La nuit enveloppait Silvercoast telle un lourd rideau de velours. Loin du quartier des gratte-ciel, au-delà des néons tapageurs des boîtes de nuit et du halo des tours corporatives, régnait une effervescence plus discrète. Ici, le rugissement de la ville se réduisait à un bourdonnement ténu, ponctué par la sirène lointaine d'une voiture de police ou le vrombissement d'un chantier nocturne.
Jared, Ava et Marcus attendaient dans l'ombre d'une ruelle étroite, entre des murs délabrés marqués de graffitis presque effacés. Leur abri temporaire se résumait à une fourgonnette garée de manière discrète sous un lampadaire hors service. Vue de l'extérieur, on la prenait pour un véhicule à l'abandon—une banale camionnette aux peintures écaillées et au feu arrière brisé. Mais à l'intérieur, ils avaient aménagé un mini-centre de commandement.
Ava vérifia une troisième fois la charge de son stylo-caméra, s'assurant que la batterie était au maximum. Marcus, de son côté, était penché sur son ordinateur, posé en équilibre sur une caisse en bois branlante. Pendant ce temps, Jared, près des portes arrière de la fourgonnette, étirait doucement sa jambe encore douloureuse. Bien que la blessure par balle se soit déjà refermée, elle lui rappelait sans cesse la dangerosité de leur entreprise.
— « On récapitule, » lança Marcus, ajustant ses lunettes. À la lueur d'une petite lampe LED, son visage paraissait tiré mais résolu. « On s'infiltre, on place le mouchard sur le réseau privé de Quentin Glass, on copie ses données, et on repart sans faire de vagues. Pas de cascade héroïque. »
Ava hocha la tête, adressant un regard déterminé à Jared.
— « On veut éviter d'alarmer le Syndicat. Avec un peu de chance, Glass ne saura jamais qu'on a piraté son système. On entre et on sort avant minuit, on met la main sur les fichiers qui l'accusent, et on disparaît. »
Jared déplaça son poids pour soulager sa jambe blessée.
— « Et si ça se complique ? » demanda-t-il à mi-voix.
Ava le fixa :
— « On fuit. On ne peut pas se permettre un échange de tirs. Même si on n'est pas des manches, le Syndicat a trop d'hommes et d'armes. »
Marcus tapota son ordinateur.
— « D'accord. Allons revoir le plan du bâtiment. »
Il tourna l'écran vers eux, dévoilant le plan numérique de la Glass Tower, un immeuble moderne et élancé, bardé de baies vitrées, et relié par une passerelle à un autre édifice. On y voyait un ascenseur privé menant à la suite exécutive de Quentin Glass, probablement le lieu où se trouvaient les dossiers qu'ils recherchaient.
— « La sécurité est moyenne, » indiqua Marcus, surlignant différents points. « Un garde se relaie dans le hall, plus des caméras dans les couloirs principaux. De nuit, il n'y a qu'un effectif réduit. Mais la suite de Glass, elle, est sans doute plus protégée : détecteurs de mouvement, caméras supplémentaires… Méfiance. »
Ava désigna la façade est.
— « Un ascenseur de service sert au personnel technique, et va jusqu'aux étages supérieurs. Si on l'emprunte depuis la zone de livraison, on peut éviter le hall principal. »
Jared croisa les bras.
— « Bien. Je jouerai les guetteurs. Ma jambe me ralentit, je ne serai pas efficace dans les étages. Vous deux, vous infiltrez. Une fois dedans, tenez-moi au courant, et je vous préviens si je vois le moindre souci à l'extérieur. »
Ava posa sur lui un regard où se mêlait compréhension et compassion. Elle savait combien Jared haïssait rester en retrait.
— « Ça marche. » dit-elle doucement.
Marcus ferma l'ordinateur, le rangeant dans un sac matelassé.
