Un doux rayonnement matinal traversait les hautes fenêtres de l'Hôtel de Ville de Silvercoast, illuminant les rangées de bancs en bois verni disposés devant une imposante estrade. À l'arrière de la salle, les journalistes se pressaient, échangeant à mi-voix tout en prenant des clichés au bruit sec de leurs appareils. Devant, un petit groupe de responsables municipaux et d'observateurs attendaient l'ouverture de la séance. Dans l'air flottait un mélange de nervosité et d'optimisme prudent—un sentiment inhabituel dans une ville si souvent dominée par l'ombre.
C'est dans cette atmosphère que Jared, Ava et Marcus firent leur entrée, la démarche empreinte de détermination. Leurs pas résonnaient sur le marbre poli tandis qu'ils rejoignaient les sièges réservés aux témoins de l'audience spéciale, convoquée après l'arrestation spectaculaire de Selina Vaughn à Whitefall Tower. Plus d'une douzaine de membres du conseil municipal étaient présents, entourés de conseillers juridiques, de procureurs et d'officiers en uniforme. Au premier rang se tenait l'inspecteur Gallagher, échangeant des signes de tête avec Cho et Ramirez. La tension lisible dans ses épaules laissait deviner qu'il ignorait lui-même comment ce témoignage public allait se dérouler.
La ville au bord du gouffre
Derrière l'estrade, les conseillers chuchotaient. Au centre, le conseiller Holmes, un homme âgé connu pour son intransigeance face au crime—et, si la rumeur disait vrai, l'un des rares à n'avoir jamais trempé dans les affaires de Vaughn—frappa du maillet sur son socle, ouvrant officiellement la séance. Quelques flashs d'appareils photo immortalisèrent l'instant solennel. Les murmures dans la salle s'évanouirent.
— « Mesdames et messieurs, » entama Holmes d'une voix grave en balayant l'assemblée du regard, « nous nous réunissons en des circonstances exceptionnelles. Il y a moins de quarante-huit heures, un bastion criminel a été investi, aboutissant à l'arrestation de Selina Vaughn et de plusieurs cadres du Syndicat. Nous tenons cette audience pour établir la vérité, traiter de la sécurité publique et examiner des mesures législatives visant à empêcher que nos institutions ne soient à nouveau infiltrées. »
Les caméras pivotèrent vers la table des témoins, où Jared, Ava et Marcus étaient assis. On pouvait lire sur leur visage la fatigue de ceux qui avaient trop vu mais refusaient de céder. Ava tenait un dossier contenant les preuves-clés, Marcus gardait son ordinateur portable chargé des dernières données extraites des serveurs de Vaughn, et Jared posait une main sur la poche intérieure de sa veste, là où reposaient toujours les Shades of Authority.
L'audition commence
Un huissier les conduisit à la barre, un par un, pour prêter serment. Le cœur de Jared battait à tout rompre alors qu'il levait la main, les formules officielles résonnant de manière surréaliste. Quelques jours plus tôt encore, on le considérait comme un fugitif aux yeux de la loi ; à présent, il contribuait à dévoiler la face la plus sombre de Silvercoast.
Le conseil municipal donna d'abord la parole à l'inspecteur Gallagher, qui relata calmement le déroulement des événements à Whitefall Tower. Il expliqua comment la police avait reçu un signalement sur une démonstration illégale d'un prototype appelé « Seraph », comment une petite équipe d'officiers et de civils avait coordonné une opération secrète, et comment ils avaient finalement démantelé le projet de Vaughn. Une onde de surprise parcourut certains conseillers, qui jugeaient jusqu'alors les récits de technologies arcaniques ou d'artefacts militaires comme de simples théories complotistes.
Puis vint le tour d'Ava. Elle s'avança avec une assurance discrète, la lumière crue du plafond accrochant les reflets de sa chevelure, tandis que son stylo-caméra reposait désormais bien en vue à son col. Sous l'interrogatoire du conseiller Holmes, Ava raconta comment elle avait initialement enquêté sur l'emprise du Syndicat dans diverses entreprises légitimes, découvrant peu à peu sa hiérarchie et l'existence de Seraph. Chaque phrase suintait les risques encourus, les heures passées à filmer en secret la machine infernale du Syndicat.
