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Chapter 43 - Chapitre 43

La clairière était devenue un champ de bataille surnaturel, chaque recoin éclairé par la lueur vacillante du sabre enflammé d'Aniaba et les pulsations rouges des lames qui couronnaient les tentacules de Roche. Les ombres autour d'eux s'étiraient, se contorsionnaient, fusionnaient avec le sol et les arbres, liées par la volonté indomptable du champion des Loas. Ces ombres ne restaient pas passives : elles s'étaient propagées dans la clairière, s'emparant des cadavres épars. Un à un, les corps brisés avaient commencé à trembler, leurs membres raidis se redressant avec une lenteur sinistre avant de se remettre sur pied. La magie noire et divine insufflée par Aniaba leur donnait une vie nouvelle, une existence consacrée à une seule tâche : détruire Roche.

Ces hommes, jadis vivants, étaient désormais l'armée d'Aniaba. Leur insensibilité à la douleur et à la peur, combinée à une obéissance absolue, les rendait redoutables. Pour eux, il n'y avait plus de fatigue ni de doute. Certains des morts relevaient même des soldats qui avaient combattu aux côtés de Roche, leurs visages autrefois arrogants défigurés par des blessures mortelles. Désormais, leurs gestes étaient raides mais inflexibles, leur détermination presque mécanique en faisait des instruments parfaits de vengeance. Ils attaquaient sans relâche, des armes rouillées à la main ou simplement avec leurs membres brisés.

Roche, transformé en une créature cauchemardesque atteignant les 2,5 mètres de hauteur, rugit de rage face à cette armée grotesque. Ses tentacules massifs, enveloppés d'une aura de flammes rougeoyantes, s'abattaient avec une force titanesque. Chaque coup fouettait l'air, laissant des sillons visibles dans l'atmosphère dense de la clairière. Les morts, percutés, étaient projetés contre les arbres, leurs os éclatant sous l'impact comme des brindilles. Pourtant, leur chute ne signifiait rien : pour chaque corps brisé, deux autres semblaient surgir des ombres, rampants et grimpants avec une obstination effrayante.

Les ombres et les cadavres s'empilaient autour de Roche, formant une masse grouillante et oppressante. Certains morts tentaient de lui arracher ses tentacules, d'autres plantaient leurs dents dans sa chair noire et visqueuse. Ses rugissements, mêlés à des cris gutturaux, ébranlaient la forêt, mais rien ne semblait arrêter la marée incessante. Les mains des morts s'accrochaient à ses jambes massives, le ralentissant suffisamment pour que d'autres escaladent son dos. Leur poids combiné devenait un fardeau écrasant.

Roche, malgré sa force surnaturelle, vacilla. Ses tentacules, bien qu'encore capables de réduire en morceaux les cadavres qui l'assaillaient, perdaient leur précision. Les mouvements devenaient saccadés, témoignant de l'épuisement grandissant. Pour la première fois, il posa un genou à terre. Ce geste, simple mais décisif, fit naître une étincelle d'espoir dans le regard d'Aniaba. La puissance brute de Roche semblait inutile face à cette force collective alimentée par les Loas.

De son poste d'observation, Aniaba restait immobile, son sabre incandescent étincelant à chaque pulsation de sa magie. Il observait avec une précision calculée, notant chaque faiblesse dans les mouvements de Roche. Ce n'était pas le moment de se précipiter. Il étudiait les schémas d'attaque, cherchant une ouverture pour frapper un coup décisif. La bataille était loin d'être terminée, mais il savait que Roche atteignait ses limites. Et une fois que le monstre tomberait, il n'y aurait pas de retour possible pour lui.