— « On s'équipe. Si tout se passe bien, on aura terminé en une heure. »
L'approche
Profitant de l'obscurité, ils conduisirent la fourgonnette jusqu'à la Glass Tower. L'édifice, en lisière du quartier d'affaires, exhibait des lignes épurées, éclairées par des spots au sol projetant des ombres géométriques sur les façades. Vu de loin, c'était magnifique, presque majestueux—un monolithe discret, symbole de pouvoir et de richesse.
Jared gara la camionnette dans une ruelle de service, derrière la tour, éteignant ses phares dès qu'ils approchèrent. Ils stoppèrent près de bennes à ordures et de gros blocs de climatisation, sous un lampadaire vacillant. Vêtus de tenues sombres et passe-partout, ils émergèrent dans l'air frais de la nuit.
Le quai de livraison n'était qu'à quelques mètres, partiellement abrité par un auvent. Aucun garde visible, mais une caméra surveillait l'angle. Ava fit signe d'attendre, sortant un petit émetteur—un brouilleur conçu par Marcus, capable de créer un léger parasitage sur les flux vidéos pendant quelques précieuses secondes.
Elle l'enclencha : un léger bourdonnement vibra. Par un mélange d'impulsions radio et électromagnétiques, l'appareil neutraliserait le champ de la caméra.
— « C'est parti, » souffla Ava.
Ils se précipitèrent tous trois dans l'espace découvert, Jared serrant les dents à cause de sa cuisse douloureuse mais trouvant la force nécessaire. Ils atteignirent la porte métallique du quai, fermée à clé.
Marcus extirpa son kit de crochetage, s'appliquant sur la serrure. Dans le silence de la ruelle, le grattement du métal résonnait comme un tonnerre, mais la rumeur de la ville recouvrait heureusement ce bruit. Au bout de trente secondes, un déclic se fit entendre et il poussa la porte avec précaution.
À l'intérieur, l'odeur d'emballages en carton, de solvants et de café éventé se mêla. Des lampes tamisées éclairaient des piles de palettes et des boîtes de fournitures de bureau. Une caméra de sécurité clignotait dans le coin, mais elle était encore parasitée, leur offrant une brève marge de manœuvre.
— « On y va, » lança Marcus, nerveux.
Ils avancèrent dans un couloir menant à l'ascenseur de service, le sol alternant entre béton et linoléum poli. Le silence nocturne régnait, hormis le bruit sourd de la ventilation. À chaque croisement, Ava guettait caméras et rondes potentielles, tandis que Marcus consultait sur son téléphone un plan miniature. Jared, lui, sentait son cœur cogner, persuadé qu'une alarme pouvait retentir d'une seconde à l'autre.
Vers les étages supérieurs
Ils atteignirent enfin l'ascenseur de service. La porte d'acier luisait, silencieuse. Marcus passa la carte d'accès—trouvée dans un service municipal lié de près aux propriétés de Glass—et un bip discret signala l'accès autorisé. L'ascenseur démarra alors, ses portes se refermant sans un bruit.
Pendant la montée, Jared se posta dans un angle de la cabine, ajustant un écouteur. Une fois séparés, il pourrait garder le contact avec Ava et Marcus. À l'écran indiquant la progression : 10, 11, 12… Au 15e étage, Jared appuya sur l'arrêt.
— « C'est là que je descends, » dit-il, affichant un sourire mêlé d'appréhension. « Faites gaffe là-haut. Si ça tourne mal, appelez. »
Le regard d'Ava trahissait son inquiétude, mais elle se contenta d'acquiescer :
— « Compte sur nous. »
Marcus lui adressa un léger salut. Les portes s'ouvrirent, Jared en sortit en boitillant, puis l'ascenseur reprit sa course vers les étages supérieurs—le domaine de Quentin Glass.
Le sanctuaire personnel du pouvoir
L'ascenseur arriva au 30e étage dans un léger tintement, dévoilant un couloir recouvert d'une moquette épaisse, bordé de vitres offrant une vue panoramique sur la ville illuminée. Tout, du tapis moelleux aux tableaux abstraits, respirait l'opulence et l'ambition.
