Un vent mordant siffla à travers les collines escarpées tandis que Damon et sa petite troupe poursuivaient leur route vers le nord, guidés par les rares indices laissés par le seul rescapé du village. Chaque pas les éloignait davantage de la route principale empruntée par la caravane — et les menait plus profondément dans un territoire inconnu. Le soleil brillait d'une lumière froide, offrant peu de chaleur, et la fraîcheur matinale ne s'était jamais vraiment dissipée. Pourtant, Damon sentait en lui une énergie nouvelle, tapie au plus profond de son être, la même qui l'habitait depuis qu'il avait effleuré le coffre runique dans le vieux caveau.
Seraphina marchait non loin de lui, sa cape serrée contre le corps, sa tresse auburn retombant sur une épaule. Rivan et Marisol ouvraient la marche, inspectant le sentier rocailleux à la recherche d'empreintes ou de branchages dérangés. Personne ne le disait à voix haute, mais tous savaient qu'ils pistaient un groupe qui avait ravagé un village et enlevé ses habitants — ces « hommes difformes » peut-être en quête d'une relique ou d'une arme inconnue. Une peur sourde grondait sous leur détermination.
Au bout d'une heure d'ascension, ils atteignirent un plateau étroit offrant un panorama sur la vallée en contrebas. De rares pins poussaient ici et là sur la roche, et un sentier étroit serpentait entre les broussailles. Marisol s'agenouilla pour examiner des empreintes légèrement enfoncées dans la terre humide, près d'un éperon rocheux.
— Trois, peut-être quatre personnes, chuchota-t-elle. Mais l'empreinte est… étrange. On dirait des griffes.
Rivan appuya l'extrémité de sa lance sur le sol, le regard assombri.
— Ça correspond à ce que le rescapé nous a dit. Des hommes monstrueux, pas entièrement humains.
Le cœur de Damon s'emballa, imaginant des silhouettes aux membres déformés, aux yeux bestiaux — fruits d'une sorcellerie maléfique ou d'une malédiction draconique. Un frisson involontaire le traversa. Si ces pillards étaient vraiment les serviteurs d'une force obscure, peut-être leurs agissements avaient-ils un lien avec la Couronne Cramoisie ou d'autres artefacts draconiques disséminés à travers Elandris.
Seraphina expira lentement, scrutant l'horizon.
— Nous sommes sur la bonne piste. Poursuivons. Mais restez sur vos gardes — s'ils sont dans les parages, ils ont sans doute des sentinelles.
Ils continuèrent leur progression. Le chemin s'inclinait à présent vers le bas, serpentant parmi des broussailles clairsemées, tandis que les rares traces laissées par les ravisseurs faisaient figure de fil d'Ariane. De temps à autre, Damon sentait une odeur fétide portée par le vent, lui rappelant douloureusement le village incendié qu'ils avaient quitté. Sa main se rapprochait par réflexe du pommeau de son épée. Il faut les trouver avant qu'il ne soit trop tard, se répétait-il.
Vers le milieu de la journée, le sentier déboucha sur un petit ravin, dont les parois se dressaient de part et d'autre comme des mâchoires acérées. Le sol était jonché d'éboulis et d'ossements d'animaux, blanchis par le soleil — de mauvais présages, même s'ils ne prouvaient rien concernant d'éventuels humains. L'odeur nauséabonde s'intensifiait, un mélange de végétation en décomposition et d'un relent âcre que Damon ne parvenait pas à identifier.
Soudain, Marisol leva le poing, intimant l'arrêt. Elle se tassa derrière un rocher et fit signe aux autres d'approcher. Damon et Seraphina la rejoignirent en silence, imités par Rivan. À travers une fissure dans la paroi du ravin, Damon aperçut une anfractuosité dissimulée. Un cercle de pierres se dressait au centre, noircies par d'anciens feux. Deux silhouettes s'affairaient autour de la zone, vêtues de cuir en lambeaux épousant des corps déformés.
Elles étaient humanoïdes, mais quelque chose clochait : leurs membres semblaient allongés, leurs postures courbées, et leur peau arborait une pâleur malsaine. L'une avait une corne torsadée qui surgissait de son front, l'autre exhibait des bras gonflés de muscles étrangement noueux. Leurs armes, grossières, ressemblaient à de simples morceaux de métal aiguisés. Damon distingua quatre villageois, ligotés et recroquevillés près d'un pan rocheux.
Une vague de colère l'envahit. Ils sont vivants, pensa-t-il, soulagé mais fou de rage. Nous devons agir vite. Il balaya du regard l'endroit, cherchant d'autres ennemis. À première vue, seuls ces deux gardes difformes se trouvaient là. Pas de trace d'un camp plus important — du moins pour l'instant.
