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Chapter 12 - Arrivée à Silverhold

Le ciel de l'aube s'étirait, limpide, pendant que Damon ajustait les sangles de sa monture prêtée. La cour de l'auberge grouillait d'activité : les soldats de la capitaine Marielle s'affairaient avec une efficacité méthodique, vérifiant les étriers, distribuant de nouvelles rations et s'assurant que chaque cheval fût apte à reprendre la route. La poussière virevoltait sous les sabots, et une légère odeur de foin et de cuir flottait dans l'air.

Pour Damon, la scène avait quelque chose d'irréel : se retrouver ainsi parmi des escortes royales, comme si sa place était naturellement la leur. À peine quelques semaines plus tôt, il n'était qu'un orphelin inconnu, simple bretteur de Fallbrook. À présent, il était l'invité convoqué par le roi Alastair en personne, voyageant sous la protection de la couronne. Une angoisse latente le traversa. Et si je ne suis pas à la hauteur ? songea-t-il, repensant à la prophétie dont Seraphina lui avait parlé. Et si j'échoue ?

Seraphina s'approcha, sa longue tresse auburn effleurant sa cape. Elle hocha la tête vers lui d'un air mesuré.

— Prêt à partir ?

Damon souffla, tirant sur la dernière sangle.

— Autant qu'on peut l'être. Allons-y.

Elle leva un sourcil, comme si elle percevait son trouble. Mais avant qu'elle ne puisse dire un mot, la capitaine Marielle intervint, le demi-heaume brillant au soleil naissant.

— En selle, ordonna-t-elle d'une voix concise. Nous filons vers Silverhold. Le roi attend notre arrivée avant la tombée du jour.

Ses troupes se mirent en action. Rivan et Marisol se joignirent à eux, l'air las, mais résolu. Le bras de Marisol restait soutenu dans une écharpe, mais elle guidait néanmoins sa jument d'une seule main, refusant toute assistance. Rivan prit place non loin de Damon, le regard attentif à la moindre menace.

En quelques minutes, le groupe partit au petit galop, laissant derrière lui l'auberge en bord de route. Au fur et à mesure que la matinée avançait, le paysage se transforma, passant des champs vallonnés à des zones plus peuplées. Des chaumières parsemaient le bord de la route, et les voyageurs à pied se faisaient plus nombreux. Certains portaient des paniers de légumes, d'autres menaient des chariots tirés par des bœufs ou des ânes. Tous s'écartaient en voyant la bannière du roi, mêlant respect et curiosité dans leurs regards.

Vers midi, la route s'élargit et rejoignit une artère dallée. Les chariots de marchands étaient plus fréquents, chargés de grains, de légumes ou d'objets artisanaux. Damon sentit une excitation diffuse gagner les voyageurs se dirigeant à l'est. Des bribes de conversation évoquaient « la capitale », « une proclamation royale » et « le nouveau décret du roi ». Il croisa le regard de Rivan, qui fronça les sourcils avec la même perplexité.

— Vous savez ce dont ils parlent ? demanda Damon en pressant légèrement sa monture pour se rapprocher de Marielle.

Elle haussa les épaules, répondant d'un ton mesuré :

— Les rumeurs vont bon train. Le royaume fait face à des troubles sur plusieurs fronts : bandits, créatures monstrueuses, tensions avec des fiefs rivaux. Le roi multiplie les ordres pour fortifier certaines régions. On dirait que la nouvelle s'est répandue.

Damon acquiesça. Le chaos gagnait manifestement l'ensemble du pays, et le souvenir des raiders difformes, ainsi que du Gardien à demi éveillé, lui revint en mémoire comme un sinistre présage. Si le roi resserrait son emprise sur le royaume, Damon s'apprêtait à entrer dans une cour peut-être au bord de l'explosion.

En fin d'après-midi, l'horizon se dévoila soudain : Silverhold, une vaste métropole ceinte de hauts remparts blancs qui luisaient sous la lumière déclinante. Damon en eut presque le souffle coupé devant l'ampleur de la cité. Des tourelles et des clochers émergeaient des toits, coiffés de bannières arborant l'aigle argenté. Plus loin, le château, perché sur un éperon rocheux qui dominait la ville, dressait fièrement ses remparts où scintillait un léger halo magique, témoin de l'héritage ensorcelé du royaume.