Ava guidait Marcus, enfilant un couloir qui les mena près d'une réception déserte. Une plaque en laiton poli annonçait : Quentin Glass – Bureaux exécutifs, dans une calligraphie élégante. Marcus pianota sur son téléphone, neutralisant un détecteur de mouvement qu'il avait repéré sur le schéma.
Ils longèrent un coude, atterrissant devant d'imposantes doubles portes. Une plaque indiquait sobrement : Q. Glass. Ava essaya la poignée : verrouillée. Elle sortit un second jeu de crochets, plus sophistiqué. Ce mécanisme était électronique, mais offrait une manœuvre manuelle de secours.
De la sueur perla à son front tandis qu'elle maniait les crochets. Elle manquait d'expérience, mais Marcus, occupé à scanner le système pour repérer d'éventuelles alarmes, ne pouvait s'y atteler. Après une poignée de secondes tendues, elle entendit un léger cliquetis et la porte s'ouvrit à demi.
L'intérieur du bureau de Quentin Glass était aussi luxueux qu'imposant : hauts plafonds, tapis moelleux, baies vitrées du sol au plafond, donnant sur un panorama étourdissant de Silvercoast. Au centre, un immense bureau en bois sombre luisait sous un éclairage subtilement intégré. Un discret parfum de cologne onéreuse flottait, comme si les lieux étaient l'extension même de l'ego de Glass.
— « Marcus, » chuchota Ava en indiquant une porte secondaire, « peut-être une salle de conférence privée. On va voir. »
Il hocha la tête, sondant l'espace à l'aide d'un détecteur portable pour repérer des capteurs cachés. Ava, pendant ce temps, s'approcha du bureau, soulevant précautionneusement certains tiroirs. Elle n'y trouva d'abord que des papiers courants—propositions d'investissement, actes de propriété—qu'elle prit en photo par précaution.
— « Ava, viens voir, » murmura Marcus depuis la pièce attenante.
Elle le rejoignit. Un salon d'affaires, à la fois lounge et salle de réunion, agrémenté de canapés design, d'un mini-bar et d'une vitrine exhibant des trophées. Un grand tableau moderne couvrait la paroi, fait de formes géométriques tourbillonnantes, rappelant étrangement le motif de la spirale. Sous la télé, un meuble fermé à clé attira l'attention de Marcus.
— « Ça a l'air suspect, » indiqua-t-il.
Tandis qu'il examinait la serrure, Ava remarqua une boîte en bois posée sur une table basse, ornée d'une gravure de spirales sur ses bords. Son instinct la poussa à l'ouvrir, mais Marcus l'interpella avant qu'elle ne s'y décide :
— « Trouvé ! » s'exclama-t-il en faisant sauter le loquet. Derrière la porte, un petit serveur et des disques de sauvegarde.
Le cœur d'Ava s'emballa. « Voilà probablement la planque de données de Glass, s'enthousiasma-t-elle intérieurement. S'ils en copiaient le contenu, ils pourraient dénicher tout : comptabilité opaque, plannings de livraison, e-mails compromettants…
Marcus inséra un disque portable dans son sac.
— « Je copie tout, » souffla-t-il. « Ça peut prendre quelques minutes. »
Ava opina, repassant dans le bureau principal pour surveiller. Le silence lui pesait, comme si l'ombre elle-même cherchait à les piéger.
Dans les couloirs secondaires
Pendant ce temps, au 15e étage, Jared s'était installé dans une petite salle de réunion jouxtant la cage d'ascenseur. Par la fenêtre, il apercevait la ville dans la nuit. Mais son objectif était un terminal informatique laissé en accès libre pour les employés. D'après leurs repérages, Marcus avait fourni à Jared un script permettant de consulter les caméras du bâtiment et les journaux de maintenance. Ainsi, il pourrait les alerter à temps si des gardes se mettaient en mouvement vers les étages supérieurs.
Il se cala sur un siège, serrant les dents quand la douleur de sa cuisse remonta. Un bip sur la console l'alerta : une caméra du 29e étage montrait un agent de sécurité en patrouille, s'approchant de l'ascenseur. Le cœur de Jared s'accéléra.
