La clairière grouillait d'activité. Aniaba et Jean-Baptiste coordonnaient les marrons avec une précision militaire. Chaque mouvement était calculé, chaque tâche attribuée avec soin. Les marrons n'étaient pas des soldats, mais ils compensaient leur manque d'entraînement par leur détermination farouche et leur connaissance intime de la forêt.
— Creusez ici, ordonna Aniaba en désignant un sol meuble sous une couche de feuillage dense. Ces pièges devront ralentir leurs chiens.
Jean-Baptiste observait, les bras croisés. Il appréciait le pragmatisme d'Aniaba, mais il savait que cette stratégie ne suffirait pas à tenir indéfiniment.
— Les faux sentiers sont prêts, dit-il finalement, sa voix grave mais posée. J'ai envoyé une petite équipe pour briser quelques branches et semer des traces de passage vers l'ouest. Avec un peu de chance, ils perdront quelques précieuses heures.
Aniaba hocha la tête, satisfait. Mais il sentait la tension monter. Le poids de la responsabilité sur ses épaules était immense, et chaque seconde qui passait rapprochait leurs ennemis.
— Tu crois qu'on pourra tenir assez longtemps ? demanda-t-il à Jean-Baptiste, sa voix légèrement rauque.
Jean-Baptiste posa une main ferme sur l'épaule d'Aniaba.
— Ce n'est pas une question de durée, mais de volonté. Nous ne pouvons pas nous permettre de douter, pas maintenant. Fais leur confiance. Les marrons savent se battre pour leur survie. Et toi, montre-leur pourquoi ils doivent croire en toi.
Aniaba inspira profondément, puis acquiesça. Il se redressa et s'adressa au groupe.
— Écoutez-moi ! cria-t-il, sa voix résonnant dans la clairière. Aujourd'hui, nous faisons plus que nous défendre. Nous montrons à nos ennemis qu'ils ne sont pas les maîtres de cette terre. Chaque piège, chaque embuscade, chaque seconde gagnée, c'est une victoire pour notre liberté. Battez-vous comme si votre vie en dépendait, parce que c'est le cas. Mais souvenez-vous, vous n'êtes pas seuls. Nous sommes unis, et ensemble, nous sommes plus forts qu'eux.
Un murmure d'approbation parcourut les marrons. Ils retournèrent à leurs tâches, ragaillardis par les mots d'Aniaba.
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Marie-Louise, quant à elle, était au centre d'une autre bataille. Sous la direction de Nyala, la mambo, elle participait à un rituel vaudou complexe destiné à protéger le refuge et affaiblir les chasseurs. Elles s'étaient retirées dans une petite grotte ornée de symboles peints à la main, où une lumière vacillante émanait des bougies disposées en cercle.
— Concentre-toi, ma fille, murmura Nyala, sa voix douce mais ferme. Les esprits répondent à la détermination. Si tu doutes, ils hésiteront.
Marie-Louise était agenouillée devant un autel improvisé, son grigri posé devant elle. Nyala disposa autour de l'amulette des morceaux de calebasse remplis de liquides colorés, tandis qu'elle traçait dans l'air des motifs complexes avec un bâton d'encens.
— Baron Samedi, gardien des morts, protecteur des opprimés, appelle Marie-Louise à ton service, invoqua Nyala. Elle est prête à porter ton fardeau, à canaliser ta force.
Marie-Louise ferma les yeux, se laissant guider par les paroles de Nyala. Elle sentit une chaleur croissante émaner du grigri, comme si une force invisible commençait à s'éveiller.
— Ne résiste pas, murmura Nyala. Laisse-le entrer.
Une sensation étrange envahit Marie-Louise, un mélange d'euphorie et de terreur. Des images fugaces traversèrent son esprit : des visages, des souvenirs qu'elle ne reconnaissait pas. Les chants de Nyala devinrent plus rapides, plus intenses, et la lumière des bougies sembla vaciller sous une brise inexistante.
— C'est presque terminé, continua Nyala. Ils ont besoin de temps dehors. Nous devons tenir.
Dans la forêt, la stratégie des marrons se déployait avec une précision remarquable. Cadet Roche et ses hommes tombèrent rapidement sur les premières embûches. Des pièges rudimentaires, mais efficaces, ralentirent leur progression : des fosses camouflées, des branches garnies de pointes aiguisées, des lianes tendues prêtes à renverser les imprudents.
— Ils jouent avec nous, grogna Roche, irrité. Ils savent qu'on est là et ils s'amusent.
Marceau, toujours calme, observa les pièges avec un air analytique.
— Non, ils ne s'amusent pas. Ils gagnent du temps. Et ça fonctionne.
Roche serra les poings, mais il savait que Marceau avait raison. Chaque minute passée à désamorcer un piège ou à contourner une fausse piste rapprochait les marrons de leur objectif.
Les marrons, quant à eux, harcelaient les chasseurs depuis les ombres. Des flèches tirées depuis les hauteurs, des pierres lancées pour distraire les chiens, des cris lointains pour semer la confusion. Les soldats tiraient à l'aveuglette, frustrés et nerveux.
Jean-Baptiste menait une petite équipe dans ce jeu d'usure, surgissant brièvement pour attaquer blessant ou tuant un homme, avant de disparaissant dans les fourrés. Aniaba, de son côté, supervisait les mouvements depuis une position élevée, communiquant par des signaux rudimentaires mais efficaces.
— Roche va perdre patience, murmura Jean-Baptiste en rejoignant Aniaba sur son promontoire. C'est à ce moment-là qu'il sera dangereux.
Aniaba acquiesça, les yeux rivés sur l'avancée laborieuse de leurs ennemis.
— Marie-Louise et Nyala doivent réussir. Si elles activent leur rituel à temps, cela pourrait renverser la situation. En attendant, on continue de les ralentir.
Jean-Baptiste esquissa un sourire.
— Tu deviens un vrai stratège, Aniaba.
Aniaba ne répondit pas, il avait grandit pour être un stratège mais cela n'était pas une précision utile pour le moment. Il préférait se concentrer sur la tâche titanesque qui l'attendait. Chaque instant gagné était une victoire en soi, mais il savait que le véritable test viendrait bientôt. Dans cette jungle où la lumière peinait à percer, la confrontation ultime s'annonçait comme une danse mortelle entre les vivants, les esprits et les ombres.