La conseillère Drey, plus jeune, affichant une volonté de moderniser la ville, se pencha en avant :
— « Mademoiselle Brooks, les images que vous avez recueillies ont stupéfait tout le monde : des ailes alimentées par des cristaux, un harnais soi-disant capable de voler… Pouvez-vous confirmer, devant cette assemblée, que la technologie découle de… méthodes non conventionnelles ? »
Ava hocha la tête, sans ciller.
— « Oui. Les équipes de Vaughn s'étaient inspirées d'un artefact capable de lire l'agressivité et d'augmenter les réflexes—un objet qu'on a fini par appeler les Shades of Authority. Elles ont essayé d'en reproduire les propriétés pour concevoir Seraph. Sans être experte en la matière, je peux confirmer qu'elles sont allées suffisamment loin pour constituer une menace réelle. »
Un frémissement secoua l'assistance. Jamais encore l'existence des Shades n'avait été publiquement reconnue. Les flashs crépitèrent, les journalistes prenant fiévreusement des notes.
Dévoiler la corruption
Marcus prit la parole après Ava, présentant aux conseillers des relevés numériques trouvés sur les serveurs personnels de Vaughn—des comptabilités occultes, des ventes d'armes, des paiements silencieux impliquant non seulement des criminels, mais aussi certains élus municipaux. Des exclamations fusèrent à la vue de noms familiers. Le conseiller Holmes pâlit, parcourant ces pages de données compromettantes.
— « Ces documents, » expliqua Marcus en pointant des lignes de code sur un écran, « lient l'organisation de Vaughn à un réseau de sociétés-écrans. On parle de blanchiment, de contrebande high-tech et de pots-de-vin. Mon équipe a vérifié l'authenticité de ces logs, qui correspondent à plusieurs opérations déjà attribuées au Syndicat. »
Quelques conseillers se raidirent, la sueur perlant sur leur front. Jared se demanda combien d'entre eux avaient profité de loin ou de près des largesses de Vaughn, ou avaient choisi de ne pas s'en mêler. L'audience prenait des airs de bombe à retardement, révélant que la gangrène avait gagné le sommet même de la cité.
Le témoignage de Jared
Enfin, Jared s'avança. Chaque regard se braqua sur lui—ceux des médias, du conseil, des agents, et bien sûr des détectives. Il parvint au pupitre en boitant, serrant les mâchoires sous la douleur de sa blessure. Le micro amplifia sa respiration un peu tremblante.
— « Veuillez décliner votre identité et préciser votre rôle, » l'interpella Holmes, d'un ton curieux mais courtois.
— « Je m'appelle Jared King, » débuta-t-il en s'agrippant au rebord du pupitre. « Ancien étudiant à Bernington College. Le Syndicat m'a piégé pour des fraudes académiques que je n'ai jamais commises. Ils m'ont forcé à me cacher. Au fil de mes investigations, j'ai réalisé à quel point leur corruption allait loin. »
Un léger remous parcourut la salle. La conseillère Drey reprit :
— « C'est ainsi que vous avez connu… cet artefact et participé à ces infiltrations ? »
Jared hocha la tête.
— « Oui. L'artefact—une paire de lunettes teintées qu'on a surnommées Shades of Authority—est arrivé jusqu'à moi par hasard. Il m'a permis d'apercevoir des pans occultes des manigances du Syndicat. Avec mes amis, on a compris que Vaughn comptait s'étendre plus encore. Nous avons donc agi, au côté de l'inspecteur Gallagher et de quelques alliés, pour monter l'opération à Whitefall Tower. »
Il marqua une pause, balayant l'assemblée du regard. Ava lui adressa un signe de soutien, Marcus un sourire discret.
— « Je ne prétends pas que tout fut légal, » reprit-il d'une voix presque cassée. « Mais c'était la seule voie pour mettre à nu ce que personne ne voulait admettre : Vaughn s'emparait d'un pouvoir susceptible de bouleverser la ville dans ses fondations. »
Le conseiller Holmes fronça les sourcils :
— « Et quant à cet artefact ? »
Le silence tomba. Jared sortit alors les Shades de sa veste, les dévoilant à la vue de tous. Des murmures enflammés coururent dans le public, les journalistes multipliant les clichés. Les expressions des conseillers oscillaient entre fascination et appréhension.