— « Un garde est en route, » murmura-t-il dans son oreillette. « Arrive à votre étage dans peu de temps, dépêchez-vous. »
— « Reçu, » répondit Marcus dans un souffle. « J'en suis à 40 % de la copie… Encore une minute ou deux. »
La voix d'Ava résonna, plus froide :
— « On est prêts à bouger si nécessaire. Tiens-nous au courant, Jared. »
Jared, le regard rivé à l'écran, priait presque pour que le garde rebrousse chemin. Au lieu de ça, l'homme poursuivit son inspection méticuleuse, franchissant porte après porte.
Quand il arriva sur le palier du 30e, Jared sentit son pouls s'emballer.
— « Il est là, » souffla-t-il. « Ava, prépare-toi. »
Le pouvoir affiché
Dans la suite privée de Quentin Glass, la copie s'achevait péniblement. Ava, tendue, écoutait la progression affichée sur l'ordinateur : 80 %, 85, 90… chaque seconde lui paraissait interminable.
Soudain, la poignée de la porte principale s'agita. Une ombre se profila sur le verre dépoli. Le garde vérifiait la porte. Ava sentit l'adrénaline bouillir. Une seconde de trop et il entrerait…
Marcus écarquilla les yeux devant la barre de chargement : « Allez… »
Elle finit par atteindre 100 %. Il arracha la clé USB, referma l'ordinateur.
— « C'est bon, on file ! » la pressa-t-il.
Ava, le cœur battant à se rompre, entendit la porte vibrer sous les secousses du garde. Verrouillée de l'intérieur, elle résistait, mais pas pour longtemps. D'une voix étouffée, le garde parlait dans sa radio, alertant sans doute un collègue. Ils allaient être découverts.
À ce moment-là, Ava se souvint du précieux artefact que Jared lui avait confié au cas où ils seraient séparés. Sans réfléchir, elle glissa la main dans sa poche, en ressortit les Shades of Authority. Un frisson la parcourut. Elle repensa à la façon dont Jared avait anticipé les coups de leurs adversaires. Et si ça l'aidait à orchestrer leur fuite ?
Elle enfila les verres teintés. Le bureau s'obscurcit, mais bientôt, elle aperçut au travers la porte la lueur d'une aura orangée—celle du garde, agitée, rougeoyante de suspicion. Il était sur le point d'ouvrir la porte de force ou d'appeler du renfort.
Marcus rangea le disque de données dans son sac.
— « On dégage, » siffla-t-il, l'angoisse suintant dans sa voix.
Ava, portée par une audace nouvelle, attrapa une boîte décorative repérée sur le bureau. Lourde, plus qu'elle ne l'aurait cru. Elle la lança d'un geste sec vers l'une des vitres latérales. Le verre vola en éclats, déclenchant une alarme stridente. Le garde, surpris par le fracas, hésita, ne sachant s'il devait entrer par la porte ou vérifier ce qu'il se passait côté fenêtre.
Elle fit signe à Marcus. Ils filèrent dans la salle de conférence, puis refermèrent la porte qu'ils avaient crochetée, bloquant au passage la serrure pour gagner quelques secondes précieuses.
Dans le couloir, l'alarme résonnait de plus belle. Aucun autre garde en vue. Ava reprit son souffle, retira les lunettes—les tempes déjà martelées par un début de migraine—et, le sac contenant les données en main, ils dévalèrent les couloirs en direction de l'ascenseur de service.
La course contre la montre
Depuis l'ordinateur du 15e étage, Jared entendait l'alarme dans le microphone de Marcus. Sur les caméras, la lumière rouge clignotait dans les couloirs du 30e. Il vit Ava et Marcus esquiver un second agent armé d'une radio. Sa vue ne couvrait qu'en partie l'action, mais il perçut leur fuite haletante.
