Le silence de la demeure principale était devenu oppressant, presque tangible. Chaque craquement du bois sous les pas lourds d'Aniaba semblait annoncer une sentence imminente. Sa silhouette massive, enveloppée d'ombres dansantes, s'étira comme une présence surnaturelle tandis qu'il montait lentement les escaliers menant à la chambre d'Augustin Duverger.
La porte à double battant était fermée, mais elle ne constituait pas une barrière. Aniaba posa une main ferme sur le bois, et d'un mouvement brutal, la fit voler en éclats. La pièce était plongée dans une obscurité partielle, les rideaux lourds ne laissant passer qu'une faible lueur de lune. Duverger, réveillé en sursaut, se redressa sur son lit, ses yeux ronds de peur. Son visage, gonflé par les excès et l'arrogance, était maintenant déformé par une terreur palpable.
— Qui ose… ? balbutia-t-il, sa voix tremblante, avant que ses mots ne meurent sur ses lèvres.
Aniaba entra dans la pièce avec une lenteur calculée, chaque pas amplifiant une tension presque insoutenable. Le sabre qu'il tenait émettait une faible lueur spectrale, comme s'il était imprégné des ombres qui tourbillonnaient autour de lui. Une aura meurtrière semblait l'envelopper, palpable, presque étouffante. Ses yeux brillaient d'une lueur surnaturelle, une étincelle de colère brute, alimentée par des forces bien au-delà de l'humain.
— Augustin Duverger, commença Aniaba, sa voix basse mais vibrante de rage, chaque mot claquant comme une sentence. Je suis Aniaba, la main des Loas. Ce soir, je suis venu pour te juger, car tu as failli à ton humanité.
Duverger se recroquevilla un peu plus sur lui-même, son regard paniqué cherchant frénétiquement une échappatoire. Il était piégé, acculé dans ce qui était jadis son sanctuaire de pouvoir et d'arrogance. Son visage, gonflé par l'excès et les années de domination, était maintenant déformé par une terreur abjecte.
— Juger ? Pourquoi ? Je suis innocent… Je… je n'ai commis aucun crime…
— AUCUN CRIME ?! hurla Aniaba, sa voix faisant trembler les murs du sol au plafond. Ta vie entière est un crime, Duverger. Ton égo est si fragile qu'il exige un sacrifice quotidien. Tes esclaves, ta femme, tes enfants, tes partenaires, ou de simples passants… Tous ont connu les tourments de t'avoir simplement croisé. Aucun crime, dis-tu ? Alors passons-les en revue, si tu le veux bien : meurtre, torture, mutilation, viol, violence, mensonge, calomnie, vol… Est-ce cela que tu appelles "aucun crime" ?
— P-pardon… supplia-t-il, sa voix brisée. Je… je ne suis qu'un homme… Je n'ai fait que ce que la société attendait de moi, sinon je n'aurais pas pût survivre… c'est tuer ou être tuer … Je… je n'avais pas le choix.. et puis … et puis … Ça ne compte pas… Ce ne sont pas des hommes… Ils… ils ne sont pas comme nous… Ce… ce ne sont pas des hommes… Ce sont des animaux. Ils n'ont pas d'âmes !… Vous… vous n'avez pas d'âme ! cria-t-il, comme pour invectiver Aniaba le pointant d'un doigt tremblant entre terreur fureur et mépris.
Aniaba éclata de rire. Un rire froid, au son creux, dénué de toute chaleur. Ce rire résonna comme un glas, emplissant la pièce d'une menace sourde et inéluctable.
— Pas d'âme… Pas le choix ? répéta-t-il avec un sarcasme mordant, s'approchant à pas mesurés. Tu oses te prétendre une victime ? Toi, Augustin Duverger, qui as ordonné, fouetté, torturé, et tué sans une once de remords ? Toi, qui as bâti ta fortune sur le sang et les cris des innocents, sur la chair brisée d'hommes, de femmes, et d'enfants ?
Aniaba s'interrompit, ses yeux étincelants d'une lueur sombre. Son rire se transforma en un rictus cruel.
— Pas d'âmes… ? Très bien, alors prouvons-le, murmura Aniaba, son ton devenu tranchant. Appelons-les, ces êtres sans âmes, et voyons s'ils viennent te réclamer. Appelons-les, Duverger. Les âmes de toutes tes victimes. Si elles n'ont pas d'âmes, tu n'as rien à craindre, n'est-ce pas ?
Aniaba marqua une pause, ses mots lourds de reproches et de jugements. Ses pas le menèrent directement au bord du lit, où Duverger, figé par la peur, osait à peine respirer.
— Mais toi et moi savons que cela n'est pas vrai n'est ce pas, nous avons que c'est un mensonge derrière le quel vous vous cachez pour échapper à la culpabilité, nous savons que vous etes des lâches. Toi et moi savons aussi que ce soir, poursuivit Aniaba, chaque vie prise, chaque larme versée, chaque cri libéré par ton joug trouvera justice. Tu ne connaîtras ni clémence ni pardon, et meme la mort ne t'offrira pas de répits. Ce soir, Duverger et ton nom sera effacé par le sang.
