Jean-Baptiste observa la clairière du haut d'un promontoire naturel. Il compta les soldats restants. Ils n'étaient plus qu'une poignée, regroupés autour de Marceau, protégés par son cercle de lumière vibrante. Malgré leur petit nombre, ils tenaient bon, leur discipline renforcée par la magie du mage. Mais Jean-Baptiste savait que cette situation ne pouvait durer. Si les soldats n'étaient pas éliminés, ils renforceraient bientôt Roche et rendraient la victoire encore plus difficile.
— Pas de pitié, murmura-t-il à ses hommes. Ce cercle ne les protégera pas contre notre détermination.
Il leva un bras, signalant l'assaut. Les marrons, armés d'arcs, de lances et de machettes, s'élancèrent dans une offensive fulgurante. Ils harcelèrent les soldats avec une précision mortelle, visant les angles faibles du cercle. Les flèches ricochèrent parfois contre la barrière magique, mais certaines trouvaient leur cible lorsque la protection vacillait sous les tensions croissantes.
Jean-Baptiste lui-même descendit rapidement, utilisant les arbres comme couverture. Il surgit comme une ombre derrière un soldat distrait et lui trancha la gorge d'un geste précis. Le chaos qui s'ensuivit força les soldats à se disperser, ouvrant des brèches dans leur défense.
Marceau, toujours au centre, gardait un calme apparent, mais il était impossible d'ignorer la tempête dans son esprit. La pure violence dont Roche faisait preuve, et la force surnaturelle qu'il déployait, lui donnaient des doutes qu'il n'avait jamais ressentis auparavant.
— Quelle est cette… chose, murmura-t-il en regardant Roche de loin. Est-il encore humain ?
Il chassa ces pensées. Ses hésitations ne serviraient à rien. Sa mission était claire : protéger les soldats, assurer la capture d'Aniaba et écraser cette rébellion. Il renforça le cercle de lumière en traçant de nouveaux symboles dans l'air, mais il savait que même cela ne tiendrait pas éternellement. De sa main libre il envoya quelques dague propulsées par le vent de sa magie, fauchant plusieurs marrons qui s'approchaient un peu trop ou qui n'était pas assez bien dissimulés lors le leurs attaques.
Dans le cercle de la clairière créé par leur affrontement, Aniaba et Roche continuaient leur duel titanesque. Roche était devenu plus qu'un adversaire redoutable : il était une aberration. Chaque coup porté par Aniaba, même ceux qui semblaient mortels, ne faisaient qu'alimenter la monstruosité qu'il affrontait en puissance. Les ombres autour d'Aniaba semblaient hésiter, comme si elles redoutaient de s'approcher trop près de ce sang épais et sombre qui coulait de Roche.
Aniaba et sa fureur habituelle perdaient du terrain. Il était de plus en plus souvent blessé et son énergie semblait diminuer contrairement à son adversaire.
Marie-Louise et Nyala, la mambo, depuis leur position de retraite, regardaient le combat avec une angoisse grandissante.
— Il perd l'avantage, murmura Marie-Louise. Si Roche continue de se battre comme ça, Aniaba ne tiendra pas.
Nyala hocha la tête, réfléchissant rapidement. Elle se souvenait d'un détail crucial : le grigri qu'elle avait confié à Aniaba, lors de leur première rencontre, il permettaitde canaliser l'énergie des loas. Elle avait espéré qu'il s'en serve pour canaliser sa colère. Mais maintenant elle avait un nouvel usage pour l'artefact. Elle le savait meme s'il savait l'utiliser, seul, il ne serait pas suffisant.
— Nous devons lui donner plus de force, dit-elle avec fermeté. Mais cela demandera un sacrifice.
Marie-Louise la regarda, déconcertée.
— Quel genre de sacrifice ?
Nyala n'hésita pas. Elle tira un grigri de sa poche, l'un des plus puissants qu'elle possédait, et se leva.
— Celui-ci. Je vais l'utiliser pour invoquer Ogun Feray. Lui seul peut lui donner la puissance nécessaire pour vaincre cette chose.
Pendant ce temps, Aniaba trouvait enfin une ouverture. Dans un mouvement d'escrime parfaitement exécuté, il parvint à trancher net les deux mains de Roche, qui tombaient au sol dans un bruit sourd. Le chasseur s'immobilisa un instant, surpris, ses yeux rouges clignotant d'une lueur étrange.
