Marceau n'était pas homme à se laisser surprendre, et encore moins à se laisser intimider. L'invitation d'Armand de Lignac, bien qu'enrobée d'une courtoisie de façade, était une déclaration de guerre voilée. Il le savait. Un homme comme de Lignac, énigmatique et manifestement puissant, ne faisait rien sans raison. Si Montclair avait cru qu'un simple échange mondain suffirait à calmer les tensions, il se trompait lourdement.
Avant de quitter son modeste logement, Marceau s'assura d'être prêt. Il revêtit une tenue sombre avec une capuche dissimulée dans son col, utile pour se cacher dans la nuit s'il devait fuir, mais aussi renforcée par des protections alchimiques : des coutures imprégnées de sels bénis pour repousser les entités surnaturelles et un plastron de cuir traité pour résister aux coups d'épée et de mousquet aussi efficacement que du métal. Autour de son cou, bien dissimulé sous le col de sa chemise, pendait son talisman shamanique. Ce dernier avait déjà prouvé sa valeur en contrant l'attaque mentale de Montclair.
Il glissa également plusieurs fioles dans une ceinture intérieure : des potions qu'il avait concoctées avec soin. L'excommunication qui avait coupé court à sa formation avait laissé Marceau sans la puissance brute propre aux mages de son ordre. Pour compenser, il avait appris à exploiter toutes les opportunités, même les plus douteuses.
Un jour, il avait surpris un jeune alchimiste en train de courtiser une professeure mariée à un homme influent. Profitant de l'occasion, Marceau avait discrètement fait chanter le couple, obtenant plusieurs formules simples mais efficaces que même un novice pouvait fabriquer. Parmi elles : une formule de feu liquide, capable de faire fondre la pierre ; une brume paralysante qui étourdissait en quelques secondes ; une fumée acide et corrosive diffusée au contact de l'air ; et une potion de soin rapide pour traiter les plaies superficielles. Ces substances, associées à sa magie du vent, avaient transformé ses compétences rudimentaires en un arsenal redoutable.
Marceau complétait cet équipement par des talents plus physiques. Doué au lancer de couteaux, il dissimulait de petites lames acérées dans les replis de sa veste, prêtes à frapper à tout moment. Il ajouta deux pistolets améliorés, qu'il avait gagnés à un jeu de cartes contre un vieil alchimiste trop éméché pour s'apercevoir de la triche. Ces armes étaient capables de tirer trois coups successifs sans rechargement et étaient dotées d'un système d'ignition automatique – une prouesse.
Enfin, Marceau fixa à sa ceinture un sabre et une dague courte enchantée, qu'il avait acquise lors d'une mission passée. Bien que peu habitué au combat rapproché, il savait que la prudence était une arme aussi essentielle que la magie. Préparé autant qu'il pouvait l'être, il quitta les lieux, les pensées lourdes d'appréhensions, mais le regard fixé sur la bataille mentale et stratégique qui l'attendait.
Enfin, enfin il glissa a sa ceinture un sabre ainsi qu' une dague courte une lame enchantée qu'il avait acquise lors d'une mission passée. Bien que peu habitué au combat rapproché, il savait que la prudence était une arme aussi essentielle que la magie. Préparé autant qu'il pouvait l'être, il quitta les lieux, ses pensées lourdes d'appréhensions.
Le domaine d'Armand de Lignac était à l'image de son maître : imposant, teinté d'une aura de mystère et d'une menace latente. Les grilles noires, ornées de motifs en forme de corbeaux, s'ouvrirent lentement à son arrivée, grinçant comme si elles protestaient contre chaque mouvement. Une longue allée bordée de manguiers noueux menait à la demeure principale, un manoir colonial écrasant par ses proportions. Les hautes fenêtres, ajourées de jalousies, semblaient cacher des ombres qui suivaient chaque pas de l'invété, des présences muettes qui pesaient sur l'atmosphère. La maison était magnifique, baignant dans les rayons orangés du soleil déclinant, mais une beauté trompeuse, semblable à un masque dissimulant une monstruosité.