Les zombies encerclèrent Roche, leurs corps s'empilant les uns sur les autres pour atteindre la créature géante. Ils s'agrippaient à ses jambes avec une obstination mécanique, leurs membres rigides et leurs crocs grinçants cherchant la moindre faille. Certains grimpaient sur son dos, d'autres se jetaient en avant pour bloquer ses tentacules. Le chasseur d'esclaves dans un effort colossal repoussa les choses mortes qui lui grimpaient sur le corps retrouvant brièvement son équilibre. Chaque mouvement de Roche était une démonstrationde puissance. Ses tentacules fouettant l'air avec une force dévastatrice, envoyait des morts voler dans toutes les directions. Les corps brisés heurtaient les troncs des arbres, les os éclataient en échos sinistres, mais rien ne semblait arrêter l'avancée inexorable de l'armée des morts.

Roche rugit, une fureur surnaturelle dans la voix, ses tentacules tournoyant comme des marteaux de guerre. Plusieurs morts furent réduits en morceaux en un instant, leurs torses se fracturant sous l'impact, leurs membres arrachés. Pourtant, pour chaque cadavre détruit, un autre surgissait de l'ombre, grimpant sur lui comme une vague interminable. Des mains mortes se refermaient sur ses épaules, son dos, ses jambes, s'accrochant avec une ténacité effroyable.

L'un des soldats tombés, son uniforme en lambeaux, s'était accroché à un tentacule, ses ongles noirs plantés dans la chair noircie de Roche. La créature hurla, secouant violemment son membre pour le déloger, mais d'autres arrivaient. Ils s'empilaient comme une colonie de fourmis prêtes à dévorer un prédateur, grimpant jusqu'à son visage, obstruant ses mouvements. Roche vacilla, ses pas devenant hésitants sous le poids écrasant des morts.

Enfin, Roche retomba sur un genou, submergé. Ses rugissements de rage résonnaient dans la clairière, mais sa puissance brute semblait inutile face à la marée incessante qui le harcelait. Ses tentacules déchiraient l'air avec fureur, mais à chaque balayage, les morts revenaient plus nombreux, leurs corps brisés se reformant grâce à la magie des Loas.

Aniaba observait la scène depuis une position avantageuse, son sabre embrasé dans sa main droite. Chaque fibre de son être vibrait de la puissance conférée par les Loas. Il ressentait une satisfaction froide en voyant Roche acculé, submergé par ceux qu'il avait autrefois dominés. Mais il savait que ce n'était pas encore fini. C'était une opportunité rare, un moment pour évaluer, pour comprendre. Il ne devait pas se précipiter. Avec une concentration intense, il observait les mouvements de son ennemi, prêt à tester ses limites et à identifier sa faiblesse.

Aniaba se jeta enfin dans la mêlée, sa lame traçant un arc brillant dans l'air saturé de poussière et d'énergie. Il visa le flanc gauche de Roche, cherchant à atteindre ce qu'il pensait être un point faible. La lame s'enfonça dans la chair sombre et visqueuse, déclenchant une explosion de sang noir. La substance poisseuse éclaboussa le sol et les cadavres qui s'y trouvaient, émettant une odeur âcre de fer et de pourriture. Roche hurla, un cri guttural qui fit trembler les feuilles des arbres encore debout. Mais la plaie, béante et profonde, commença à se refermer presque instantanément, la chair sombre se reformant comme si elle n'avait jamais été tranchée.

Aniaba recula d'un bond, ses pieds s'enfonçant légèrement dans le sol meuble. Il analysait chaque mouvement de Roche, son regard perçant enregistrant les moindres détails. Il guérit trop vite, pensa-t-il. Mais peut-être que cette régénération a une limite. Peut-être que je peux le forcer à l'atteindre.

Il changea de stratégie, cherchant un autre angle. Bondissant avec l'agilité d'un prédateur, il frappa un tentacule près de sa base, là où la masse gorgée de muscles semblait la plus vulnérable. Cette fois, le membre noirâtre se détacha complètement, tombant au sol dans une gerbe de liquide noir et poisseux. Le tentacule, pourtant inanimé, se tordit un instant comme une bête blessée, avant de se désintégrer dans une fumée sombre. Mais Roche ne resta pas affaibli longtemps. Comme s'il était doté d'une volonté propre, le tentacule repoussa rapidement, plus large et plus robuste qu'avant, son extrémité rougeoyante scintillant d'une lueur encore plus malveillante.

