23 juillet 1186 ap. La Brèche- demeure principale de la famille Vissaris-
Dans la pénombre qui régnait autour de lui, Alessio continuait d'avancer malgré lui, comme si une force extérieure dont il n'avait le contrôle agissait sur son corps. Il finit par s'arrêter, et, à ses pieds, une large flaque d'eau se dessina, reflétant son portrait. Il était plutôt grand, environ un mètre soixante-dix, et possédait de même des traits fins ainsi que des cheveux noirs, lisses, lui descendant jusqu'au menton. Il affichait une mine sérieuse et ses yeux gris se confondaient aisément avec les alentours.
Il reprit ensuite sa marche, et, au bout de quelques minutes, fit face à une mystérieuse porte. Malgré le clair-obscur qui régnait dans les environs, il pouvait nettement la distinguer, car, en effet, celle-ci se démarquait du reste du paysage. Elle était haute d'au moins quatre mètres et était entièrement faite de marbre. De plus, des sortes d'anges féminins en ornaient ses contours, mais, malheureusement, cette dernière paraissait visiblement scellée.
Il s'approcha néanmoins de la mystérieuse entrée, fort intrigué par ce qu'elle renfermait. Mais alors qu'il s'apprêtait à l'ouvrir, une chose, pour le moins étrange, se produisit sur le coup. Alessio perçut soudain tout autour de lui de manière hostile, comme si un danger imminent approchait à grande vitesse tandis que, au même moment, une grande peur s'empara rapidement en lui.
"Ça recommence", se dit-il.
Devant lui, les magnifiques anges se transformèrent peu à peu en horribles harpies donnant désormais à cette porte une apparence démoniaque. L'espace, presque méconnaissable, se rétrécissait au fur et à mesure des secondes. Alessio le sentait. Les ténèbres gagnaient drastiquement du terrain, alors que, lui, de son côté, perdait rapidement le contrôle de lui-même... Lorsque soudain, il ressentit un choc brutal frapper l'intégralité de son être.
Il ouvrit les yeux avec stupeur, et, en balayant rapidement l'espace du regard, il se rendit compte qu'il se trouvait à présent dans une sorte de bibliothèque, prenant une forme particulièrement circulaire. Il pouvait aussi remarquer des centaines de livres entourant la quasi-entièreté des lieux, rangés sur des dizaines d'étagères, comme si ceux-ci composaient les murs eux-mêmes.
"Tu nous es finalement revenu en un seul morceau.", entendit-il soudain.
Cette seule parole trancha le silence qui régnait sur place et ne manqua pas de surprendre le jeune garçon. Le mystérieux individu se tenait devant lui, les jambes en tailleur. Il portait une large tunique blanche et possédait de longs cheveux noirs, attachés en magnifique queue de cheval, de même parfaitement assortis à son jeune et beau physique. Pas de doute possible : l'homme qui se tenait actuellement en face de lui n'était autre que Morgan Vorgulis, un puissant mage de classe S, descendant directe de ces derniers, considérés depuis longtemps comme éteints.
"Est ce que j'aurais à tout hasard...
—...Réussi l'exercice ? Parfaitement, oui ! Je n'en attendais pas moins d'un enfant de ta trempe, d'autant plus que ton potentiel dépasse de loin tout ce que j'ai pu rencontrer jusque-là."
Après cela, Morgan se leva, puis marcha en direction de la porte de sortie, rapidement talonné par son élève.
"Ton entraînement spirituel se passe à merveille, soit en certain, affirma le mage pendant que ceux-ci descendaient à vive allure les marches de la Tour des Lumières.
— Certes, mais cela reste insuffisant. Le fait que je m'en sois sorti sans ton intervention relève simplement de la chance, et ce facteur reste trop incertain si je veux pouvoir maîtriser pleinement mes pouvoirs. À ce rythme, je ne pense pas pouvoir un jour égaler ton niveau, voire, le dépasser.
— Au contraire, détrompe-toi. En tant que mage de haut rang, je peux t'assurer qu'exercer une prouesse tel que tu viens de le faire relève sans aucun doute du talent et n'est à la portée que d'un nombre restreint d'individus sur cette terre. "
Ils traversèrent ensuite la Grande Cour, où étaient disposées notamment les écuries ainsi que l'armurerie, et c'est précisément vers celle-ci qu'ils se dirigèrent. Une fois sur place, ils entrèrent dans le petit local. À l'intérieur, force-leur fut de distinguer le moindre élément, tant l'obscurité était présente. Alessio remarqua, malgré tout, une torche brûler, accrochée sur le mur de gauche, quelques mètres devant lui. Il décida alors, naturellement, de continuer sur cette voie, toujours suivi par Morgan, et, une fois arrivé à sa hauteur, prit la source de lumière sans la moindre hésitation.