Les abords de la ville grouillaient de vie. De longues files de chariots attendaient devant les énormes portes, tandis que des gardes en armure vérifiaient les voyageurs. Au-dessus, des tours de guet perçaient le ciel. Même à distance, Damon percevait le brouhaha de milliers de voix, l'orchestre de la capitale en pleine effervescence.

La capitaine Marielle dévia aussitôt vers une entrée secondaire, lourdement gardée, réservée aux usages officiels. Les regards des passants se faisaient insistants, certains intrigués, d'autres méfiants, à la vue du cortège portant la bannière royale. Damon éprouva une pointe de gêne. Que pensent-ils, en nous voyant ainsi escortés ?

Les sentinelles postées à la porte reconnurent la bannière de Marielle aussitôt. Elles se mirent au garde-à-vous et levèrent la herse, permettant au groupe de pénétrer sans attendre. Les sens de Damon vacillèrent. À l'intérieur des murs, des rues pavées se croisaient entre de hauts bâtiments de pierre dont les étages semblaient presque se toucher. Derrière des vitrines à volets coulissants, des étals de boutiques exposaient leurs marchandises. Des lanternes pendaient à des crochets de fer, prêtes à illuminer la nuit à venir. Des odeurs de pain chaud, de viande rôtie et d'épices fortes flottaient dans l'air, tandis que les marchands hélaient la clientèle. Les habitants s'écartaient, saluant ou s'inclinant sur le passage des soldats, tandis que des enfants cessaient leurs jeux, bouche bée, pour observer les nouveaux venus.

Damon jetait des coups d'œil rapides de droite à gauche. Il avait déjà rêvé de Silverhold, mais la réalité surpassait toutes ses idées. Même Seraphina, pourtant habituée aux voyages, paraissait impressionnée par l'agitation ambiante. Rivan et Marisol, eux, conservaient un air prudent — la ville était peut-être plus sûre que la campagne sauvage, mais elle recélait bien d'autres périls : voleurs, mendiants, ou seigneurs trop rusés.

Guidé par Marielle, le groupe grimpa peu à peu dans un quartier aux avenues plus spacieuses et à l'architecture plus somptueuse. Des demeures de pierre pâle se dressaient de chaque côté, ornées de balcons raffinés et de portiques sculptés. Des gardes en uniforme patrouillaient, saluant leur capitaine au passage. Ici, le tumulte de la ville basse laissait place à un calme presque solennel, rythmé par les fontaines scintillantes et les jardins bien taillés.

Enfin, ils arrivèrent devant une lourde grille de fer donnant sur un enclos fortifié. Derrière, s'étendait le complexe du château : un ensemble de cours, de tours et d'immenses salles, bâties d'un marbre blanc étincelant. Si la cité paraissait imposante, le château l'était davantage encore, irradiant la puissance royale. Des soldats en armure impeccable se tenaient au garde-à-vous, l'aigle argenté brodé sur leurs tabards, tandis que des flammes dansaient sur des torches, projetant leurs lueurs sur la pierre.

Un frisson parcourut Damon. Je suis vraiment ici, au cœur du royaume. Il prit une inspiration, se souvenant de la mise en garde de Seraphina : Les intrigues de cour peuvent être plus meurtrières que le champ de bataille.

Marielle mit pied à terre, imitée par sa troupe. Des palefreniers se précipitèrent pour prendre soin des chevaux.

— Nous vous escorterons à l'intérieur, annonça la capitaine. Le roi vous a réservé des appartements, mais je suppose que vous voudrez vous laver et manger avant toute audience officielle.

Rivan poussa un discret soupir de satisfaction.

— Ça ne serait pas de refus. On a vécu un voyage éprouvant.

Marisol descendit avec précaution, grimaçant quand son bras blessé fut secoué.

— Un bain chaud, voilà qui me changera la vie, lâcha-t-elle, laissant retomber un instant son masque stoïque pour laisser transparaître sa fatigue.

Seraphina, les sourcils froncés, hocha simplement la tête.

— Merci, capitaine. Nous apprécions l'hospitalité, dit-elle, mais son attitude trahissait une vigilance inentamée.

Damon, quant à lui, s'attarda près de la grande porte du château. Au-dessus, des gargouilles sculptées surplombaient les corniches, gueules béantes, comme figées dans leur sentinelle silencieuse. Plus loin, deux énormes vantaux de chêne et de fer, ornés de motifs en filigrane, s'entrouvraient. Des torches disposées dans des appliques dorées éclairaient le sol de marbre. Ce n'est pas qu'une forteresse, c'est le symbole même de la puissance du roi, songea-t-il.