Roche, bien que submergé par les morts qui l'assaillaient de toutes parts, réagit avec une violence aveugle. D'un mouvement furieux, il balaya l'air devant lui, projetant Aniaba en arrière comme une poupée de chiffon. Le guerrier roula sur plusieurs mètres, brisant les branches mortes au sol sous son poids, avant de se relever dans un mouvement fluide. Son sabre, toujours fermement en main, semblait pulser en synchronie avec son cœur. Aniaba posa une main sur son flanc, où une douleur sourde témoignait de l'impact, mais son expression demeura concentrée.

Il n'est pas invincible. Il doit avoir une faiblesse. Mais où ? pensa-t-il, ses yeux scrutant frénétiquement la masse informe et monstrueuse de Roche. Chaque attaque, chaque coup porté par la créature semblait nourrir sa rage, mais Aniaba pouvait percevoir une lenteur progressive dans ses mouvements, un signe que même cette force déchaînée avait ses limites. Une idée germa dans son esprit. Si Roche pouvait être affaibli suffisamment longtemps, il pourrait exploiter cette vulnérabilité temporaire pour frapper un coup décisif.

Les tentatives destructrices de Roche affectaient également la forêt environnante avec une fureur presque apocalyptique. Les arbres, ces géants séculaires, étaient abattus comme des brins d'herbe sous l'impact dévastateur des tentacules de Roche. Leurs troncs massifs explosaient en une pluie d'éclats de bois, projetant des morceaux de sève et de fibre dans toutes les directions. Certains fragments transperçaient les morts, tandis que d'autres creusaient des sillons profonds dans le sol meuble, mêlant terre et racines en une boue sanglante. Des branches entières, arrachées, s'effondraient sur le champ de bataille, ajoutant encore au chaos.

Le vacarme était assourdissant : des craquements violents des arbres déracinés, aux cris lugubres des morts qui, insensibles à la douleur, continuaient à avancer, en passant par les rugissements de Roche, cette créature de cauchemar, exprimant toute sa rage contre des adversaires qu'il ne pouvait annihiler totalement. Chaque mouvement des tentacules soulevait des nuages de poussière et de cendres, assombrissant encore l'atmosphère dévastée de la clairière.

Aniaba, au milieu de cette vision d'enfer, restait concentré, une statue vivante au regard acéré. Il ne se laissait pas distraire par le chaos autour de lui. Son esprit, aiguisé par la bénédiction des Loas, enregistrait chaque mouvement de Roche avec une précision quasi divine. Chaque attaque, chaque décharge brutale de puissance, lui révélait un peu plus les limites de la créature.

Il nota une lenteur progressive dans les tentacules, un léger tremblement dans leurs mouvements. Bien que Roche restât une force brutale et effrayante, quelque chose commençait à faiblir. Aniaba pouvait presque sentir la fatigue qui s'installait dans son adversaire, même si ce dernier semblait encore capable de détruire tout sur son passage.

C'est ça, comprit-il, un éclair de réalisation traversant son esprit. Il peut guérir, mais chaque régénération le fatigue. Chaque coup que je porte, chaque attaque de mes morts, lui coûte plus qu'il ne le montre. Si je continue, je finirai par l'user.

Un mince sourire apparut sur les lèvres d'Aniaba. La créature devant lui était puissante, oui, mais pas invincible. Il allait exploiter cette faiblesse. Alors qu'il levait son sabre embrasé, l'éclat de la lame sembla briller plus intensément, comme si les Loas eux-mêmes approuvaient sa stratégie. Le bruit assourdissant de la bataille s'évanouit dans son esprit, remplacé par un seul objectif clair : épuiser la bête jusqu'à ce qu'elle s'effondre sous son propre poids.

