Les jours s'étaient écoulés dans une routine en apparence normale. Pourtant, je sentais qu'un poids invisible planait au-dessus de nous. Mon ventre, désormais bien arrondi par mes huit mois de grossesse, me rendait plus consciente de chaque geste d'Alessandro, de chaque regard chargé de tension. Il passait de plus en plus de temps à gérer des affaires urgentes, et bien qu'il m'entoure de son affection, son regard distant lorsqu'il pensait que je ne le voyais pas trahissait un combat intérieur.
Ce soir-là, autour du dîner, je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il était inhabituellement silencieux. Sa fourchette bougeait machinalement dans son assiette, mais il ne mangeait presque pas.
« Alessandro, » dis-je doucement, attirant son regard vers moi. « Qu'est-ce qui ne va pas ? »
Il posa sa fourchette avec lenteur, son visage se fermant légèrement. « Rien qui ne te concerne, amore mio. Mange. »
Mais je ne lâchai pas l'affaire. « Si ça te préoccupe à ce point, ça me concerne forcément. Je ne veux pas être dans l'ignorance, Alessandro. »
Il soupira, puis tendit la main pour caresser doucement la mienne. « Cuore mio, il n'y a rien que tu doives craindre. Mais il y a des choses que je préfère gérer seul. »
À peine avait-il terminé sa phrase qu'un appel retentit sur son téléphone. Il regarda brièvement l'écran, avant de se lever.
« Je dois prendre ça, reste ici, » murmura-t-il d'un ton sérieux.
Je le regardai quitter la pièce, sa haute silhouette disparaissant dans le couloir. Mon regard dériva ensuite sur l'agenda électronique qu'il avait laissé sur la table. Un simple coup d'œil, presque accidentel, et pourtant…
Le nom « Giulia » était inscrit sur son emploi du temps pour le lendemain.
Je savais déjà qu'elle était une ancienne flamme d'Alessandro, mais la voir inscrite dans son emploi du temps me fit l'effet d'un coup de poignard. Une boule d'agacement se forma dans ma gorge, et bien que je n'aie jamais eu de raison de douter de lui, je ne pouvais nier que cette découverte me mettait mal à l'aise.
Je devais cependant me rendre à l'évidence : j'étais tombée amoureuse de mon mari au fil des mois. Qui ne le serait pas ? Alessandro, avec son charme magnétique et toute l'affection qu'il m'avait donnée, avait doucement mais sûrement fait fondre mes résistances.
Bien sûr, il ne m'avait jamais dit « je t'aime », et je n'avais jamais osé lui avouer mes propres sentiments. Mais cette jalousie que je ressentais maintenant, aussi subtile soit-elle, ne pouvait que confirmer ce que je refusais encore de m'admettre à moi-même.
Le lendemain matin, Alessandro semblait inquiet lorsque je descendis les escaliers pour le rejoindre. Avec mon ventre arrondi de huit mois, chaque pas devenait un défi, mais je refusais de rester enfermée à la maison une journée de plus.
« Cuore mio, tu n'as pas à te forcer, » dit-il doucement, en venant vers moi. Il me tendit une main pour m'aider, son regard préoccupé fixé sur mon visage.
« Je vais bien, Alessandro, » répondis-je en serrant légèrement sa main.
Il ne sembla pas convaincu et posa une main protectrice sur mon ventre. « Tu as du mal à marcher. Pourquoi insister pour m'accompagner aujourd'hui ? »
Je relevai le menton, déterminée. « Parce que je vais devenir folle à rester enfermée. Je sais que tu veux me protéger, mais je dois sortir. Je dois… vivre un peu. »
Il me regarda un instant, puis soupira, secouant légèrement la tête. « Tu es têtue, » murmura-t-il avec un sourire en coin.
Je souris à mon tour, sentant une pointe de victoire. « Oui, et tu le sais depuis le début. »
Depuis le jour où j'avais été kidnappée, Alessandro avait imposé une nouvelle règle dans ma vie : un congé prématuré.
« Ce n'est pas une punition, cuore mio, » m'avait-il assuré lorsqu'il avait pris cette décision. « Tu es ma priorité, et je ne peux pas te laisser retourner au bureau après ce qui s'est passé. Je ne prends aucun risque. »
Malgré mes protestations, il avait refusé de céder. J'avais eu du mal à accepter cette perte soudaine d'autonomie, mais avec le temps, j'avais compris qu'il ne reculerait pas. Ce jour-là, pourtant, j'étais déterminée à briser cette routine oppressante, même si je ne faisais qu'accompagner Alessandro à son travail.
Quelques minutes plus tard, nous étions en route vers son bureau. Alessandro avait insisté pour que je sois accompagnée de Luca et un autre garde, mais je savais que c'était plus pour le rassurer que par réelle nécessité.
Dans la voiture, Alessandro restait silencieux, son regard rivé sur la route devant nous. Je le savais préoccupé, mais il ne disait rien.
Lorsque nous arrivâmes à l'immeuble, Alessandro fut le premier à sortir de la voiture, et avant même que je ne bouge, il ouvrit ma portière et m'aida à descendre.
« Allez, » murmura-t-il en posant une main ferme mais douce sur mon dos. « Mais si tu te sens fatiguée, tu me le dis immédiatement, d'accord ? »
Je hochai la tête, mais je savais que je ne renoncerais pas si facilement.
L'entrée dans le hall fut comme une parade silencieuse. Tous les regards étaient braqués sur nous. Alessandro m'entourait de sa présence imposante, posant une main protectrice sur ma taille tout en me guidant vers l'ascenseur.
