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Chapter 44 - Chapitre 44

Le refuge était plongé dans une atmosphère de travail intense et de douleur contenue. Les marrons tentaient de se réorganiser, pansant leurs plaies physiques et morales tout en s'efforçant de rétablir un semblant d'ordre. Des voix basses murmuraient dans chaque coin, témoignages de discussions stratégiques, de réconfort ou de prières silencieuses. Les pertes étaient lourdes, et chaque survivant portait sur ses épaules le poids de ceux qui étaient tombés, comme une ombre persistante qui semblait étouffer l'espoir. Pourtant, il fallait continuer. Chacun savait que c'était la seule façon d'honorer la mémoire de ceux qui s'étaient sacrifiés pour la cause.

Victor, à l'infirmerie improvisée, ne s'arrêtait jamais. Ses mains tremblaient à cause de l'épuisement, mais il continuait de nettoyer, suturer et panser les plaies avec une détermination qui inspirait le respect et la gratitude des blessés. Des gémissements de douleur montaient parfois, résonnant dans l'espace restreint comme un rappel constant de l'ampleur des sacrifices consentis. Victor se permettait de murmurer quelques mots d'encouragements à ceux qu'il soignait, ses phrases simples mais empreintes d'une sincérité qui semblait apaiser les souffrances les plus profondes.

Ses gestes, précis mais lourds, étaient le témoignage éloquent de son état d'épuisement. Il passait d'un patient à l'autre avec une méthode quasi-mécanique, comme s'il essayait de faire abstraction de sa propre fatigue. Parfois, il s'arrêtait brièvement, ses yeux fixés sur les fioles d'herbes et de potions qui diminuaient dangereusement sur l'étagère de fortune. Une inquiétude sourde rongeait son esprit : combien de temps pourraient-ils tenir ainsi ?

Victor se rappela les jours où ses ressources étaient encore suffisantes, où il avait l'impression de contrôler la situation. Mais aujourd'hui, chaque goutte de médecine semblait une résurrection temporaire, un sursis fragile offert à ceux qui luttaient contre des blessures souvent mortelles. Ses propres forces étaient sur le point de s'éteindre, mais il s'accrochait à une pensée : il était le seul rempart entre la vie et la mort pour ces hommes et ces femmes. Le poids de cette responsabilité suffisait à maintenir son corps en mouvement, même quand chaque muscle hurlait de douleur.

Les heures semblaient s'étirer dans un flou indistinct, ponctué par les cris des patients et les bruits de bandages serrés ou de couteaux chauffés pour cautériser les plaies. Il savait qu'il ne pourrait pas continuer indéfiniment, mais il était résolu à tenir aussi longtemps que nécessaire. Sa mémoire le ramenait parfois à ses études et à des jours plus paisibles, mais ces pensées étaient rapidement balayées par la réalité brutale du moment.

Dans un rare moment de pause, Victor se permit de lever les yeux et de contempler la scène chaotique qui l'entourait. Chaque visage, chaque blessure racontait une histoire de courage et de sacrifice. Ces hommes et ces femmes ne se battaient pas seulement pour leur survie, mais pour un avenir qu'ils espéraient meilleur. Cette réalisation, bien que pesante, lui donna un sursaut d'énergie. "Pas encore," murmura-t-il pour lui-même en serrant les poings. "Ils ont besoin de moi."

Marie-Louise, de son côté, tentait de répondre aux attentes écrasantes de son nouveau rôle. Investie comme Mambo, elle écoutait les anciens, s'efforçant d'absorber leurs conseils, même si elle se sentait souvent submergée par la complexité des traditions et les attentes spirituelles. Chaque geste qu'elle faisait — un simple regard, une prière murmurée, ou même un silence éloquent — semblait être observé et analysé par ceux qui l'entouraient. Elle ne pouvait pas se permettre de montrer ses doutes, mais dans son for intérieur, elle s'interrogeait sans cesse : était-elle vraiment à la hauteur des attentes des Loas ?