Ordonnant à ses morts d'immobiliser la bête, Aniaba chargea, sabre en main. Dans un mouvement fluide, il trancha un tentacule en son milieu, au niveau qu'il pensait être le coude. Roche hurla, un cri primal et bestial, résonnant comme une onde de choc dans la clairière. Dans une tentative désespérée d'éloigner son ennemi, il se roula au sol tout en fouettant l'air avec son autre tentacule. La force de ses coups était telle que plusieurs cadavres ambulants furent littéralement sectionnés, leurs membres projetés en l'air. Deux morts qui s'étaient accrochés à son dos furent broyés sous l'énorme poids de son corps monstrueux. Mais Aniaba était déjà loin, esquivant agilement les assauts aveugles de la créature. Il remarqua que cette fois, le tentacule coupé avait mis un peu plus de temps à se régénérer. Un plan commençait à se dessiner dans son esprit, et il était déterminé à l'exploiter.

Intensifiant les flammes sur son sabre, il plongea à nouveau dans la mêlée, cette fois-ci visant la cuisse gauche du monstre. Sa lame incandescente s'enfonça dans la chair noire et poisseuse, provoquant une explosion de sang noir épais qui aspergea les alentours. Roche chancela, puis mit un genou à terre sous l'impact de la blessure. Le chasseur d'esclaves tenta de répliquer, projetant la puissance brute de ses tentacules dans une frappe massive. Mais au dernier moment, un des morts — un ancien mercenaire, peut-être un rival de Roche dans une autre vie — bondit par-dessus les autres cadavres. Avec une agilité macabre, il agrippa la tête de Roche, le déstabilisant suffisamment pour lui faire perdre de vue sa cible. Avant que Roche ne parvienne à se débarrasser de lui, le mort planta ses dents dans son visage monstrueux, arrachant une partie de sa face et de son nez dans un geste effroyablement déterminé.

Roche commençait à montrer des signes évidents de fatigue. Son souffle était saccadé, et ses mouvements perdaient leur fluidité monstrueuse. Intérieurement, il suppliait les dagues de lui prêter plus de force, d'éveiller en lui une nouvelle vague de puissance. Mais rien ne semblait fonctionner. Leur pouvoir semblait avoir atteint de ses limites.

Cependant, Roche sentit une étincelle d'espoir au milieu de son désespoir. Les couteaux ne pouvaient peut-être plus lui accorder de la force, mais s'il utilisait leur essence différemment… Alors qu'il luttait avec les quelques morts restants, son regard tomba sur les lames au bout de ses bras. Une sombre mélodie se mit à jouer dans son esprit, un chant lugubre qui semblait même supplanter les bruits de la bataille. Et si, lui aussi, utilisait leur pouvoir de manière plus radicale… Avec cette pensée, une folie destructrice s'insinua dans son esprit.

Aniaba ressentit ce changement. Il était protégé par les ombres des morts qui l'entouraient, mais il pouvait sentir l'influence insidieuse des lames de Roche. Une mélodie légère, comme un chuchotement, tenta de s'imposer à son esprit. Sa détermination fléchit un instant, son esprit vacillant sous l'attaque mentale. Dans un éclair désespéré, il se souvint des paroles du Baron Samedi : « Invoque ton nom, et tu verras que même la mort t'obéira.»

Rassemblant ses forces mentales, il hurla :

— Je suis Aniaba ! Je suis la main des Loas, la fureur d'un peuple, l'épée de la justice ! Et c'est toi qui plieras sous ma volonté !

La lueur verte et noire du Baron Samedi pulsa autour de lui, se mêlant à la lumière orange et rouge d'Ogun Feray. La mélodie monstrueuse reflua comme une marée basse, s'évanouissant dans l'éther. Haletant, Aniaba reprit son souffle, mais un éclair rougeâtre attira son attention. Par réflexe, il bondit sur le côté, évitant de justesse un tentacule armé d'une lame tranchante.