— « Les voilà, » déclara doucement Jared. « Vaughn a tenté d'imiter leurs facultés dans Seraph. Elle a échoué de peu, mais si on ne traite pas les forces qui ont permis cette technologie dans l'ombre, quelqu'un d'autre pourrait réussir. »
La conseillère Drey, la voix un peu tremblante :
— « Vous comptez… les conserver ? »
Jared échangea un regard avec Ava et Marcus, conscient de l'importance de la question.
— « Tout dépend de la manière dont la ville veut gérer cela. Si je les remets, je crains que l'artefact ne disparaisse dans un coffre ou soit exploité à nouveau. Vaughn a prouvé qu'un tel pouvoir, mal canalisé, mènerait à d'autres catastrophes. »
Une tension grandissait, mais Holmes hocha la tête, plus conciliant.
— « Je pense qu'on peut trouver un accord. Pour l'heure, je vous demande de rester en étroite coordination avec les forces de l'ordre. Le conseil pourrait proposer un lieu sécurisé—sous surveillance, en toute transparence. Fini les secrets. »
Jared sentit la pression retomber, acquiesçant.
— « C'est tout ce qu'on souhaite : une responsabilité partagée. »
Les vents du changement
À la fin de l'audience, le conseil annonça le lancement d'enquêtes approfondies et la création d'unités chargées de traquer les derniers partisans du Syndicat. Des propositions de lois anticorruption, applaudies par certains conseillers et acceptées à contre-cœur par d'autres, furent évoquées.
Les reporters fondirent sur Jared, Ava et Marcus à leur sortie, micros et caméras braqués, questions fusant : Qui êtes-vous vraiment ? Comment avez-vous vaincu Seraph ? Est-ce que l'artefact est magique ? Les officiers de Gallagher leur ouvrirent un chemin à travers cette marée humaine, mais les bribes capturées suffiraient à nourrir toutes les chaînes de la ville.
Une fois dehors, sous la chaleur du soleil de midi, Ava esquissa un sourire fatigué :
— « Adieu discrétion. »
Marcus haussa les épaules, tenant fermement sa sacoche.
— « Au moins, on n'est plus des hors-la-loi. »
Jared respira l'air, une légère brise allégeant enfin la tension dans ses épaules.
— « La ville voulait des héros, on dirait. Mais c'est plus complexe. La bataille n'est pas finie, elle vient juste de changer de forme. »
Une paix fragile
Plus tard dans l'après-midi, tous trois retrouvèrent le salon de coiffure, tentant de se reposer, mais les appels et messages pleuvaient. Les journalistes réclamaient des interviews, des citoyens curieux les félicitaient, et les Razor Claws envoyaient de sinistres rappels quant à la "part" qu'ils exigeaient. De son côté, Gallagher transmettait d'autres infos : Vaughn déposait déjà des requêtes par l'entremise de ses avocats, l'audience pour sa libération sous caution approchait, et Thorne, obstiné, refusait de parler, se contentant de promesses de représailles.
— « Jamais rien de simple, » maugréa Marcus en s'affalant sur le fauteuil du barbier, à bout de forces. « On a coupé la tête du Syndicat, mais il s'agite encore. On doit suivre la procédure, s'assurer que l'artefact est en lieu sûr… »
Ava, zappant sur un vieux téléviseur, ne voyait que des reportages en boucle sur l'opération. Les mêmes scènes tournées sous divers angles, les mêmes analyses. Jared, lui, regardait en silence. Ils avaient renversé le récit de la ville en une nuit—mais ce récit pouvait toujours leur échapper.
Finalement, il se leva et arpenta le fond de la boutique.
— « On gérera les Claws, on coopérera avec Gallagher. Peut-être que la ville adoptera enfin de vraies mesures. Mais on ne retournera pas à notre ancienne vie, c'est clair. »
Ava s'approcha, compatissante.
— « As-tu seulement envie d'y revenir ? » souffla-t-elle.
Il marqua un temps. Avant, il n'était qu'un étudiant plein d'illusions, balayé par un coup monté. Aujourd'hui, il avait affronté des fusillades, démantelé un empire et portait un artefact de pouvoir.