Les mâchoires de Rivan se contractèrent.
— On peut les surprendre. Marisol, tu contournes par la gauche, moi par la droite. Damon, Seraphina, vous attaquez de face.
Seraphina acquiesça, le visage fermé.
— Frappons fort et vite, avant qu'ils ne donnent l'alerte.
Le silence retomba. Damon sentit son cœur battre à tout rompre tandis qu'il échangeait un bref regard plein de détermination avec Seraphina : On peut y arriver. Le groupe se sépara aussitôt, chacun rasant la paroi du ravin. Damon avait la gorge sèche ; au moindre faux pas, un éboulis pouvait trahir leur présence.
Le signal vint de Marisol : un sifflement bref. Damon et Seraphina jaillirent de leur abri, traversant l'espace à découvert. Simultanément, Rivan et Marisol déboulèrent sur les flancs. Pris au dépourvu, le premier garde se retourna en grognant, mais Marisol l'atteignit d'un coup d'épée transversal, projetant des éclaboussures de sang noirâtre sur la pierre. La créature vacilla en hurlant.
Le second poussa un rugissement et fondit sur Damon avec une rapidité effrayante. Damon leva sa lame pour bloquer le coup vertical, ressentant un choc violent dans les bras. Mais cette énergie étrange qui l'habitait — faible, brûlante — semblait affluer à travers ses muscles. Il pivota, déviant l'arme de la créature, et entailla sa cuisse déformée.
Un cri strident, plus animal qu'humain, jaillit des lèvres du garde. Dans le même instant, Seraphina surgit derrière lui, enfonçant sa dague entre ses omoplates. La bête chancela, le souffle rauque. Damon recula, le torse soulevé par l'effort, tandis que l'ennemi s'effondrait lourdement.
À quelques pas, Rivan achevait le premier monstre d'un violent coup de lance. Un calme soudain tomba sur la cavité, seulement troublé par le halètement des combattants et les sanglots des prisonniers. Damon s'empressa de s'approcher d'eux, sectionnant les cordes.
— Vous allez bien ? lança-t-il, le regard passant rapidement de l'un à l'autre.
Une femme se mit à pleurer, frottant ses poignets marqués par la corde. Un homme plus âgé, les traits tirés, releva des yeux incrédules.
— Qui êtes-vous ? souffla-t-il. Des soldats du roi ?
— Non, répondit Damon en l'aidant à se relever. On vient du sud, on cherche des survivants.
Rivan, lui, observait d'un air sombre les deux cadavres.
— Qu'est-ce que c'est que ces choses ? On dirait qu'elles sont… corrompues.
Marisol passa un revers de main sur son front perlé de sueur.
— Jamais rien vu de tel. De la sorcellerie, sans doute.
Seraphina s'accroupit près de l'un des corps, glissant la pointe de sa dague sous un lambeau de cuir qui couvrait son torse. Dessous, on distinguait un symbole gravé dans la chair, comme un animal ou un démon au faciès grimaçant.
— Ils portent une marque, dit-elle à mi-voix. Je l'ai déjà vue dans certains écrits parlant de cultes interdits.
Un frisson parcourut Damon.
— Un lien avec le culte draconique, ou autre chose encore ?
Seraphina avait le front plissé.
— Je l'ignore. Mais restons sur nos gardes. Il doit y en avoir d'autres.
Un bruissement attira leur attention. L'un des otages libérés, un homme au visage émacié et grisonnant, tenta de se relever :
— Ils… ils en ont emmené d'autres, parvint-il à articuler. Tout un groupe, plus loin dans les collines. Hommes, femmes, enfants… Ils parlaient d'un rituel. D'une cérémonie dans un vieux sanctuaire.
Un sanglot étouffé s'éleva parmi les rescapés.
— Je vous en prie… sauvez-les.
Damon croisa le regard de Rivan et Marisol. Ils s'étaient aventurés jusqu'ici pour retrouver des captifs — et ce n'était qu'un début.
— Combien ? demanda Damon à voix basse.
— Une dizaine, peut-être plus, répondit l'homme, la voix tremblante. Ces créatures se battaient comme des bêtes. Ils ont dit qu'ils voulaient des sacrifices pour « éveiller un gardien »… Ils parlaient d'exploiter une relique.
Le terme « gardien » fit instantanément remonter chez Damon le souvenir du temple souterrain. Serait-ce un autre vestige de ce pouvoir draconique ? Un sentiment d'urgence le gagna. S'ils cherchent à réveiller une entité, c'est peut-être lié à la force que j'ai ressentie dans le caveau.