Roche, un genou à terre, ruisselait de sang noir. Son visage était à moitié arraché, et un de ses yeux manquait. Pourtant, il avait profité de la distraction d'Aniaba pour éliminer tous les morts et tenter une attaque surprise. Mais ce coup de grâce avait échoué.

Une sueur froide perla le long du dos d'Aniaba. S'il n'avait pas retrouvé ses esprits à temps, il serait mort à cet instant. Il ne pouvait plus baisser sa garde. Fixant Roche avec une détermination renouvelée, il resserra son emprise sur le pommeau de son sabre et chargea, déterminé à en finir.

Les deux titans, à bout de forces, se heurtèrent avec toute la violence qui leur restait, ni l'un ni l'autre ne voulant céder.

La clairière était plongée dans un chaos surnaturel. Les ombres dansaient, les arbres gémissaient sous le poids des attaques titanesques, et la terre elle-même semblait trembler à chaque coup porté par Roche ou Aniaba. Chaque souffle d'air semblait porteur de tension, chaque craquement d'une branche annonçait une mort imminente. Le duel des deux titans atteignait son paroxysme, une lutte titanesque où chaque seconde semblait suspendue entre la destruction totale et un espoir fragile qui s'accrochait à l'impossible.

Aniaba était à bout de souffle. Ses poumons brûlants cherchaient à capter un air saturé de fumée et de cendres. Son sabre flamboyant pulsait à l'unisson avec son cœur, chaque battement marquant une étape de plus dans cette bataille interminable. Le poids du sabre dans sa main semblait augmenter à mesure que la bataille s'étirait, mais il ne fléchissait pas. Chaque muscle tendu de son corps était un rappel de sa mission, de la foi que les Loas avaient placée en lui.

Roche, bien que blessé et ralentissant, restait une force de destruction brute. Ses tentacules massifs fendaient l'air avec une puissance écrasante, chaque coup ébranlant la clairière, envoyant des éclats de roche et des morceaux de bois voler dans toutes les directions. Pourtant, sa force paraissait s'éroder lentement. La régénération constante de son corps noir et visqueux le rendait presque invincible, mais Aniaba pouvait discerner les signes d'une fatigue naissante. Chaque mouvement semblait un peu moins fluide, chaque attaque un peu moins précise.

Pour Aniaba, la victoire semblait à portée de main mais toujours insaisissable. Il avait compris que Roche tirait sa puissance d'une énergie concentrée, probablement son cœur, qui pulsait quelque part dans cette masse cauchemardesque de chair et d'ombre. Mais atteindre cet organe était une autre histoire. Les tentacules de Roche gardaient son corps comme un rempart vivant, une barrière mouvante et mortelle qui rendait toute approche directe suicidaire. Aniaba savait qu'il lui faudrait une ouverture parfaite, une distraction suffisante pour neutraliser cette défense implacable.

Son esprit s'élançait d'une stratégie à l'autre, cherchant une faille, une opportunité. Le temps jouait contre lui, chaque instant était une étincelle de vie qui pouvait s'éteindre sous un seul faux pas. Mais il restait concentré, ses yeux fixés sur Roche avec une intensité qui transcendait la peur. Les Loas l'avaient conduit jusqu'ici. Il devait trouver un moyen de triompher, non seulement pour lui, mais pour tous ceux qui comptaient sur sa victoire.

Alors qu'Aniaba étudiait encore une fois les mouvements de son adversaire, une voix fusa à travers le chaos :

— Maître Aniaba ! Je peux aider !

Aniaba tourna la tête juste à temps pour voir un jeune marron surgir des ombres. C'était le garçon qui avait été fasciné par ses capacités de régénération quelques jours plus tôt. Son visage était déformé par une détermination qu'Aniaba ne pouvait ignorer.

— Non ! Gamin recule, cria Aniaba. Reste en arrière, c'est une bataille que je dois terminer seul !