Plusieurs esclaves étaient à l'œuvre dans le jardin, taillant les haies avec précision ou ramassant les feuilles mortes. D'autres passaient par des portes dérobées, portant des seaux d'eau ou des plateaux destinés aux cuisines. Leurs gestes étaient silencieux, calculés, empreints d'une tension palpable. Marceau, depuis le porche, entendait la musique et les conversations des convives, des échos feutres étrangement dissonants dans cet écrin de calme apparent.
Un valet l'accueillit avec une chaleur artificielle, son sourire soigneusement composé masquant mal la lueur de terreur dans ses yeux. Ce décalage frappant frappa instantanément Marceau, qui enregistra ce détail comme un indice supplémentaire du caractère sinistre de l'endroit.
À l'intérieur, le manoir était somptueusement décoré, chaque pièce évoquant un luxe opulent mais étouffant. Les chandeliers éclairaient des bibelots en cristal et en porcelaine, des tapisseries détaillées et des sculptures magistrales, pourtant une étrange présence semblait émaner de ces objets. En y regardant de plus près, Marceau crut discerner dans les tableaux des regards qui le suivaient, et dans les sculptures, des formes qui paraissaient changer à la faveur de la lumière.
Les murs dégorgeaient de mystères oubliés, comme si chaque recoin abritait un secret qui n'attendait que le moment opportun pour se révéler. Les sons, si doux et polis qu'ils étaient, semblaient résonner avec un écho étrange, d'une profondeur qui rendait l'expérience plus immersive qu'elle n'aurait dû l'être.
Enfin, Armand de Lignac apparut dans un salon spacieux. Il était vêtu d'un costume sombre qui contrastait avec la richesse colorée des lieux, et son sourire carnassier éclairait son visage pâle d'une expression ambiguë, oscillant entre bienveillance et menace latente.
— Marceau, bienvenue dans mon humble demeure, dit-il, son ton exagérément chaleureux trahissant une certaine ironie. J'espère que vous ne vous êtes pas trop perdu en chemin, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil appuyé au sabre à la ceinture de son invité.
Il sourit mais ne dit rien, son expression oscillant entre la condescendance et une menace sous-jacente. C'était comme s'il voulait marquer une supériorité implicite, tout en laissant à Marceau l'illusion de pouvoir garder ce sabre insignifiant, un jouet qu'il tolérait par pur amusement.
— Pas du tout, répondit Marceau , tout en inspectant discrètement la pièce du coin de l'œil. Vos domestiques ont été… efficaces.
Les regards des esclaves, presque invisibles au départ, devinrent évidents pour lui à cet instant. Ils semblaient s'éclipser dans l'ombre, évitant soigneusement de croiser celui de Marceau, leurs gestes trahissant une peur viscérale. Chaque détail renforçait le sentiment croissant d'un lieu empreint d'une énergie malsaine, où l'éclat des apparences masquait une horreur à peine contenue. Quelque chose ici n'allait pas. Chaque fibre de son être le lui criait.
Après quelques échanges de courtoisie, où de Lignac joua le rôle du parfait hôte, il proposa à Marceau une visite de sa demeure. Le mage, bien qu'hésitant, accepta. Il savait que de Lignac cherchait à le déstabiliser, à l'impressionner ou à le tester, mais il était déterminé à ne rien laisser paraître.
De Lignac l'emmena d'abord à l'étage, dans son bureau. De là, il ouvrit une large porte-fenêtre donnant sur un balcon qui surplombait l'ensemble de la propriété. La vue était spectaculaire, mais empreinte d'une opulence presque oppressive.