— On ne peut pas laisser ces gens se faire sacrifier, dit-il, déterminé. On va vous aider à regagner un endroit sûr, puis on ira à leur poursuite.
Rivan se massa la nuque, visiblement partagé.
— On n'est pas nombreux, Damon. S'il y a d'autres monstres, on va au-devant d'un massacre.
Le regard de Seraphina s'enflamma.
— Mieux vaut tenter le tout pour le tout. Un rituel avec sacrifices, c'est trop grave pour qu'on se défile.
Marisol finit par acquiescer.
— Mettons ces survivants à l'abri, puis reprenons la chasse.
Pendant l'heure qui suivit, ils guidèrent les otages hors du ravin, débusquant un petit abri rocheux où ceux-ci pourraient rester cachés jusqu'au lever du jour. Rivan laissa un peu de nourriture et d'eau, priant les rescapés de se tenir loin de ces créatures. Reconnaissants, certains pleuraient en remerciant leurs sauveurs, tandis que Damon, Seraphina, Rivan et Marisol se préparaient à s'enfoncer plus avant dans les hauteurs.
— Rejoignez le sud si vous pouvez, dit Damon à l'homme plus âgé. Vous finirez par croiser la caravane de Kelwick. Il vous mènera en lieu sûr.
Sur ces mots, ils repartirent vers le nord, cherchant des traces fraîches. De temps en temps, Damon repérait une empreinte dans la poussière ou une marque laissée par ces gardes difformes. Le sentier remontait désormais vers des sommets plus escarpés.
Le soleil passa derrière une crête, allongeant les ombres sur la pierre. Des nuages sombres s'amoncelaient, annonçant une probable averse. Damon sentait ses membres s'alourdir, la fatigue de la journée pesant sur lui. Pourtant, il avançait malgré tout, poussé par l'image des villageois prisonniers — et par l'intuition grandissante que cette affaire dépassait de simples raids.
La nuit tomba presque quand ils découvrirent une faille dissimulée dans la roche, d'où émanait une lueur rougeâtre de torches vacillantes. L'entrée, à demi camouflée par des rochers et des buissons épineux, semblait conduire à une grotte. Tous quatre se blottirent derrière un éperon, les visages tendus.
— Ça doit être leur repaire, souffla Rivan. Ou au moins l'accès.
Marisol serra les dents.
— J'entends des chants, chuchota-t-elle en désignant l'ouverture. Tendez l'oreille.
Damon, concentré, perçut un bourdonnement sourd, une psalmodie rythmée qui résonnait le long de parois souterraines. Seraphina prit une expression sombre.
— On n'a pas de temps à perdre. Le rituel a peut-être déjà commencé. Les vies de ces gens dépendent de notre intervention immédiate.
Le cœur de Damon cognait dans sa poitrine.
— On avance en douceur, on libère les otages et on interrompt ce rituel.
Les autres hochèrent la tête. Ils se glissèrent entre les rochers, veillant à ne pas faire rouler de pierres. Le chant se fit plus net à mesure qu'ils progressaient dans un couloir naturel. L'air, saturé d'humidité, empestait la pourriture.
Soudain, le passage déboucha sur une vaste caverne. Damon, dissimulé derrière un large stalagmite, distingua au moins sept créatures monstrueuses réunies en cercle autour d'un autel grossier. Elles psalmodiaient d'une même voix rauque, saccadée. Sur l'autel reposait une statue de pierre, vaguement reptilienne, avec des traits rappelant un dragon. Des runes luminescentes s'y dessinaient, semblables à celles que Damon avait vues dans le caveau. Un gardien draconique, songea-t-il, le ventre noué.
Tout près, une dizaine de prisonniers agenouillés, ligotés, tremblaient d'effroi. Une silhouette massive, brandissant une lame dentelée, se tenait derrière eux. Le sang de Damon ne fit qu'un tour. Au moindre geste, ces créatures risquaient de massacrer les otages.
Près de l'autel, ce qui semblait être un prêtre monstrueux leva les bras au ciel.
— Au nom du sang ancien, nous invoquons le Gardien ! hurla-t-il. Nourris-toi de ces âmes et réveille-toi dans ta puissance !
Un frisson parcourut la caverne. Les runes sur la statue s'intensifièrent, dégageant une aura malsaine qui fit monter la bile à la gorge de Damon. Il croisa le regard de Seraphina. Ce culte va au-delà d'une simple idolâtrie : il y a quelque chose de réel qui s'éveille.