En pointant le brandon en direction du fond de la pièce, Alessio se mit alors à distinguer une silhouette, située quelques pas plus loin, en amont. Etant donné que cette ombre lui apparût comme familière, celui-ci, après en avoir averti son professeur, s'empressa de la rejoindre, rompant par la même occasion le calme qui, jusque-là, pesait sur le lieu, du fait de ses bruyants pas. Il s'agissait, en fin de compte, d'un jeune homme, à la peau brune quoique légèrement foncée, de la même tranche d'âge qu'Alessio, vêtu d'une veste en cuir de couleur marron clair. De plus, il pouvait remarquer, au travers de sa corpulence, une certaine musculature lui donnant cet aspect imposant. Pour finir, ses cheveux noirs, rabattus sur le côté droit de son visage, laissait transparaître une mine sévère et stricte.
L'individu cherchait visiblement un objet parmi l'immense amoncellement d'armes se trouvant à ses pieds, tenant, à l'aide de sa main gauche, sa propre flamme, tandis que celle de droite se remuait à la tâche de manière active. Lorsqu'il aperçut, en levant les yeux un court instant, Alessio et Morgan, celui-ci cessa toute activité et les toisa de la tête aux pieds.
"Tu cherches une arme en particulier, Florian ?", demanda soudainement Morgan.
Ce dernier, en dirigeant à présent ses yeux vers Alessio, souffla de manière exagérer, comme pour signifier un sentiment d'énervement.
"Alessio, saches pour la prochaine fois que ton retard ne sera pas accepté !! S'exclama-t-il. Être prince ne t'empêche pas d'arriver à l'heure, au contraire."
Son interlocuteur, face à ces paroles, n'y prêta pas même la moindre attention et ne fit, en retour, que le saluer. Au même instant, Florian saisit finalement une épée qu'il jugea suffisamment robuste et maniable et en jeta une autre tout aussi similaire au jeune prince. Après avoir, à eux trois, rangés tout le désordre causé, le groupe quitta aussitôt l'armurerie, s'engageant de nouveau dans la Grande Cour afin de se rendre, cette fois-ci, dans l'Aile Ouest du château.
En effet, la forteresse avait, à l'inverse des autres demeures royales classiques, une disposition des plus particulières, se caractérisant par une architecture la divisant en trois grandes parties : les ailes Ouest, Est, et le Capitale Nord. L'avantage de cela était que chacune de ces zones était spécialement dédiée à un domaine en particulier. L'Aile Ouest, elle, était réservée aux combats ainsi qu'aux entraînements des différentes troupes. Pour ce qui était de l'Aile Est, celle-ci était destinée à la recherche ainsi qu'à la médecine. Quant au Capitale Nord, il réunissait les habitations royales, la salle du Trône et celle du Conseil.
Une fois la cour traversée, les trois compagnons pénétrèrent dans un couloir assez éclairé avec, en prime, un dallage ainsi que des murs richement décorés, notamment à travers diverses représentations tels que des plantes rares de la région, ou encore une faune, en l'occurrence méconnue de l'Homme. Arrivé au bout de celle-ci, l'immense allée commençait à se complexifier, prenant désormais la forme d'un trident, aspect plus que déroutant pour bon nombre de gens. De plus, il était également bon de savoir que ce château avait la particularité d'offrir des dizaines et des dizaines de passages, pour certains secrets, mais également de nombreux recoins obscurs. Cependant, leurs connaissances plus que suffisantes des lieux, leurs permirent d'orienter, sans difficulté, leur choix vers la voie de droite, celle-ci débouchant, au final, sur une porte métallique de hauteur moyenne. L'entrée donnait à son tour sur une cage d'escalier montante qu'ils empruntèrent immédiatement, et, après quelques minutes d'ascension, ces derniers aboutirent sur une immense pièce.
Sur le côté droit de celle-ci, on pouvait observer d'immenses vitres, plus précisément des vitraux, reflétant un style tel que celui-ci s'apparentait fortement à l'art gothique. Au fond de la salle, se distinguait, en plus de cela, une immense statue partant d'à même le sol, pour finalement aboutir au ras du plafond. Cette dernière se présentait à eux comme un guerrier en armure, tenant son épée, garde plaquée contre le torse, la lame dirigée vers le firmament. Pour finir, aux pieds de celle-ci, ainsi que sur la totalité de la surface, était inscrit l'emblème de la famille Vissaris : un ange d'un blanc pur et uni, marié d'un fond noir à l'obscurité abyssale.
