Un craquement terrible résonna dans la caverne, projetant des éclats de roche depuis le plafond. Le cœur de Damon battait à tout rompre tandis que la statue sur l'autel se disloquait, révélant sous sa carapace de pierre une forme draconique qui s'animait. Des runes écarlates luisaient à la surface des écailles, comme si elles avaient été gravées par une lave en fusion. Un rugissement d'outre-monde fendit l'obscurité, résonnant dans les os de Damon et faisant trembler les villageois libérés, lesquels se recroquevillaient derrière lui.
— Reculez ! cria-t-il pour couvrir le vacarme assourdissant, agitant la main en direction des otages terrorisés. Ses compagnons — Seraphina, Rivan et Marisol — s'éparpillèrent en arc défensif. Armes brandies, ils formaient une barrière entre le Gardien monstrueux et le groupe de villageois tremblants.
D'autres pans de roche se détachèrent des ailes de la créature, qui s'étirèrent dans un nuage de poussière et de gravats. Elle n'avait pas l'envergure d'un dragon adulte, mais dominait largement la taille d'un homme, ses membres musclés évoquant un fauve. Son visage rappelait celui d'une bête draconique : un museau allongé, plusieurs rangées de crocs acérés et des yeux fendus qui brillaient comme des braises. À chaque souffle grondant, des filaments de lumière rouge glissaient sur ses écailles, témoignant de la magie antique qui se réveillait après des siècles de sommeil.
La voix de Seraphina perça la frayeur de Damon.
— On doit partir, vite ! Trop dangereux de se battre ici — on risque de provoquer l'effondrement de la caverne.
Rivan et Marisol acquiescèrent, le visage sombre. Mais le Gardien, devinant leur tentative de fuite, dévoila ses crocs dans un sifflement menaçant. Des flammes dansaient au fond de sa gueule, comme sur le point d'éclater en un souffle draconique.
Damon déglutit, se souvenant de l'énergie qui l'avait submergé dans la crypte — comme si les runes avaient répondu à quelque chose en lui. Pourrait-il de nouveau exploiter cette force ? Il n'en avait aucune certitude. Mais il savait qu'ils ne pouvaient rester prisonniers de cette chambre souterraine, sous peine d'être déchiquetés avant même d'évacuer les otages.
— Rivan, Marisol — occupez-le ! hurla Damon en s'avançant. Seraphina et moi allons emmener les villageois !
Sans hésiter, Rivan leva sa lance, Marisol son épée. D'un même élan, ils foncèrent sur un flanc de la caverne, harcelant le monstre d'esquives et de cris. Le Gardien rugit, balayant l'air de son membre avant et projetant des éclats de roche. Profitant de cette diversion, Damon et Seraphina poussèrent les otages vers l'entrée du tunnel. Certains, pétrifiés, refusaient de bouger, contraignant Damon à presque les traîner.
— Avancez, avancez ! pressait Seraphina, ses yeux rivés sur la créature qui s'agitait et sur le mince passage menant hors de la salle. D'épais piliers de stalagmites et de larges fissures dans le plafond menaçaient à tout moment de se refermer.
Derrière eux, le Gardien poussa un grondement encore plus violent. Une chaleur brûlante effleura la joue de Damon lorsque la créature libéra un souffle enflammé. Rivan, de justesse, se jeta derrière une colonne rocheuse, ses cheveux crépitant sous l'effet de la flamme. Marisol hurla pour prévenir d'un autre coup de patte qui fit pleuvoir des débris du plafond. Toute la caverne se mit à gémir sous la contrainte.
— Allez, Damon ! cria Rivan entre deux respirations, brandissant sa lance pour détourner l'attention du monstre. Nous, on le retient !
La poitrine de Damon se noua. Il détestait abandonner ses amis, mais n'avait pas le choix — des dizaines de vies dépendaient de leur fuite. Il agrippa le bras d'un villageois blessé et avança, suivant la voie ouverte par Seraphina.
Le couloir s'enfonçait dans la roche en un coude abrupt. Partout, des lézardes barraient les parois, prêtes à s'effondrer. Les villageois trébuchaient dans l'obscurité, certains sanglotaient, d'autres demeuraient hébétés. Seraphina passa sa lanterne à Damon puis s'empressa de devancer le groupe pour repérer le chemin.
— Par ici ! cria-t-elle, sa voix résonnant dans le passage étroit.
Un grondement sourd retentit derrière eux — le Gardien, ou peut-être l'écroulement d'un segment de la caverne. Rivan et Marisol ne tiendront pas longtemps, réalisa Damon avec angoisse. Il faut trouver un passage sûr, puis revenir si possible.