— « Le hall est blindé de gardes, » prévint-il dans son oreillette. « Essayez plutôt l'escalier. »
La voix essoufflée de Marcus confirma :
— « Reçu ! On file par l'escalier. »
Jared navigua entre les différentes caméras. Le système affichait maintenant un état d'alerte global. Il se leva vivement, ignorant ses douleurs, puis gagna le couloir pour rejoindre l'escalier central où il devait retrouver ses amis.
Il traversa l'étage en boitant, l'alarme résonnant de partout. Arrivé devant la porte de la cage d'escalier, il colla son oreille contre le battant, entendant des pas précipités.
Quelques secondes après, la porte s'ouvrit à la volée. Ava faillit le renverser, Marcus à ses côtés, hors d'haleine. Derrière, la rumeur d'autres pas se rapprochait.
— « Pas le temps, » lâcha-t-elle entre deux respirations. « On y va. »
Ils filèrent dans le couloir, les travées de bureaux désertes, sous l'éclairage d'urgence rougeâtre. Jared les mena à la salle de réunion où il avait piraté le terminal. Mais déjà, un nouvel échelon de l'alarme s'activait, les couloirs clignotant de rouge, la sirène omniprésente leur vrillant les tympans.
Marcus tenta un dernier coup d'œil à la console, mais il était clair que l'équipe de sécurité convergerait vers l'ascenseur.
— « On doit trouver un autre chemin, » maugréa-t-il, refermant l'écran. « Peut-être les escaliers nord ? »
— « Alors on descend, » trancha Ava, l'anxiété contractant sa mâchoire. « C'est parti. »
Ils s'engouffrèrent dans les couloirs, les néons rouges vacillant. Après avoir dévalé quelques étages, ils débouchèrent sur un palier où trois gardes les attendaient, armés : un avec un pistolet, un autre avec un Taser, et le dernier avec une matraque.
Ava sentit son cœur s'arrêter. Aucun échappatoire sans combattre.
La jeune femme connaissait la puissance de l'artefact. Sans hésiter, elle glissa une fois de plus les Shades of Authority sur son nez. L'obscurité se fit, tandis que les silhouettes des gardes s'auréolaient de couleurs : l'un d'eux, brandissant la matraque, se préparait à charger ; le second, au pistolet, pointait déjà l'arme vers Jared ; le troisième, armé du Taser, hésitait.
— « Couvrez-moi ! » hurla-t-elle à Marcus et Jared.
Ils se dispersèrent, contraignant les gardes à se diviser. Le premier homme bondit en brandissant sa matraque, mais Ava anticipa son geste, se décalant au dernier instant. La matraque fusa dans le vide, et elle en profita pour lui lancer un coup de genou dans les côtes, le déstabilisant.
Marcus se mit à l'abri derrière la rambarde tandis que Jared, malgré sa jambe blessée, feignit un mouvement pour distraire l'homme au Taser. Celui-ci lança ses électrodes, frôlant la veste de Jared sans atteindre la peau.
Dans la vision d'Ava, le garde au pistolet arborait une aura écarlate signe de détermination mortelle. Son doigt pressa la détente, visant Jared. Aussitôt, elle se jeta contre lui, projetant Jared hors de la trajectoire. La balle se logea dans le mur, pulvérisant du plâtre.
Jared s'écrasa contre la rambarde en hurlant de douleur, mais hors de danger. Le porteur de matraque, remis, revint à la charge, lançant un nouveau coup vers Ava. Elle le pressentit grâce aux reflets sombres dans son aura, leva l'avant-bras pour bloquer, ignorant la brûlure du choc, puis asséna un coup de coude à son menton. L'homme tituba, lâchant la matraque.
Marcus, comprenant l'occasion, s'élança pour neutraliser le garde au Taser. Ils basculèrent ensemble sur le sol, l'appareil roulant plus loin, inoffensif.
Restait le tireur. Il prit Ava pour cible. L'aura, autour de lui, bouillonnait de rage meurtrière. Mais en un battement de cils, Ava plongea, roulant sur le béton. Le coup de feu retentit, s'écrasant contre le mur. Elle se redressa, se jeta sur lui, déviant son bras. Le revolver tomba. La haine dans son regard était palpable, mais elle lui bloqua le genou d'un coup sec, le faisant choir.