Mais au lieu de s'effondrer, Roche éclata de rire, un son rauque et déchirant.
— Tu crois m'arrêter comme ça ? grogna-t-il.
Le sang épais et noirâtre qui s'écoulait de ses moignons commença à se mouvoir, s'étendant comme des tentacules vivantes. Sous les yeux horrifiés d'Aniaba, et le liquide sombre les rattacha au reste de son corps. En quelques instants, Roche était à nouveau debout, ses poignards dans les mains, prêt à continuer le combat.
— Tu vas devoir faire mieux, cracha Roche.
Nyala, voyant la scène, se lança dans une danse sacrée, le grigri à la main. Elle invoqua Ogun Feray, le Loa du fer et de la guerre, le suppliant d'intervenir. Sa voix s'éleva dans la nuit, entrecoupée de chants et d'incantations. Les marrons autour d'elle s'arrêtèrent un instant, hypnotisés par le spectacle.
Marie-Louise se joignit à elle, ses mains tremblant mais son cœur résolu. Ensemble, elles dansèrent et chantèrent, suppliant le Loa de répondre à leur appel.
Un vent soudain balaya la clairière, et une aura rougeoyante entoura Nyala. Le grigri qu'elle tenait s'illumina d'une lumière éclatante avant de disparaître dans une fumée noire.
Aniaba sentit la différence immédiatement. Une chaleur intense envahit son corps, et son sabre, qui semblait terne quelques instants plus tôt, se mit à briller d'un éclat rouge orange comme la braise. Les ombres autour de lui devinrent plus vives, plus agressives et plus ordonnées, elles se tenaient derrière comme une armée dont il etait le général. Il se redressa, un nouveau feu brûlant dans ses yeux.
Roche, malgré l'avantage clair que lui donnait ses poignards, recula légèrement.
— Qu'est-ce que c'est que ça? murmura-t-il.
Aniaba ne répondit pas. Il sentit une vague de puissance l'envahir. Ce n'était pas seulement une énergie brute, mais une conscience claire et affûtée, un lien instinctif avec le métal et la guerre. Il regarda son sabre, désormais plus qu'un outil : il était une extension de son être. La lame dégageait une chaleur intense, une lueur orange vibrante, comme si un feu ancestral brûlait à l'intérieur de l'acier.
Tout autour de lui, le métal à ses yeux semblait prendre vie. Il sentait la présence des mousquets abandonnés au sol, distinguant d'un simple regard lesquels étaient encore chargés. Les lames, les balles, même les poignards de Roche, lui semblaient familiers, comme des pièces d'un vaste échiquier dont il maîtrisait chaque mouvement.
Il inspira profondément, la rage qui avait guidé ses attaques précédentes s'étant métamorphosée en une stratégie froide et méthodique. Devant lui, Roche, toujours armé de ses poignards, le fixait avec une haine palpable, mais une étincelle d'hésitation se mêlait à son regard.
— Tu es différent certes, mais peut importe, grogna Roche, ses muscles tendus, prêt à frapper.
Aniaba répondit d'un mouvement rapide. Il fit un pas en avant, feinta un coup direct, et au dernier instant, pivota pour attaquer le flanc de Roche. Le chasseur tenta de bloquer, mais Aniaba anticipa sa riposte avec une précision semblable à de la prémonition, forçant Roche à reculer.
Le combat avait changé. Aniaba ne frappait plus avec une rage aveugle ; chaque mouvement était calculé, chaque coup destiné à exploiter une faiblesse dans la garde de Roche. Pour la première fois, ce dernier semblait sur la défensive.
À l'arrière, Nyala, épuisée par l'invocation d'Ogun Feray, s'effondra à genoux. Sa respiration était haletante, et son bras gauche, avec lequel elle portait le grigri sacrifié, était couvert de brûlures, et de profondes lacérations. Marie-Louise, à ses côtés, tenta de la soutenir, mais l'état de la mambo s'aggravait à vue d'œil.
C'est alors que Victor arriva en courant, son visage marqué par l'inquiétude.
— Écartez-vous, ordonna-t-il à Marie-Louise en s'agenouillant près de Nyala.