— Nous sommes autonomes ici, dit-il avec une fierté non dissimulée. À gauche, le verger, planté par mon père, où poussent des arbres fruitiers en abondance. Plus loin, un potager capable de nourrir tout le domaine. En face, les champs de canne à sucre, irrigués par cette rivière. Vous noterez nos trois moulins hydrauliques, essentiels pour extraire le jus et produire du sucre et du rhum. Je me plais à dire que même Versailles se fournit chez moi, bien que ce ne soit pas exclusivement, ajouta-t-il avec un rire feutré. À droite, nos champs de café, destinés à l'exportation. Je ne suis pas très café, personnellement. Je préfère le thé d'Orient. Enfin, derrière la villa, en retrait, vous trouverez nos élevages : plusieurs centaines de têtes de bétail — des poules, ovins, caprins, bovins de races variées, et même quelques chevaux pur-sang.
Le soleil couchant baignait la scène d'une lumière dorée, rendant l'ensemble presque idyllique. Pourtant, Marceau ne pouvait s'empêcher de ressentir une profonde inconfort. La présence de de Lignac dégageait une aura glaçante, rendant cette démonstration de richesse et de splendeur naturelle oppressante au lieu d'être impressionnante.
Après cet étalage de ses possessions, de Lignac ramena Marceau à l'intérieur. Il le présenta brièvement à quelques convives : des avocats, des comptables, des marchands et d'autres propriétaires terriens, un mélange d'aristocrates et de bourgeois. Les présentations furent rapides et sans éclat, mais Marceau nota les regards évasifs de certains, les sourires forcés d'autres.
Les couloirs du manoir semblaient interminables, ornés de tapisseries anciennes et de candélabres finement sculptés. Pourtant, tout, des murs aux sols, était imprégné d'une énergie malsaine. Marceau ne pouvait s'empêcher de ressentir une tension croissante. Les murs semblaient presque respirer, et une sensation de malaise s'épaississait à chaque pas. De Lignac le guidait avec une aisance déconcertante, commentant avec une désinvolture presque provocante les artefacts et objets anciens qui décoraient les lieux.
Chaque sculpture, chaque tableau semblait dégager une aura subtile mais menaçante. Marceau, en silence, notait chaque détail, essayant de discerner la signification cachée derrière ce qui, à première vue, aurait pu être une collection d'art exceptionnelle.
Soudain en passant devant une porte fermée, Marceau ressentit une fluctuation magique. Subtile, mais indéniable. Elle venait d'en bas, du sous-sol, et dégageait une énergie sombre et oppressante. Ses sens s'aiguisèrent, et il ne put s'empêcher de s'arrêter un instant, scrutant le sol comme s'il pouvait y voir à travers.
— Quelque chose vous trouble, Marceau ? demanda de Lignac, un sourire narquois sur les lèvres.
— Une perturbation magique, répondit-il, jouant la carte de l'honnêteté. Vous avez quelque chose d'intéressant en bas, il me semble.
De Lignac éclata d'un rire doux, presque mélodieux.
— Ah, vous avez un œil averti. Oui, mon laboratoire est situé en sous-sol. Si cela vous intrigue, venez. Je vous montrerai mes… recherches.
Sans attendre de réponse, il se dirigea vers la porte épaisse qui s'ouvrit sur un escalier dissimulé, Marceau le suivant avec prudence. Il savait que ce qui l'attendait ne serait pas ordinaire. peut être était ce là que se trouvait le piège. de plusieurs gestes discret de la main gauche il prépara une incantation silencieuse.
Le sous-sol était glacé, saturé d'une odeur fétide mélangeant fer, rouille et une pointe d'humidité stagnante qui collait à la peau. Les murs de pierre, suintants à certains endroits, étaient éclairés par des torches vacillantes dont la lumière tremblotante projetait des ombres mouvantes, semblables à des spectres prisonniers des lieux. Chaque pas émettait un écho sinistre, amplifié par le silence oppressant. Marceau sentit son talisman chauffer doucement contre sa poitrine, comme un avertissement silencieux, renforçant son sentiment de danger imminent.