Ils débouchèrent enfin dans un tunnel plus large, faiblement éclairé par des lueurs vacillantes provenant des profondeurs. Damon sentit son soulagement s'évanouir aussitôt : nul signe de sortie immédiate. Seules de multiples galeries brutes, sans réelle indication de direction. Il se tourna vers Seraphina, la gorge sèche.
— Quel chemin ?
Elle se mordit la lèvre, examinant les ténèbres.
— Il faut monter. La surface est au-dessus de nous. Prenons la galerie qui s'élève le plus.
Poussant les villageois, ils s'engouffrèrent dans le couloir de gauche, incliné vers le haut. L'air y était plus épais, chaque respiration devenant un effort. Damon n'entendait plus que les halètements affolés et ses propres battements de cœur. Pourtant, un rugissement les rattrapait, preuve que le Gardien était toujours actif. L'urgence leur pesait comme un poids physique.
Dans la caverne principale, Rivan glissa sur un éboulis, luttant pour garder l'équilibre. Les griffes du Gardien venaient de pulvériser le pilier qui lui servait d'abri. Marisol, ses jointures blanchies sur la poignée de son arme, cherchait la moindre faille chez le monstre.
— Cette bête est invincible ! pesta-t-elle en frappant le flanc écailleux. La lame ricocha, ne laissant qu'un léger sillon. Le Gardien claqua des mâchoires à une vitesse hallucinante, et Marisol ne dut sa survie qu'à un bond en arrière.
Rivan, de son côté, tenta un assaut sur le ventre du Gardien, la lance pointée. Le coup érafla la créature, laissant filer un filet d'ichor sombre. Le Gardien, furieux, fouetta l'air de sa queue, heurtant Rivan à la poitrine et l'envoyant s'écraser contre la paroi.
Le sang de Marisol se glaça. C'est de la folie. Eux deux n'avaient aucune chance contre cette entité investie d'une magie ancienne ; plus ils s'attardaient, plus ils risquaient de mourir dans un effondrement.
— Rivan ! hurla-t-elle. On doit se replier !
Le garde, titubant, s'essuya la bouche pleine de sang.
— Je sais, haleta-t-il. Mais Damon et Seraphina doivent gagner du temps pour sortir les gens.
De nouvelles secousses ébranlèrent la caverne, faisant osciller des stalactites. Un nuage de poussière tourbillonna, réduisant la visibilité. Le Gardien avança, le regard rouge de rage. Sa poitrine se gonfla, des flammèches suintant à l'angle de ses babines. D'un seul élan, il cracha un torrent de feu qui balaya le centre de la grotte. Rivan et Marisol plongèrent derrière un amas de roches, échappant de peu au brasier.
Apeurée mais résolue, Marisol jeta un regard vers la paroi. Elle distingua une fissure — un éventuel passage pour fuir. Mais la créature bloquait l'accès direct. Elle se tourna vers Rivan.
— On l'attire de l'autre côté, puis on s'y faufile. Si on parvient à faire s'écrouler l'entrée derrière nous, on l'enfermera peut-être.
Rivan hocha la tête, à bout de souffle.
— Tentons le coup.
Rassemblant leur courage, ils émergèrent à découvert pour détourner l'attention du Gardien. Celui-ci, enragé, bondit pour les pourchasser. Ils se jetèrent alors de côté, sprintant vers la faille au moment où le monstre s'apercevait de la feinte. Un rugissement tonitruant secoua la salle. D'un ultime effort, ils s'engouffrèrent dans la crevasse tandis qu'un éboulement s'abattait derrière eux, projetant une pluie de roches et de poussière brûlante. La gorge irritée, ils toussèrent dans l'obscurité.
Pendant ce temps, Damon et Seraphina continuaient de guider les otages à travers les couloirs tortueux. Et si nous tombons sur un cul-de-sac ? La peur le rongeait. L'air était vicié, chaque inspiration un supplice.
Heureusement, le tunnel s'accentua davantage. Au bout d'un moment, ils aperçurent une lueur blafarde : le clair de lune qui perçait par une brèche dans la roche. Un frisson d'allégresse parcourut Damon.
— On y est presque !
Il s'extirpa le premier, débouchant sur un rebord rocheux surplombant des collines escarpées. Le ciel nocturne s'étirait à l'infini, piqueté d'étoiles. L'air frais le saisit, tranchant net avec l'atmosphère suffocante des galeries. Seraphina le suivit, aidant un à un les villageois hagards à sortir. Certains s'écroulèrent à plat ventre, sanglotant de soulagement.