Il examina rapidement ses blessures, ses doigts expérimentés évaluant les brûlures et les entailles.
— Elle a dépassé ses limites et est gravement blessée, murmura-t-il. Ses nerfs et ses muscles sont gravement endommagés.
Victor sortit une petite fiole d'herbes et de baumes de sa poche, appliquant soigneusement le mélange sur les blessures de Nyala.
— Vous avez fait votre part, lui dit-il doucement. Maintenant, reposez-vous. Je vais m'occuper de vous.
Nyala hocha faiblement la tête, ses lèvres esquissant un sourire malgré la douleur intense.
— Aniaba… il a besoin de nous tous, murmura-t-elle avant de perdre conscience.
Non loin de là, Jean-Baptiste faisait face à Marceau. Le mage avait élargi son cercle de protection, mais Jean-Baptiste n'était pas impressionné. Il avançait, méthodique, utilisant les ombres de la jungle comme couverture, esquivant les sorts. À chaque fois qu'il apparaissait, c'était pour frapper rapidement, testant les limites du pouvoir de Marceau.
— Vous êtes persistant, je vous l'accorde, lança Marceau, un sourire froid sur les lèvres. Mais cette lumière ne faiblira pas si facilement.
Jean-Baptiste répondit par une feinte. Il lança une pierre dans une direction, attirant l'attention de Marceau. Le mage se retourna et pulvérisa un arbre avec une puissante bourrasque. Jean-Baptiste profita pour surgir derrière lui. Il frappa le cercle avec son couteau, provoquant une onde de lumière qui le repoussa violemment. Jean-Baptiste glissa au sol avant de se stabiliser.
Marceau secoua la tête. Il le regarda avec pitié avant de lancer
— Vous ne comprenez pas, n'est-ce pas ? Ce cercle n'est pas une simple barrière. C'est une extension de ma volonté. Chaque attaque ne fait que renforcer ma détermination.
Jean-Baptiste, toujours calme, esquissa un sourire. Il retira une petite fiole de sa ceinture, contenant un liquide sombre.
— C'est ce que je voulais entendre, répondit-il.
Il jeta la fiole contre le cercle. Le liquide éclata en une fumée noire qui s'infiltra dans la lumière. Marceau commença a tousser et pleurer sous l'influence du gaz. C'était un simple gaz irritant mais il avait fait son office déconcentrer le mage. Le cercle trembla légèrement et commençait montrer des signe de faiblesse. Marceau plissa les yeux, concentrant ses efforts pour maintenir la barrière. Mais l'effet était clair : la magie n'était pas invulnérable, et sa faiblesse était le mage lui même.
Pendant ce temps, le combat entre Aniaba et Roche atteignait un nouveau paroxysme. Aniaba utilisait désormais son lien avec le métal pour anticiper chaque mouvement de Roche. Les poignards de ce dernier, bien qu'imbibés d'une énergie maléfique, ne pouvaient rivaliser avec la maîtrise totale qu'Aniaba avait de son sabre.
Roche, frustré, lança une attaque désespérée, balayant l'air avec ses deux poignards. Aniaba esquiva avec une élégance et une vitesse surnaturelle, puis riposta d'un coup vertical qui fendit l'air avec une puissance brute. Roche recula, son souffle saccadé. Le temps de relever la tête il vit Aniaba un mousquet et un pistolet en main. Deux détonations retentissent dans un flash. Roche fut atteint à l'épaule et en pleine tête.
Aniaba le regardait tandis les blessures de son ennemi se refermaient.
— Ce n'est pas fini, gronda Roche.
Aniaba se redressa, jetant les armes a feu sur le côté, il tira son sabre luisant dans l'obscurité.
— Non, ce n'est pas fini. Mais ta fin est proche.
La confrontation continua, chaque coup porté par Aniaba affaiblissant un peu plus son adversaire. Le feu d'Ogun Feray brûlait dans ses veines, et pour la première fois, Aniaba sentait qu'il avait le dessus. Mais il savait que cette puissance avait un coût, et il espérait qu'il serait prêt à le payer.
Il s'élança une fois encore, sa lame traçant un arc de lumière orangé, il attaqua avec une fureur renouvelée. La confrontation atteignait son apogée, et le destin de chacun se jouait dans cette danse de vie et de mort.