Il leva lentement ses mains, et les ombres de la pièce semblèrent s'animer en réponse à son appel. Elles convergèrent vers lui, ondulant comme une mer agitée, puis s'étendirent vers Duverger, s'enroulant autour de ses membres avec la précision cruelle de serpents constricteurs. Chaque mouvement semblait chargé d'une intention, d'une vengeance froide et inéluctable.
— Que faites-vous… ? Non… NON… ! supplia Duverger, se débattant inutilement alors que les ombres le soulevaient du lit, le maintenant suspendu dans les airs, immobile, tel un pantin brisé.
Les ombres commencèrent à s'insinuer dans son corps, passant par sa bouche ses oreilles, ses yeux et ses narines. La panique céda place à l'agonie pure lorsqu'un hurlement perçant strident et animal, jaillit de ses lèvres. Un cri si profond qu'il semblait résonner dans les murs même de la demeure. Mais Aniaba, inébranlable, observant chaque instant, froid et impassible, comme si ce qu'il voyait n'était que le début d'une réparation attendue depuis trop longtemps.
Il s'arrêta devant le lit, son regard planté dans celui de Duverger.
— Ce soir, tu répondras pour tes crimes.
Les âmes des victimes de Duverger commencèrent à apparaître autour de lui. Des silhouettes éthérées, transparentes, mais empreintes de douleur et de colère. Chacune tenait un instrument de torture spectral : des fouets, des tisons ardents, des machettes spectrales. Et elles se mirent à frapper.
Le premier coup de fouet fendit l'air et s'abattit sur le dos de Duverger, déchirant sa chair comme si elle était en papier. Il hurla de douleur, mais avant même que la blessure ne puisse saigner, elle se refermait instantanément, prête à subir un nouveau coup.
— Pour chaque vie que tu as brisée, dit Aniaba, sa voix grave et posée. Pour chaque cri que tu as ignoré, pour chaque acte que tu as commis, tu ressentiras leur douleur.
Les coups se succédèrent, inlassables, innombrables. Les fouets spectraux lacéraient son corps, les tisons ardents lui brûlaient les yeux, laissant des orbites fumantes avant que ses globes oculaires ne se régénèrent pour subir à nouveau le même supplice. Ses mains et ses parties génitales furent coupées, son nez et ses oreilles sectionnés ou arrachés, avant que chaque partie ne se rattache magiquement, prête à être détruite encore et encore. Des objets de tous genres, lames bâtons tisons fumants … étaient enfoncés dans son anus encore et encore et encore par des spectres de femmes enragées. le sang coulait à flot. Duverger n'était qu'une masse rouge et hurlante sur laquelle pleuvait le châtiment.
À mesure que les âmes continuaient leur torture, la réalité elle-même semblait se distordre. Le sol de la pièce devint glissant de sang, bien plus que ce qu'un seul corps humain pouvait contenir. Au point que ce sont maintenant coulait dans les escaliers sur les mus des pièces du rez de chaussé, formait une cascade en s'écoulant du balcon de la chambre du maitre de maison. Les murs eux même vibraient sous l'intensité du supplice, comme si la maison elle aussi hurlait avec lui. étrangement aucun son ne perturba la chaleur de la nuit à l'extérieur des murs de la chambre de Duverger. Cette chambre isolée dans un monde d'ombre était devenu son petit enfer personnel. En effet le diable en personne n'aurait pas mieux fait.
Duverger, qui avait commencé par supplier, était maintenant réduit à des gémissements incohérents. Ses yeux, pleins de terreur et de douleur, fixèrent Aniaba une dernière fois avant que son esprit ne cède totalement.
Cette fois ci l'écho de son hurlement final sembla se répercuter dans les recoins les plus sombres de la plantation. les esclaves réveillés en sursaut sortirent de leurs cases pour voir un véritable fontaine de sang couler de la chambre du maitre. plusieurs gardes furent retrouvés au sol la gorge tranchée. le contre maitre était dans son lit un pieu de la taille du bras d'un homme adulte enfoncé dans sa poitrine au point d'être fermement fiché dans le sol. Tandis que les enfants dictateurs autrefois si arrogants était eux pendus aux branches puissantes d'un fromager centenaire, plusieurs symboles vaudous gravés sur leur peau.
Finalement, lorsque tout s'arrêta. Les âmes disparurent une à une, laissant la pièce plongée dans un silence presque assourdissant. Au centre du carnage, le corps de Duverger gisait, mutilé au-delà de toute reconnaissance, baignant dans une piscine de sang démesurée.
Aniaba resta immobile un instant, fixant le cadavre. Sa respiration était lourde, ses épaules tombaient un peu sous l'effort colossal qu'était d'appeler par delà la mort toutes ses âmes, mais son regard était impassible. Ce n'était pas de la satisfaction qu'il ressentait, ni même du soulagement. Juste une étrange mélancolie.
— La justice des Loas est implacable, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour quiconque.
Il se retourna lentement, quittant la pièce sans un regard en arrière. La maison semblait plus sombre qu'avant, comme si elle portait elle aussi le poids de ce qui venait de se passer. Dehors, le vent soufflait doucement, transportant avec lui les cris, la peine la douleur et les âmes de ceux qui son passés.