— Vous m'avez appris à ne jamais tourner le dos à mes peurs, répliqua le garçon, les yeux brillants d'une lueur farouche. Je ne suis pas aussi fort que vous, mais je peux le distraire.

Avant qu'Aniaba ne puisse protester davantage, le jeune marron s'élança à travers la clairière, esquivant les débris et les cadavres avec une grâce presque surnaturelle, comme s'il était porté par les Loas eux-mêmes. Il grimpa sur le dos de Roche, ses mains agrippant les aspérités du corps monstrueux. Roche rugit, tentant de le déloger avec une violence qui faisait trembler l'air. Mais le garçon s'accrochait, ses mains saignant sur la peau visqueuse, un éclair de pure volonté dans le regard.

Avec un cri de rage, il planta un couteau improvisé dans l'œil valide de Roche, arrachant un hurlement strident à la créature. Le tentacule gauche s'abattit sur son dos, le projetant presque au sol, mais il se rattrapa, ses doigts s'enfonçant dans les fissures de la chair. Chaque mouvement était une lutte contre la douleur et la peur, mais il tenait bon.

— Tiens bon gamin ! hurla Aniaba, fonçant à travers la clairière avec une détermination renouvelée.

Dans un mouvement fluide, il trancha le tentacule droit de Roche, une gerbe de sang noir jaillissant en arcs. Il pivota rapidement, ouvrant une plaie profonde dans la cuisse gauche de la bête. Roche vacilla, son équilibre compromis.

Le jeune marron, profitant de l'instant, arracha une lance brisée d'un cadavre proche et, avec un cri qui résonna comme un appel à la vengeance, il l'enfonça sous l'aisselle de Roche, juste à la base d'un tentacule. La créature hurla de douleur, ses mouvements devenant erratiques, comme si sa puissance elle-même était en train de s'effondrer. Pour la première fois, Roche semblait vulnérable, ses attaques moins précises, ses rugissements mélangeant fureur et peur.

Mais le garçon était en mauvaise posture. Un tentacule libre, réduit mais toujours fonctionnel, s'enroula autour de sa taille, le soulevant dans les airs comme une poupée de chiffon.

— Maintenant, maître Aniaba ! cria-t-il, son visage contorsionné par la douleur mais éclairé d'une foi inébranlable.

Aniaba bondit, utilisant la distraction offerte par le jeune marron avec une précision féroce. Son sabre embrasé traça un arc lumineux dans l'air épuisé de la clairière. Chaque mouvement était imprégné de la force des Loas, chaque pas calculé pour atteindre le point faible qu'il avait enfin décelé. Il plongea sa lame dans la poitrine de Roche avec une force qui transcendait l'humain, la magie pulsant dans ses veines et renforçant son élan. La barrière de chair visqueuse, noire et répugnante, céda sous la pression, laissant Aniaba atteindre enfin l'organe sombre et palpitant qui était le véritable moteur de cette créature infernale.

Roche hurla, un cri si profond et puissant qu'il semblait capable de fendre le ciel. Les arbres restants vacillèrent, leurs branches craquant sous l'impact sonore, et les deux ou trois morts restant animés par sa magie s'effondrèrent en un seul mouvement, comme des marionnettes privées de fils. Le cœur, noir et pulsant, était une abomination énergétique dégageant une corruption palpable. Chaque pulsation émettait une vague d'énergie sombre qui semblait vouloir repousser Aniaba, mais il refusa de reculer. Sa volonté était un étendard, son corps une arme divine.

Avec un effort surhumain, ses muscles tendus à l'extrême, il arracha l'organe dans une explosion de chair et de fluide visqueux, le tenant haut au-dessus de sa tête comme un trophée. Le sang noir s'écoula de ses doigts, mais il n'était pas affecté. Les ombres, qui avaient été son arme tout au long du combat, se tordirent et s'étirèrent, se concentrant sur le cœur arraché. Elles l'engloutirent dans une lumière verdâtre et noire, une lueur si vive qu'elle obscurcit tout le reste. Le cœur fut consumé dans une flambée d'énergie mystique, ses dernières pulsations résonnant comme des coups de tonnerre dans le silence effrayant de la clairière.