— Grâce aux dieux, souffla Seraphina, examinant les alentours. Le rebord dominait une pente raide jonchée de pierres branlantes, conduisant à une forêt clairsemée. Des falaises se dressaient derrière eux, formant une enceinte naturelle autour de l'ouverture de la grotte.
Damon se tourna vers elle, le souffle court.
— Il faut trouver Rivan et Marisol — s'ils ont pu fuir, dit-il, craignant d'énoncer la possibilité inverse. Seraphina le comprit à demi-mot, ses lèvres se serrant.
Ils regroupèrent les villageois sur un replat un peu plus sûr, à l'abri des chutes de rochers immédiates. Lampes en main, Damon et Seraphina scrutèrent la bouche sombre de la grotte, appelant leurs amis. Le silence répondait, accentuant l'angoisse. Puis un mouvement s'agita dans l'ombre : deux silhouettes, chancelantes, surgissaient en toussant.
— Rivan ! Marisol ! s'exclama Damon en s'élançant pour les soutenir. Les deux compagnons étaient exténués — Rivan saignait du front, Marisol avait le bras pendant à un angle inquiétant, peut-être luxé. Mais ils étaient sains et saufs.
Marisol s'appuya contre un rocher, jetant des regards vifs autour d'elle.
— Le Gardien ? demanda Damon, inspectant l'entrée pour s'assurer qu'aucun monstre ne les poursuivait.
Rivan cracha la poussière.
— On a provoqué un éboulement. Pour l'instant, il est coincé, s'il n'est pas déjà mort. Son regard se porta sur les villageois. Vous les avez sauvés.
Damon exhala, soulagé.
— Oui, mais restons prudents. Cette bête pourrait trouver un autre passage.
Seraphina s'occupa du bras de Marisol, l'aidant à l'immobiliser.
— Il faut partir, et vite. Ces gens ne pourront pas parcourir de longues distances, mais rester ici est trop dangereux.
La douzaine d'otages libérés se regroupa. Certains se demandaient qui étaient ces monstres, d'autres restaient muets, sous le choc. Quelques enfants, tremblants, s'accrochaient aux plus âgés. Damon lut sur leurs visages la détresse, et sentit en lui la rage qui l'animait contre ces cultistes. Au moins les avaient-ils arrachés à un destin funeste.
Mais au creux de son esprit planait une inquiétude obstinée : Nous n'avons peut-être que retardé la menace, pas détruit le mal à sa source. Les runes, la marque sur ces pillards, l'éveil draconique… tout cela s'inscrit dans un plan que je ne saisis pas encore.
Sous la clarté de la lune, le petit groupe entama une descente prudente depuis la paroi rocheuse. Damon ouvrait la marche, soutenant une villageoise boiteuse, tandis que Rivan et Seraphina aidaient Marisol à descendre le sentier. Des gravillons roulaient sous leurs pas, menaçant à chaque instant de les faire chuter dans la forêt obscure. Le vent sifflait de manière sinistre, comme s'il portait l'écho du rugissement du Gardien.
Après une heure éprouvante, ils atteignirent la lisière boisée, sur un sol plus stable. Les villageois s'y laissèrent tomber de fatigue. Rivan, encore un peu chancelant, fit le compte pour s'assurer que personne ne manquait. Ils improvisèrent un camp rudimentaire avec les rares couvertures et provisions qu'avait apportées Damon. Il n'était pas question d'allumer un feu — trop risqué, ne sachant si le Gardien ou des cultistes subsistaient à proximité.
Damon s'accroupit près d'un tronc couché, les bras appuyés sur ses genoux, tentant de calmer ses tremblements. Son épée reposait en travers de ses cuisses, encore tachée du sang noirâtre des ravisseurs. Son corps était perclus de douleurs, mais c'était ailleurs qu'il ressentait le plus fort malaise : dans sa poitrine, où palpitait l'écho du pouvoir qu'il avait senti grandir durant la bataille.
Seraphina s'approcha, le visage couvert de suie et de sueur. Elle s'assit à côté de lui, murmurant pour ne pas affoler les villageois.
— Comment te sens-tu ?
Damon posa sa paume contre son sternum.
— J'ai toujours ce même ressenti… la force du caveau. Elle a réagi face au Gardien. Mais je ne sais pas la maîtriser.
Elle acquiesça, jetant un regard vers la silhouette menaçante de la colline.