Sans perdre une seconde de plus, Alessio et Florian se mirent en place, chacun l'un en face de l'autre. Morgan, quant à lui, non concerné par ce qui allait suivre, décida de se placer en retrait et d'observer la scène depuis l'entrée. C'est ainsi que, l'épée au poing, les yeux emplis d'une forte combativité, les deux opposants, se mirent en garde et engagèrent, subséquemment, le combat.
Florian, pour commencer, fonça sans retenue sur son adversaire. Il lui asséna ensuite plusieurs coups d'épée à la seconde, tous plus imprévisibles les uns que les autres. De son côté, Alessio para chacun d'entre eux, ou, dans le cas contraire, les esquiva.
À un moment donné, l'épéiste, légèrement surpris par cette belle défense, tenta une attaque basse en diagonale, dirigeant de ce fait sa lame vers le haut, de sorte à lui blesser le tronc. Malheureusement, la tentative échoua et Alessio sauta sur l'occasion que lui laissa cette ouverture.
Il saisit alors le bras de son adversaire puis lui décocha un violent coup de pied dans l'abdomen, ce qui, bien évidemment, le déstabilisa et lui permit également de reprendre l'avantage. Sachant qu'il ne pourrait le battre avec des frappes directes, il décida alors de tout miser sur les feintes, et, comme prévu, la stratégie offensive porta ses fruits. Florian, pour sa part, contrait, en effet, les attaques, mais avec, cette fois-ci, plus de difficulté et commençait progressivement à reculer.
Voyant que le jeune prince menait à présent l'affrontement, celui-ci n'eut alors d'autre choix que d'opter pour l'issue de secours. Il lui envoya, de ce fait, un coup-de-poing en pleine figure, mais comme Alessio avait été, depuis longtemps, entraîner à encaisser ce genre de mouvement, celui-ci ne lui fit pas un grand effet. Mais ce n'était point-là ce qu'il cherchait réellement, et la tentative était, quant à elle, bien loin d'être achevée. Durant ces quelques secondes, Florian en avait, en effet, profité pour faire apparaître, dans le dos d'Alessio, une arme pouvant s'apparenter à une dague. Puis, à peine une seconde plus tard, le jeune épéiste se retrouva dans l'angle mort arrière de ce dernier, profitant de cette posture pour le balayer brutalement, avant de reprendre de nouveau à sa position initiale aussi habilement que rapidement.
Mais avant qu'il ne le mette hors d'état de nuire, Alessio, dans une ultime tentative, décida de tendre sa main droite, tous doigts déployés.
"Poussée de Gel" pansa-t-il au même moment.
Dans l'instant qui suivit, cette dernière se mit à produire une petite lumière blanche en son creux, tandis qu'en face de lui, Florian, se retrouva soudainement dans l'incapacité complète de bouger.
Une fois couché sur le sol, Alessio chercha, par tâtonnements, un quelconque signe de sa lame, précédemment tombée. Mais une fois qu'il eut finalement mis la main dessus, commençant peu à peu à se relever, il sentit soudain, au niveau de sa pomme d'Adam, une légère pression. En levant doucement les yeux, il distingua, devant lui, Florian, le surplombant, la mine essoufflée, l'épée dirigée dans sa direction : l'entraînement était vraisemblablement terminé.
"Sympa ta démonstration de force, Alessio. J'ai été agréablement surpris aujourd'hui, dit Florian tout en aidant son ami à se relever.
— Ouais t'as raison, je sens que les progrès sont de plus en plus marqués. Cependant, dis-moi, Est-ce que ta capacité aurait, elle aussi, évoluée depuis ?
— Ah, tu parles sans doute de la parade que je t'ai faîte tout à l'heure. Non, en réalité elle est restée toujours la même. C'était juste une question de manque de vigilance de ta part, regarde."
Florian désigna alors du doigt l'emplacement où s'était retrouvée la dague quelques instants plus tôt.
"Tout à l'heure, lorsque tu m'as pris de court en m'affrontant à travers des coups feintés, une petite quantité de sang s'était échappée de ma bouche et avait atterrit à quelques pas juste derrière toi. Je n'avais alors plus qu'à la matérialisée sous la forme d'une quelconque arme et de me téléporter vers celle-ci, comme je le fais habituellement à l'aide de ma capacité !"