Roche s'effondra, son corps colossal chutant avec une lourdeur qui fit trembler la terre. Ses membres monstrueux se flétrirent, ses tentacules se délitèrent en une pluie de cendres, et tout ce qui restait de lui fut emporté par le vent, comme si l'univers cherchait à effacer son existence de la création. Le silence qui suivit était presque assourdissant, mais il était porteur d'une victoire arrachée au bord du gouffre.

Aniaba se redressa lentement, le souffle haletant, son sabre éteint gisant lourdement à ses côtés comme une extension fatiguée de son bras. La clarté naissante peinait à percer l'obscurité de la scène, comme si même le soleil hésitait à baigner cette clairière de sa lumière. Il balaya la clairière du regard, ses yeux s'arrêtant sur le jeune marron, étendu sur le sol, presque englouti par l'étendue sombre de son sang. Le liquide ruisselait de ses multiples blessures, dessinant un contraste poignant avec son visage éclairé par une étincelle de fierté qui défiait la douleur.

— Tu as été incroyable, murmura Aniaba en s'agenouillant à ses côtés, ses mains tremblantes effleurant doucement l'épaule du garçon. Tu as fait preuve d'un courage que peu pourraient égaler. Tu es un vrai guerrier, pas un esclave. Tu es le symbole du futur de notre peuple, dit-il avec une solennité empreinte d'émotion. Quel est ton nom gamin ?

Le garçon esquissa un sourire faible, ses lèvres s'ouvrant difficilement sous l'effort. Chaque mot était arraché à une douleur qui ne semblait pas vouloir lâcher prise.

— Vous… m'avez appris… à ne jamais… tourner le dos à mes peurs… Et que ... tout pouvoir ... a un prix, murmura-t-il, sa voix vacillant mais son regard fixé sur celui d'Aniaba. Je le ... paie ... volontiers. Je … m'appelle … Aimé.

Aniaba sentit une larme unique rouler sur sa joue. Ce simple nom, prononcé dans un souffle mourant, portait le poids d'une promesse et d'une résolution. Le poids de la responsabilité qu'il portait en tant que leader s'alourdissait encore plus face à cet acte d'héroïsme pur et sacrificiel. Les yeux d'Aimé vacillèrent, puis se fermèrent doucement, laissant un sourire gravé sur ses traits juvéniles. Ce sourire semblait défiant, comme une victoire silencieuse contre la mort.

Aniaba resta immobile pendant de longues secondes, les mains posées sur le jeune corps. Le temps paraissait suspendu autour de lui, chaque souffle du vent rendant l'instant encore plus poignant. Il inspira profondément, tentant d'absorber toute la douleur et la culpabilité qui pesaient sur lui.

— Ce n'est pas seulement ma victoire, dit-il d'une voix douce mais résolue comme si il ne souhaitais pas déranger le jeune allongé en face de lui. C'est la nôtre. C'est la tienne, Aimé. Et nous n'oublierons jamais ceux qui se sont sacrifiés pour que nous puissions continuer. Merci, Aimé, ajouta-t-il, ses mots résonnant dans la clairière silencieuse.

Le vent souffla doucement à travers la clairière, emportant avec lui les cendres de Roche et, peut-être, l'âme du jeune marron. Ce souffle semblait murmurer une vérité amère mais essentielle : même dans la victoire, le prix de la liberté était toujours lourd à porter. Aniaba ferma les yeux un instant, ses poings se serrant avec une force silencieuse. Lorsqu'il les rouvrit, une détermination renouvelée éclairait son regard. Il jura silencieusement que ce sacrifice, comme tant d'autres, ne serait jamais vain.