Aniaba, posté sur une hauteur dominant le camp, scrutait l'horizon. Ses pensées étaient un tourbillon de stratégies, d'inquiétudes et de déterminations. Il voyait les marrons s'affairer en contrebas, chacun essayant de trouver un rôle utile dans ce chaos organisé. Mais il savait que cela ne suffirait pas. Ils avaient besoin de temps pour se reconstruire, pour guérir — du temps que leurs ennemis ne leur donneraient jamais. L'évidence s'imposa à lui comme une flèche : il devait distraire leurs oppresseurs, devenir une menace trop grande pour qu'ils puissent se concentrer sur le refuge. Inspirant profondément, il descendit de son promontoire, prêt à agir.

Victor, à bout de forces, travaillait sans relâche dans l'infirmerie improvisée, entouré de blessés gémissants. Ses gestes étaient précis mais lourds, témoignage d'une fatigue qu'il était incapable de cacher. Marie-Louise, désorm ais investie de son rôle de Mambo, tentait de répondre aux attentes. Malgré ses doutes, elle écoutait les conseils des anciens, même si leurs mots semblaient parfois plus lourds de traditions que de solutions.

Aniaba observait tout cela depuis une hauteur, son regard perdu dans les arbres qui encerclaient le refuge. Son esprit bouillonnait de stratégies et de questions, mais une réponse s'imposait à lui comme une évidence : il devait agir. Le camp avait besoin de temps, de calme pour se reconstruire, et la seule façon de leur offrir cela était de distraire leurs ennemis. Il inspira profondément avant de descendre rejoindre Jean-Baptiste.

Dans une clairière proche, Jean-Baptiste était entouré de quelques chefs marrons, discutant à voix basse. Lorsque Aniaba arriva, la conversation s'interrompit. Jean-Baptiste releva la tête et plongea son regard dans celui de son allié.

— J'ai une idée pour réapprovisionner le camp, dit Jean-Baptiste sans attendre qu'Aniaba parle, son ton empreint d'une conviction nouvelle. Les routes sont trop surveillées, et les villages proches n'ont rien à nous offrir. Mais la mer…

Il marqua une pause, laissant ses mots flotter dans l'air, comme pour laisser Aniaba saisir pleinement l'ampleur de ce qu'il proposait.

— La mer ? répondit Aniaba, intrigué, son regard perçant cherchant à deviner les pensées de son allié.

— Oui, la mer. Les navires marchands qui circulent autour de l'île transportent des armes, de la nourriture, et parfois même des esclaves. Si nous pouvions prendre le contrôle de ces navires, nous aurions tout ce qu'il nous faut. Et plus encore, ajouta Jean-Baptiste, ses yeux brillant d'une intensité féroce.

Aniaba hocha lentement la tête, pesant les risques et les avantages avec la minutie d'un stratège. Il savait que Jean-Baptiste n'agissait jamais à la légère, mais cette idée, bien qu'audacieuse, comportait des risques immenses.

— Tu veux devenir pirate, dit-il finalement avec un demi-sourire, une pointe d'amusement perçant son expression grave.

— Un pirate pour la liberté, rectifia Jean-Baptiste avec un sourire en coin. Avec une bonne organisation, nous pourrions non seulement survivre, mais également frapper les colons là où ça fait le plus mal : leurs richesses. Et chaque esclave libéré dans le processus renforcera nos rangs.

Aniaba étudia son ami un instant, cherchant dans son regard la détermination qui avait toujours été sa force. Il posa une main ferme sur son épaule, un geste qui scellait autant un accord qu'une confiance inébranlable.

— C'est une idée audacieuse, dit-il d'un ton approbateur. Commence à planifier tout cela. Rassemble les hommes qui pourraient t'accompagner et détermine ce dont tu auras besoin. Organise tout avec minutie. Mais fais vite. Je vais partir.

Jean-Baptiste fronça les sourcils, perplexe.

— Partir ? Pour aller où ? demanda-t-il, bien qu'une intuition sombre lui donnât déjà une partie de la réponse.

— Semer le chaos, répondit Aniaba, sa voix aussi froide que déterminée. Les colons doivent comprendre que nous sommes toujours là, et que leur cruauté ne restera pas impunie. Je vais attaquer les plantations, libérer les esclaves et éliminer leurs maîtres. Je serai leur démon, leur cauchemar vivant.

Un silence tendu suivit ses paroles, lourd d'une compréhension tacite entre les deux hommes. Jean-Baptiste le regarda avec une intensité nouvelle, pesant l'ampleur du sacrifice que cette décision impliquait. L'air semblait s'épaissir autour d'eux, chaque seconde amplifiant le poids des mots qu'ils venaient d'échanger.