Le groupe traversa de larges couloirs ornés de tapisseries retraçant des batailles épiques et des exploits héroïques. Les yeux de Damon furent attirés par des motifs draconiques tissés dans la laine — d'antiques dragons affrontant des chevaliers, et, sur une tapisserie, une figure majestueuse brandissant une couronne incrustée de joyaux. Se pourrait-il qu'ils évoquent la Couronne Cramoisie ? Ou est-ce seulement l'illustration du pouvoir royal ?

Ils s'arrêtèrent finalement devant un ensemble de chambres, gardées par deux chevaliers en armure rutilante. À l'intérieur, Damon découvrit un salon luxueux, garni de fauteuils moelleux et d'une table basse chargée de fruits frais, tandis que de hautes fenêtres drapées de soie donnaient sur l'extérieur. D'autres portes menaient à des chambres attenantes, chacune avec une salle de bain. Damon n'avait jamais vu un tel raffinement, et un malaise lui tordit le ventre. Je n'ai pas ma place ici.

Marielle se posta près de la porte, droite comme un i.

— Ces appartements vous sont réservés pour la durée de votre séjour. Un intendant passera bientôt avec d'autres instructions. Le roi ne vous fera sans doute convoquer que demain. Elle sembla s'adoucir un peu. Reposez-vous. Les affaires de Sa Majesté peuvent bien attendre une nuit.

Sans plus de cérémonie, elle et ses hommes quittèrent la pièce. La porte se referma dans un claquement qui résonna, donnant à Damon l'impression d'un verrou scellé.

Rivan siffla, passant la main sur le velours d'un fauteuil.

— Je n'ai jamais dormi dans un endroit aussi luxueux.

Marisol, les yeux mi-clos, se laissa tomber sur un banc capitonné.

— Profitons-en tant que ça dure, grommela-t-elle. La vie à la cour n'est pas toujours confortable. Elle bougea son bras en écharpe, réprimant un grognement de douleur.

Seraphina parcourut la pièce du regard, observant chaque rideau somptueux, chaque applique dorée.

— Somptueux, en effet. Mais restons sur nos gardes. L'opulence sert souvent de masque aux machinations.

Damon s'approcha d'une fenêtre haute, soulevant discrètement le rideau. En bas, la ville étalait ses lumières — des rues parsemées de lanternes, des silhouettes s'agitant comme de petits points. Au loin, le rempart de Silverhold se distinguait sous le clair de lune. En une seule journée, je suis passé des routes poussiéreuses à une suite royale. Le contraste lui parut brutal.

Il serra le poing, se remémorant le serment qu'il avait fait après l'attaque de Fallbrook. Je me suis juré de défendre les innocents. Me laisserai-je manipuler par tous ces titres et cette pompe ?

Un léger coup retentit, et la porte s'ouvrit sur un intendant aux cheveux grisonnants, vêtu d'une livrée impeccable. Il s'inclina.

— Sa Majesté vous souhaite la bienvenue et espère que vous trouverez satisfaction dans ces chambres. Un repas a été préparé pour vous dans votre salle à manger privée, si vous désirez vous restaurer. De plus, des bains vous attendent dans les pièces adjacentes.

Rivan prit la parole :

— Nous vous remercions. Nous avons effectivement bien besoin de nous décrasser.

L'intendant acquiesça avec grâce.

— Bien sûr. Si vous avez la moindre requête, n'hésitez pas à faire sonner la clochette près de la cheminée.

Il se retira, laissant Damon et les autres seuls.

— Une salle à manger privée, répéta Damon, presque incrédule. Ils ne lésinent pas sur l'accueil.

— Le luxe a souvent un prix, fit remarquer Seraphina d'un ton calme. Elle esquissa un sourire fugitif, mais son regard demeurait préoccupé. Pour l'instant, profitons-en. Nous aurons besoin de toute notre énergie avant d'affronter le roi.

Tous opinèrent. Marisol alla prendre un bain en premier, s'éclipsant derrière une porte dérobée vers une salle où de la vapeur s'échappait déjà. Rivan la rejoignit peu après, pressé d'ôter la crasse du voyage. Seraphina demeura, notant les gestes nerveux de Damon près de la fenêtre.

Il sentit son regard et se tourna, expirant longuement.