— Nous avons stoppé le rituel, mais cette créature n'est pas réellement vaincue. Si elle parvient à se frayer un chemin dehors, elle pourrait menacer d'autres villages.
Un goût amer emplit la bouche de Damon.
— Nous avons fait ce que nous pouvions. On a sauvé ces gens, mais on a failli y laisser notre peau. Il repensa aux derniers mots du prêtre monstrueux : Le Gardien va s'éveiller. Peut-être n'avaient-ils fait que gagner du temps.
— On préviendra les villes alentour et les autorités, dit Seraphina, posant la main sur son épaule pour le rassurer. Un pas après l'autre. On a sauvé des vies aujourd'hui, et c'est déjà beaucoup.
Damon opina légèrement.
— Tu as raison. fit-il d'une voix lasse. Et la Couronne ? reprit-il plus bas, comme craignant de briser un tabou. Si ce Gardien a un lien avec cette magie draconique, peut-être que le pouvoir de la Couronne pourrait l'arrêter… ou bien c'est lui qui a causé tout cela.
Le regard de Seraphina se durcit.
— Nous ne le saurons pas sans en apprendre davantage. Pour l'instant, assurons-nous que ces gens soient hors de danger. Ensuite, nous pourrons reprendre nos recherches — sur la Couronne, sur ce culte, et sur l'étincelle qui s'est éveillée en toi.
Damon laissa échapper un soupir tremblant, mais trouva un écho d'optimisme dans ses paroles. Protéger les innocents, découvrir la vérité, lutter contre ces ténèbres qui surgissent. Il n'avait pas toutes les clés, mais il ne se détournerait pas de ceux qui comptaient sur lui — ni du lien qu'il ressentait avec la puissance draconique.
À l'aube, ils étaient déjà en route vers le sud, reprenant une partie du chemin que Damon et ses compagnons avaient emprunté. Rivan s'appuyait sur sa lance comme sur une canne de fortune, Marisol gardait le bras bandé contre sa poitrine, et la progression était lente. Les visages portaient toujours les marques de la peur et de la fatigue, mais l'idée d'avoir échappé au pire apportait un certain réconfort. Quand les premiers rayons dorés effleurèrent le ciel, Damon jeta un dernier regard vers les collines lointaines. Aucun hurlement, pas de silhouette ailée à l'horizon. Le Gardien, s'il était encore en vie, demeurait enfoui sous terre — pour l'instant.
Ils s'arrêtèrent près d'un ruisseau peu profond afin de se reposer et de remplir leurs gourdes. Seraphina aida un enfant à boire, souriant pour l'apaiser. Rivan, méfiant, scrutait sans relâche les environs, tandis que Marisol entoura la cheville d'une femme âgée avec un bandage improvisé. Damon, en retrait, laissa son esprit vagabonder. Cette victoire nous a coûté cher en angoisse et en sang, mais elle en valait la peine. Des vies ont été sauvées.
Une douleur sourde palpitait dans sa poitrine. Il pouvait presque entendre l'écho du rugissement draconique dans son esprit, entremêlé à la lueur runique du coffre enfoui. Quoi que soit cet artéfact, je suis lié à son pouvoir. Le sentiment était à la fois grisant et effrayant. Depuis son départ de Fallbrook, la route s'était ouverte sous ses pas, traversant ruines antiques, gardiens monstrueux et cultistes acharnés à invoquer de terribles magies.
Seraphina, se relevant, croisa son regard. Dans la lueur matinale, il lut dans ses yeux autant de sollicitude que de résolution. Il puisa de la force dans cette connivence. Nous ne sommes pas seuls. Nous trouverons un moyen — ensemble.
Leur épopée n'était pas close. Des forces obscures persistaient, tapies derrière chaque recoin d'Elandris, serviteurs difformes déterminés à s'emparer de ces reliques draconiques. Mais pour l'heure, alors que le soleil baignait les rescapés d'une douce chaleur, Damon savoura un instant d'espoir fragile : ils avaient échappé aux ruines, déjoué un sombre rituel et sauvé des dizaines de gens. Malgré l'ombre planante sur l'avenir, ils venaient de prouver que le courage et l'union pouvaient faire pencher la balance.
Les doigts de Damon se resserrèrent sur sa garde, tandis qu'il sentait à nouveau la vibration légère du pouvoir en lui. Le rugissement du Gardien résonnerait peut-être encore dans ses cauchemars, mais il ne fuirait pas. Le moment venu, il affronterait toute menace — jusqu'à ce que les secrets de la Couronne Cramoisie et le destin lié à son propre éveil se révèlent enfin.