Dans l'ascenseur, il sembla finalement lâcher un peu de sa tension.
« Tu es sûre de vouloir être là aujourd'hui ? » murmura-t-il.
Je levai les yeux vers lui, déterminée. « Oui. »
Il secoua doucement la tête, un sourire à moitié amusé. « Tu es incroyable, cuore mio. Mais n'oublie pas, si je te dis de rester assise et de te reposer, tu m'écoutes. »
« On verra, » répliquai-je en lui lançant un regard malicieux.
L'ascenseur s'arrêta, et nous sortîmes pour être immédiatement accueillis par Sofia. Elle se tenait droite, impeccable dans son tailleur ajusté, mais je détectai une ombre d'agacement dans son sourire lorsqu'elle m'aperçut.
« Monsieur Valenti, » dit-elle d'un ton neutre.
Puis, son regard glissa vers moi, et son sourire s'élargit, bien que son expression restât glaciale. « Madame Valenti. Vous êtes rayonnante. »
Je répondis par un sourire poli, sentant déjà la tension monter.
« Merci, Sofia, » répondit Alessandro, sans prêter attention au ton de sa secrétaire. « Y a-t-il des urgences avant mon rendez-vous ? »
Elle hocha la tête. « Non, monsieur, mais… Giulia est déjà arrivée. Elle vous attend dans la salle de réunion. »
Je me raidis légèrement en entendant ce nom. Alessandro posa une main réconfortante sur mon dos, comme pour me rappeler qu'il savait exactement à quoi je pensais.
« Bien, » répondit-il. Puis, il se tourna vers moi. « Tu veux venir ? »
« Oui, » répondis-je sans hésiter.
Sofia, visiblement surprise par ma réponse, haussa un sourcil, mais ne dit rien. Alessandro hocha la tête et m'entraîna vers la salle de réunion.
Lorsqu'on entra, Giulia était déjà là, assise avec une élégance calculée. Elle leva les yeux vers Alessandro, son sourire s'agrandissant légèrement.
« Alessandro, » dit-elle d'une voix douce. Puis, son regard se tourna vers moi, et une étincelle passa dans ses yeux. « Et… Arianna. Quelle agréable surprise. »
Alessandro ne répondit pas immédiatement, mais il posa une main ferme sur ma taille, un geste qui semblait dire à Giulia exactement où était ma place.
Je levai le menton, refusant de laisser cette femme me déstabiliser.
« Giulia, » répondit Alessandro finalement, son ton courtois mais distant. « Commençons. »
Giulia fit un geste fluide pour ouvrir un dossier devant elle, mais pas avant d'avoir jeté un dernier regard à Alessandro, comme pour jauger sa réaction.
« Bien sûr, » dit-elle, son ton légèrement teinté d'une familiarité qui me fit serrer les poings. « Je pensais que ce serait juste toi et moi, Alessandro, mais je suppose que les temps changent. »
Je sentis la main d'Alessandro glisser légèrement sur ma taille, un geste subtil mais rassurant.
« Ma femme m'accompagne toujours maintenant, » répondit-il calmement. « Rien ne change en ce qui concerne nos affaires. Continue. »
Giulia fronça les sourcils un instant, mais elle se ressaisit rapidement et commença à parler de son projet. Cependant, ses propos étaient ponctués de petites remarques, comme si elle essayait de faire resurgir leur passé partagé.
« Tu te souviens de la dernière fois que nous avons collaboré ensemble ? » dit-elle avec un sourire discret. « C'était… intense, comme toujours. »
Je relevai légèrement le menton, répondant d'une voix posée avant qu'Alessandro ne puisse dire quoi que ce soit.
« Les choses changent, Giulia. Parfois pour le mieux. »
Son sourire se crispa légèrement, et Alessandro, visiblement amusé, posa sa main sur mon ventre dans un geste possessif.
Giulia continua à présenter son projet, mais l'atmosphère dans la pièce était électrique. Je sentais Alessandro à mes côtés, solide comme un roc, mais Giulia ne perdait pas une occasion de jeter des regards appuyés dans sa direction.
Finalement, la réunion se termina, et Giulia se leva, rangeant ses dossiers avec une lenteur calculée.
« Merci pour ton temps, Alessandro, » dit-elle en tendant la main vers lui. Puis, elle se tourna vers moi, un sourire trop poli sur les lèvres. « Et ce fut… agréable de te revoir, Arianna. »
Je lui rendis son sourire, même si le mien était beaucoup plus sincère. « Toujours un plaisir, Giulia. »
Elle partit, et le silence retomba dans la salle. Alessandro se tourna vers moi, son expression indéchiffrable.
« Tu t'es bien débrouillée, cuore mio, » dit-il finalement, en déposant un baiser léger sur mon front.
Je haussai un sourcil. « Qu'est-ce que ça veut dire ? »
Il rit doucement. « Rien. Juste que tu es parfaite. »
Je levai les yeux au ciel, mais son sourire apaisait toutes mes inquiétudes.
Nous quittâmes la salle de réunion pour retourner dans son bureau, où Alessandro s'assit immédiatement sur le canapé, m'attirant doucement sur ses genoux. Ses bras s'enroulèrent autour de moi, et il murmura à mon oreille :
« Je sais que cette réunion t'a tendue, mais sache que personne ne compte à mes yeux plus que toi et notre enfant. »
Je fermai les yeux, laissant sa voix et sa chaleur apaiser les doutes qui tourbillonnaient encore dans mon esprit.