Rivan serra sa lance, le visage fermé.
— Si cette statue prend vie, on sera mal…
— Il faut agir, maintenant, murmura Marisol.
Damon fit signe à ses compagnons de se disperser en demi-cercle. L'adrénaline lui embrasait les veines, ravivant cette flamme secrète dans sa poitrine. Je ne laisserai pas ces monstres assassiner des innocents ni libérer une horreur draconique.
Il donna le signal et s'élança hors de sa cachette. Le chaos explosa aussitôt. La lance de Rivan vola dans les airs, transperçant l'un des cultistes. Marisol attaqua depuis le flanc opposé, sa lame fendant l'air. Seraphina lâcha un couteau de lancer qui alla se ficher dans la gorge d'un deuxième ravisseur, interrompant net son chant dans un gargouillis.
Damon fonça vers l'autel, épée au clair. Le prêtre monstrueux pivota, dévoilant des dents acérées.
— Tu oses interrompre l'Éveil du Gardien ?
Leurs lames s'entrechoquèrent, le choc remontant jusqu'aux épaules de Damon. Mais il sentit ce pouvoir intérieur pulser, comme un second souffle. Il contra, repoussant l'arme du prêtre, puis lui entailla le flanc. Derrière lui, Seraphina et les autres combattaient le reste des cultistes, tandis que les otages, paniqués, tentaient de se protéger.
Un rictus cruel déforma le visage du prêtre.
— Ton sang nourrira tout autant le Gardien ! cria-t-il en visant la gorge de Damon. Celui-ci se baissa, la lame adverse fendant l'air. D'un mouvement vif, il porta son coup vers le haut et le métal crissa contre celui du prêtre. Dans l'angle de son œil, Damon voyait les runes de la statue qui pulsaient comme un cœur malade.
Suffit !, hurla son esprit. Il rassembla toute sa volonté, s'appuyant sur l'ardeur qu'il portait en lui. Dans un rugissement, il abattit son épée de toutes ses forces, déviant celle du prêtre. Puis il épaula violemment ce dernier, le faisant vaciller. Un éclair d'acier plus tard, la lame de Damon trancha la poitrine du cultiste.
Celui-ci recula en geignant, une lueur sombre zigzaguant sur sa plaie comme si quelque chose tentait de la sceller ou de le guérir. Damon profita de l'instant, ignorant la brûlure dans ses bras. Un second coup frappa le prêtre en plein torse. Il tomba à genoux, les yeux emplis de fureur et d'incompréhension.
— Tout ce que tu as accompli… tu ne peux arrêter… ce qui est enclenché… Le Gardien… va s'éveiller, siffla-t-il. Un filet de sang coula sur son menton. Il eut un spasme et s'écroula, inerte.
Haletant, Damon jeta un regard circulaire. Seraphina venait de terrasser le dernier cultiste d'un coup de dague précis. Rivan et Marisol libéraient déjà les prisonniers. Un soulagement parcourut Damon — vite balayé par une secousse qui ébranla le sol. Chacun s'immobilisa.
La statue sur l'autel pulsait d'une lueur de plus en plus vive. Des fissures apparaissaient le long de son corps draconique, comme si la pierre éclatait de l'intérieur. Un grondement sourd retentit, glaçant Damon jusqu'aux os. Même dans la mort, le prêtre avait déclenché quelque chose.
Seraphina recula d'un pas, les yeux agrandis.
— Le Gardien… il tente de se libérer !
Damon se reprit, malgré ses muscles endoloris. Je ne peux pas faillir maintenant. Des villageois terrorisés se tenaient là, sous la menace de ce monstre draconique. Puisant dans la dernière étincelle de ce pouvoir étrange, il brandit son épée, prêt à faire face à la créature qui allait surgir de cette gangue de pierre.
Un ultime craquement résonna. La statue se fendit, révélant un regard rougeoyant, empli d'une fureur ancestrale. Le cœur de Damon manqua un battement. Il me faut l'affronter… ou mourir en essayant.
Derrière lui, Seraphina étouffa son nom dans un avertissement étranglé. Les prisonniers libérés se blottirent les uns contre les autres, le visage blême. Rivan et Marisol échangèrent un regard de détermination, armes au poing. Quant à Damon, l'épée brandie, il sentit cette connexion mystérieuse à la magie draconique embraser ses veines, plus vive que jamais.
La créature sous la pierre venait de s'éveiller. Damon allait devoir la confronter — et découvrir si l'étincelle de pouvoir qu'il avait reçue dans le caveau suffirait à tenir tête à la colère d'un Gardien ancien.