— Tu sais que c'est risqué. Si tu es capturé…

— Je ne serai pas capturé, coupa Aniaba d'un ton tranchant, son regard brûlant d'une flamme indomptable. Et même si je le suis, je ne tomberai pas sans emporter avec moi autant d'oppresseurs que possible. Ce n'est pas une promesse, c'est une certitude.

Jean-Baptiste soupira, un mélange d'inquiétude et de résignation traversant son visage. Il connaissait Aniaba, et il savait que sa décision était irrévocable. Le poids de cette réalité semblait lui peser autant qu'à son allié. Il tendit la main, qu'Aniaba serra fermement, dans un geste qui transcenda les mots, scellant un pacte silencieux entre eux.

— Prends soin de toi, dit Jean-Baptiste, sa voix empreinte d'une sincérité rare, presque fraternelle.

— Toi aussi, répondit Aniaba avec une gravité égale. Et veille sur les autres. Ils auront besoin de toi plus que jamais.

Il tourna les talons et s'éloigna, ses pas rapides mais assurés le menant vers la forêt. Chaque mètre parcouru semblait l'éloigner davantage non seulement physiquement, mais aussi mentalement, s'enfonçant dans une solitude volontaire, nécessaire pour embrasser le rôle qu'il s'était assigné. Son ombre se fondit dans les arbres, laissant derrière lui une détermination palpable, presque contagieuse.

Jean-Baptiste resta un instant immobile, ses pensées tourbillonnant autour de la lourde tâche qui l'attendait. Le silence qui régnait parmi les marrons autour de lui semblait chargé d'attente, d'une tension qui ne demandait qu'à se transformer en action. Inspirant profondément, il redressa les épaules et planta son regard dans celui des hommes et femmes qui attendaient ses instructions.

— Bien. Nous avons du travail. Réunissez ceux qui savent naviguer ou qui veulent apprendre. Nous allons préparer nos premiers raids.

Sa voix avait la fermeté d'un commandant prêt à mener son peuple vers un nouveau front. Chaque mot prononcé avait le poids d'une promesse, et cette promesse ralluma une flamme dans les regards des marrons. Ils acquiescèrent, se dispersant rapidement pour commencer les préparatifs. L'énergie palpable dans leurs mouvements était un écho direct à la foi qu'ils plaçaient en Jean-Baptiste et en Aniaba.

Pendant ce temps, dans l'ombre des plantations, Aniaba s'apprêtait à devenir la terreur des oppresseurs. Le vent sifflait à travers les arbres, comme un présage des tempêtes qu'il allait déclencher. Le démon écarlate n'était plus un simple titre : il était devenu une mission, un symbole de vengeance et de justice inarrêtable.

Jean-Baptiste fronça les sourcils.

— Partir ? Pour aller où ?

— Semer le chaos, répondit Aniaba, sa voix aussi froide que déterminée. Les colons doivent comprendre que nous sommes toujours là, et que leur cruauté ne restera pas impunie. Je vais attaquer les plantations, libérer les esclaves et éliminer leurs maîtres. Je serai leur démon, leur cauchemar vivant.

Un silence tendu suivit ses paroles. Jean-Baptiste le regarda avec une intensité nouvelle.

— Tu sais que c'est risqué. Si tu es capturé…

— Je ne serai pas capturé, coupa Aniaba. Et même si je le suis, je ne tomberai pas sans emporter avec moi autant d'oppresseurs que possible.

Jean-Baptiste soupira, mais il n'insista pas. Il connaissait Aniaba et savait que sa décision était prise. Il tendit la main, qu'Aniaba serra fermement.

— Prends soin de toi, dit Jean-Baptiste.

— Toi aussi, répondit Aniaba. Et veille sur les autres.

Il tourna les talons et s'éloigna, disparaissant rapidement dans la forêt. Les marrons autour de Jean-Baptiste restèrent silencieux, attendant que leur leader donne les prochaines instructions. Jean-Baptiste inspira profondément et se redressa.

— Bien. Nous avons du travail. Réunissez ceux qui savent naviguer ou qui veulent apprendre. Nous allons préparer nos premiers raids, en commençant par des assauts sur terre.

Pendant ce temps, dans l'ombre des plantations, le démon Aniaba s'apprêtait à semer la terreur.