Lorsqu'ils atteignirent enfin le bas des escaliers, une vision cauchemardesque s'offrit à lui. Une immense crypte, aussi vaste qu'un entrepôt, se déployait sous ses yeux. Marceau s'arrêta net, frappé par l'ampleur du spectacle. Des étagères colossales, érigées en rangées parfaites, s'étendaient à perte de vue. Mais au lieu de contenir des marchandises ordinaires, elles regorgeaient de corps humains, soigneusement ordonnés comme des objets inanimés.
Leur peau, d'une teinte grise et parcheminée, semblait tendue sur leurs os, conférant à leurs visages une expression grotesquement figée. Les yeux ouverts émettaient une lueur rouge malsaine, pulsant avec une cadence irrégulière, comme les battements d'un cœur mort-vivant. Ces crânes éclairés de l'intérieur par une énergie corruptrice paraissaient fixer Marceau, réduisant la pièce à une galerie d'horreurs vivantes.
Certains cadavres murmuraient, leurs lèvres desséchées s'écartant lentement sans produire de sons audibles, tandis que d'autres restaient parfaitement immobiles. Pourtant, leur simple présence était presque insupportable : un poids psychologique écrasant émanait de ces êtres suspendus entre vie et mort, comme des marionnettes infernales attendant l'appel de leur maître.
— Impressionnant, n'est-ce pas ? murmura de Lignac, son ton doucereux empreint d'une fierté glaçante. Chaque spécimen ici a été soigneusement préparé. Ils attendent simplement leur moment pour servir une cause plus grande.
Marceau sentit une bouffée de nausée monter à sa gorge. Il ferma les poings, essayant de contenir le mélange de répulsion et de colère qui bouillonnait en lui.
— De la nécromancie ?!! C'est une abomination condamnée par tous les ordres magiques ! Qu'Aniaba et les marrons s'en servent, passe encore, mais vous… Vous êtes un fier aristocrate du royaume et vous… vous vous abaissez à ça ? Vous les traitez comme des objets… Ces gens…, murmura-t-il d'une voix brisée, son souffle saccadé par l'indignation.
— Aniaba connaît la nécromancie ? J'ai hâte de pouvoir échanger avec un confrère, s'exclama-t-il en riant à gorge déployée, c'est une excellente nouvelle pour la suite de notre plan cela nous facilite grandement les choses. Quant à ces gens comme vous dites, Marceau, ces gens ont déjà quitté ce monde, répliqua de Lignac, un sourire carnassier éclairant son visage. Je ne fais que recycler ce que la mort a abandonné. Ne voyez-vous pas là une stratégie brillante ? Ne vous inquiétez pas, je ne les ai pas tués moi-même. Les morts sont une ressource inépuisable, et, une fois… transformés par mes soins, ils deviennent des serviteurs parfaits : ni fatigue, ni faim, ni peur. Ils n'abandonnent leur mission que lorsqu'elle est accomplie. Ah, et pour votre information, cet entrepôt est le plus petit que je possède. Deux autres, bien plus vastes, regorgent de ressources similaires.
Son rire, faible mais glaçant, fit écho dans la crypte. Marceau recula d'un pas, son esprit tentant frénétiquement d'échafauder une stratégie. De Lignac n'était pas seulement un adversaire politique ou un allié douteux : il était une menace à éliminer, une aberration vivante d'un mal profond et calculé.
— Alors, Marceau, poursuivit de Lignac, êtes-vous prêt à voir jusqu'où la magie peut nous mener ? J'ai encore d'autres merveilles à vous présenter. Suivez-moi.
Avec un claquement sinistre, la porte derrière eux se referma soudainement, résonnant dans l'immense crypte comme le glas d'une sentence. Marceau sentit un frisson glacial courir le long de son échine. Il inspira discrètement, rassemblant son courage et calmant son esprit en ébullition. Pris au piège dans ce sanctuaire de cauchemar, il savait que chaque pas supplémentaire l'enfonçait plus profondément dans les entrailles d'une folie qu'il n'aurait jamais imaginé affronter.