle journée débuterait, faite de tractations à la cour, de préparatifs pour la mission et, bientôt, d'un départ vers les confins les plus sombres du royaume. Une seule certitude : qu'il fût allié ou simple pion, Damon tracerait sa propre voie — et, si le destin l'exigeait, celle de tout Elandris.