— « Non, » admit-il. « Pas si c'est pour fermer les yeux sur tout ça. On peut faire bouger les choses—depuis l'ombre ou, s'il le faut, au grand jour. Rester ignorant est impensable. »
Vers l'avenir
À la tombée de la nuit, un calme relatif régnait dans le salon, comme après une longue tempête. Ava et Marcus somnolaient dans des coins, ordinateurs et téléphones en veille pour la journée suivante. Jared s'assit près d'une fenêtre obstruée, regardant les lumières lointaines de la rue. La ville semblait moins agitée que les dernières semaines, comme si l'air se purifiait un instant après la chute de Vaughn, même si d'autres menaces guettaient.
Entre ses mains, les Shades of Authority. Il les fit tourner, contemplant les motifs ciselés, repensant aux maintes fois où elles avaient éclairé des pièges invisibles. Autrefois pesante, leur présence était devenue un refuge : un potentiel moyen de défendre la ville contre tout nouveau fléau.
Les souvenirs de la bataille défilaient dans sa tête : l'infiltration chaotique à Whitefall Tower, l'explosion crépitante de Seraph, le regard glacial de Thorne. Il revoyait l'instant où le harnais s'était effondré sous l'EMP, si proche de tout faire échouer. Ils avaient évité le pire.
Un pas léger dans son dos annonça Ava. Elle posa la main sur son épaule.
— « Ça va ? » murmura-t-elle.
Il mit un instant à répondre.
— « Oui. Je réfléchissais à la suite. La ville attend qu'on poursuive… nous, on n'a plus à fuir Vaughn. Mais tout cela est nouveau. »
Ava esquissa un doux sourire.
— « On improvisera. L'essentiel, c'est qu'on ne subit plus les représailles de Vaughn. » Son regard se posa sur les lunettes. « Et tu continueras à veiller sur la ville, à ta façon. »
Une ébauche de sourire éclaira le visage de Jared.
— « On peut dire ça, oui. »
Ils échangèrent un court instant de complicité, avant de reprendre leur veille : le souffle lourd de Marcus endormi, le clignotement discret d'un ventilateur en fin de vie, et au dehors, le murmure adouci d'une ville à peine reconquise. Cette nuit semblait marquée d'espérance plutôt que d'angoisse, comme si Silvercoast, enfin, leur disait merci.
L'aube appelle
Le matin venu, ils se prépareraient à affronter de nouvelles interrogations : gérer les revendications des Razor Claws, témoigner encore devant le conseil, décider de l'avenir de l'artefact. Mais ils n'étaient plus paralysés par la peur. L'élan actuel jouait en leur faveur—une fenêtre unique pour orienter la cité vers plus de transparence. L'inspecteur Gallagher traquerait la corruption dans les rangs de la police, le procureur poursuivrait Vaughn avec acharnement, et le conseil pourrait enfin passer des lois pour éradiquer ce qui restait de l'empire du Syndicat.
Pour Jared, Ava et Marcus, c'était l'occasion d'influer sur l'avenir de Silvercoast, non plus comme des fugitifs, mais comme des gardiens d'un espoir fragile. Ils avaient passé des alliances douteuses, lutté contre des mercenaires, révélé les ambitions démesurées d'une criminelle. Et au cœur du danger, ils avaient découvert en eux-mêmes un courage insoupçonné—et chez les autres, un soutien inespéré.
À la lueur vacillante d'une lampe de fortune, alors qu'ils se recueillaient dans ce vieux salon, le trio goûtait un répit bienvenu. Ils avaient défié les ténèbres les plus épaisses et lutté contre la trahison et la corruption. Désormais, ils en sortaient blessés mais debout, portés par la gratitude méfiante d'une cité. Demain, ils continueraient—bâtissant une aube inédite où les pouvoirs occultes, les appétits cruels et les conspirations silencieuses ne régneraient plus.
Dehors, le silence nocturne berçait les rues. Des lampadaires éclairaient des ruelles désertes, jadis pétries de crainte. Aujourd'hui, dans le vent, flottait la promesse qu'avec la volonté nécessaire, même un empire criminel pouvait être abattu. Jared, Ava et Marcus le savaient désormais : l'obscurité ne saurait jamais effacer totalement l'aurore, tant qu'il existerait des âmes prêtes à veiller, à découvrir la vérité et à protéger ce que l'on croyait perdu. Après Vaughn, ils incarnaient cette lumière, gardiens du jour naissant, résolus à ne plus laisser le matin se voiler d'ombre.