Jared se releva tant bien que mal, ramassa l'arme, enclencha la sécurité.
— « On file, » haleta-t-il.
Marcus se dégagea de son adversaire, le souffle court. Les gardes, sonnés, gémissaient mais semblaient hors d'état de nuire. L'alarme hurlait toujours.
Ava arracha les lunettes, ses tempes vrillées par un début de migraine. Les jambes tremblantes, elle réitéra :
— « Dans les escaliers, vite ! »
Ils descendirent encore, le sang battant à leurs tempes, la peur les galvanisant. Au rez-de-chaussée, le système était en alerte rouge, mais aucun garde ne surgit à leur rencontre—sans doute l'affrontement à l'étage supérieur en avait-il attiré la plupart. Ils traversèrent le hall, ignorèrent le vigile paniqué, et débouchèrent dans la rue.
L'air glacial de la nuit leur souffla au visage. Sans attendre, ils coururent jusqu'à la ruelle latérale où les attendait la fourgonnette. Marcus prit le volant, Ava et Jared se jetèrent sur la banquette arrière. Le moteur toussa, puis rugit.
Ils s'éloignèrent de la Glass Tower à vive allure, l'adrénaline refluant peu à peu pour laisser place à des tremblements incontrôlés. Ava, serrant les Shades of Authority dans sa main, revoyait mentalement ces auras tourbillonnantes. Jamais elle n'avait combattu de la sorte—jamais elle n'aurait pensé en être capable. Mais l'artefact lui avait offert un instant d'avance crucial, lui évitant la déroute.
Marcus conduisit en évitant soigneusement les grands axes, s'enfonçant dans le dédale obscur de la ville. Enfin, après avoir zigzagué entre rues presque désertes et petites artères silencieuses, il stoppa devant un garage abandonné. L'aube commençait à teinter le ciel de rose, annonçant le lever d'un nouveau jour.
Ils restèrent un instant immobiles, haletants. Jared rompit le silence :
— « On a réussi. »
Ava acquiesça, exténuée, mais un sourire se dessinant sur ses lèvres.
— « Les données sont là. Marcus, tu as pu tout copier ? »
Il brandit un disque portable, un rictus victorieux malgré son visage blafard.
— « Tout y est. Après déchiffrement, je suis sûr qu'on trouvera de quoi incriminer Glass—et peut-être tout le Syndicat. »
Un mince espoir alluma le regard de Jared. À force de risquer leur vie dans l'ombre, ils tenaient enfin entre leurs mains un sésame potentiellement dévastateur pour le Syndicat.
Mais tandis qu'il observait la lumière naissante jouer sur les toits lointains, il ne pouvait ignorer un pincement au cœur : ils venaient de s'introduire chez Quentin Glass, et ce dernier découvrirait vite la brèche. La riposte du Syndicat serait féroce.
Il respira difficilement, posant une main sur l'épaule d'Ava. Elle paraissait aussi épuisée que lui, mais une détermination farouche flambait toujours dans ses yeux. Marcus, le disque précieusement posé sur ses genoux, respirait comme s'il remontait à peine à la surface après une longue apnée.
Ils avaient fait beaucoup de chemin, et pourtant, le plus dur restait à venir. D'autres mystères sommeillaient au cœur ténébreux de la cité. D'autres marionnettistes attendaient de tirer leurs ficelles. Mais pour l'heure, au seuil de l'aurore, ils osaient croire qu'ils allaient pouvoir renverser la vapeur. Les pouvoirs des Shades of Authority s'étaient révélés. Les preuves étaient bien en main.
Restait à survivre à l'orage qui suivrait. Car le Syndicat, blessé, n'épargnerait personne, prêt à dévoiler une nouvelle strate de noirceur dans la lutte pour le contrôle de Silvercoast. Or, l'étalage du pouvoir observé cette nuit n'était que le début d'un affrontement plus complexe encore, dont l'issue déciderait du sort même de la ville.