— Je ne suis pas à l'aise, avoua-t-il. Toute cette opulence, et… toutes ces intrigues potentielles. Quand j'ai quitté Fallbrook, je n'aurais jamais imaginé me tenir devant le roi.

Seraphina s'approcha, sa voix apaisante :

— Moi non plus. Mais nous ferons face. N'oublie pas notre objectif : il se peut qu'un Gardien se cache dans ce palais ou en ville. Nous le trouverons. Et si le roi Alastair détient des informations sur la Couronne, cela nous orientera.

Damon hocha la tête, trouvant un peu de réconfort dans ses mots. Au moins ne suis-je pas seul. Même au milieu des tensions de la cour royale, il pouvait compter sur des alliés, tous prêts à l'aider après avoir combattu des horreurs innommables que la plupart ne pouvaient même imaginer.

Plus tard dans la soirée, ils se retrouvèrent dans la salle à manger privée. Une petite fête les y attendait : poulet rôti, légumes mijotés, pain tiède et une sélection de pâtisseries sucrées. Des carafes de vin scintillaient sous la lumière des chandeliers. Damon, bien que tenaillé par la faim, peinait à se sentir pleinement détendu. Chaque bouchée laissait un arrière-goût de prudence, chaque gorgée lui rappelait qu'ils étaient conviés, et non libres.

La conversation resta modérée. Marisol lâcha quelques plaisanteries, arrachant un sourire à Rivan. Seraphina picora ses aliments, l'esprit visiblement ailleurs. Un intendant, posté près de la porte, laissa entendre que le Maître de Cérémonies du roi viendrait le lendemain pour planifier l'audience.

— Sa Majesté est très impatient de vous rencontrer, messire Blackthorn, dit poliment l'intendant. Vos exploits récents font grand bruit parmi la noblesse.

Damon faillit s'étouffer avec un morceau de pain au mot « messire ». Il n'avait ni titre ni adoubement. Mais il ravala sa gêne et hocha la tête, essayant de rester neutre.

— Je… remercie le roi pour son hospitalité.

L'intendant esquissa un mince sourire, peu troublé par le malaise de Damon.

— C'est un honneur pour la couronne. Reposez-vous et profitez de ce repas.

Lorsque enfin ils regagnèrent leurs chambres, Damon se mit à arpenter la pièce luxueuse — lit à baldaquin, rideaux de soie, boiseries délicates. Il ôta ses bottes, posant son épée à portée de main. L'étrange décalage entre son existence d'orphelin et ce faste royal lui nouait l'estomac. Demain, je me tiendrai devant le roi Alastair, l'homme qui gouverne le royaume tout entier.

Un rai de lune traversait la fenêtre, dessinant une traînée argentée sur le parquet ciré. Damon se souvint des avertissements de son maître Grogan à Fallbrook : Prends garde aux nobles rusés. Un roi pouvait se révéler un allié précieux ou un adversaire redoutable.

Il s'assit sur le lit, les épaules crispées. Concentre-toi sur l'essentiel, se dit-il. Ne te laisse pas distraire par les titres ou le décor. Sois fidèle à ton serment de protéger les innocents. La petite flamme au creux de sa poitrine — vestige de son contact avec la relique draconique — demeurait présente, comme en sommeil, prête à se rallumer si le besoin s'en faisait sentir.

Au bout de longues minutes, il ferma les yeux et s'efforça de trouver le sommeil. Il avait survécu à des cultes sanguinaires et à des créatures monstrueuses ; il ferait face à un roi, si imposant fût-il. Pourtant, un léger sentiment d'incertitude persistait. Les couloirs du château pouvaient dissimuler autant de menaces que n'importe quel dédale souterrain. Comme les secrets enfouis dans les profondeurs de la terre, ce palais pouvait recéler des ambitions prêtes à l'engloutir.

Le lendemain apporterait sa réponse : audience royale, rencontre avec Alastair, et peut-être la révélation du rôle que Damon jouerait dans ce royaume ébranlé. Quant à sa connexion naissante avec la Couronne Cramoisie, elle resterait un atout secret ou un outil que le trône tenterait de s'approprier. Dans le silence de la nuit, Damon pria pour trouver la force d'emprunter ce sentier délicat sans se corrompre. Puis il sombra dans un sommeil troublé, hanté d'un dragon couronné, dont les yeux rougeoyaient d'autant d'avertissements que de promesses.