— Je vois. Tu fais donc toujours autant honneur à ta personne, Florian Eliel. " Dit alors une voix sortie de nulle part.
Alessio, à ces simples mots, tourna brusquement la tête. Juste à l'entrée de la salle, à gauche de Morgan, se trouvait son frère aîné, premier né du Roi Julkov, Adonis Vissaris. Celui-ci était un grand homme, charismatique, et dont le visage, non des plus beaux, comportait une barbe discrète parfaitement coupée. Ses cheveux blonds mi- longs, lui descendant jusqu'au bas de la nuque, ne passaient également pas inaperçus, au même titre que son ensemble, se résumant essentiellement à une cotte de maille ainsi qu'un tissu plus ou moins ample, faisant office de pantalon.
"Qu'y a-t-il Adonis, l'interrogea Alessio. Il est rare que tu prennes le temps de te déplacer rien que pour observer mon entraînement.
— C'est vrai, lui répondit-il. Si je suis là, c'est parce que Père souhaite te parler.
— De quoi au juste ?
— Suis-moi !"
N'ayant, sur le coup, nulle autre alternative que celle-ci, Alessio fut, dès lors, contraint d'abandonner ses coéquipiers en faveur de son aîné, qu'il ne tarda d'ailleurs pas à rejoindre.
Après avoir redescendu l'immense cage d'escalier puis parcouru plusieurs mètres sur une allure accélérée, Alessio, dans le but d'atténuer cette pression pesante, prit l'initiative d'engager la conversation. A l'issu de celle-ci, qui s'avéra plutôt brève, le jeune garçon apprit que son frère revenait tout juste d'une session de chasse, rappelé lui aussi d'urgence dans la loggia du Roi, pour une raison qu'il lui était encore inconnue.
Une fois l'entrée du Capital Nord franchie, ainsi qu'un unique couloir semblable à celui de l'Aile Ouest, les deux vissariens atterrirent, pour poursuivre, sur un petit jardin de forme quadrangulaire. Au centre de ce dernier, une somptueuse fontaine argentée à l'attrait majestueux s'y dressait, grandiose de par sa taille et son diamètre. Tout autour, diverses plantations, toutes plus ravissantes les unes que les autres, s'y dessinaient avec, entre elles, plusieurs chemins de pierre, réservés, sans nul doute, aux éventuelles balades.
Après plusieurs détours à n'en plus finir, l'interminable marche s'acheva finalement face à la porte de la Salle du Conseil. Devant, y étaient postés deux gardes, tous deux armés d'une lance, faisant, en conséquence, office de barrage. Ces derniers, à leur vue, s'écartèrent immédiatement tout en s'empressant de leur ouvrirent la voie, sans omettre d'ébaucher une courbette en guise de salutation respectueuse.
A l'intérieur de la salle, une grande table en bois, habillement taillée y trônait en son centre, entourée de quatre chaises s'accordant remarquablement bien avec elle. De plus, à l'arrière de celle du fond, se tenait, droit tel une poutre, le Roi Julkov Vissaris, actuel souverain du royaume, en personne. Son teint pâle, ses cheveux ainsi que sa barbe blanche laissait transparaître de sa personne ce côté vieux qui, pour dire les choses honnêtement, dominait très largement chez lui. En s'approchant de manière énergique vers son père, le jeune prince aperçut soudainement une autre personnalité d'allure presque banale, se tenant à quelques pas sur la gauche de ce dernier. Ne comprenant pas la présence de cet individu dans un lieu tel que celui-ci, il en vint alors rapidement à la conclusion qu'il devait s'agir là de l'objet de sa convocation.
Ce n'est qu'une fois la porte refermée puis le monde installé, que le Roi ordonna l'ouverture de la séance, en donnant, dans un premier temps, la parole à leur invité :
"Bonjour à vous, je me présente, je suis Célestin Malkir, ex guetteur dans l'enceinte de Fort-Pas. Si je me permets de faire appel à vous aujourd'hui, c'est parce qu'au-delà de ces remparts, des choses graves sont, en ce moment même en train de menacer sévèrement l'équilibre et l'unité du royaume.
— Développer, lui répondit Adonis, les yeux rivés sur lui.
— Bien. Alors voilà, la nuit dernière, alors que je m'attelais à ma ronde habituelle avec l'aide d'un de mes collègues, des sortes de boules de feu noires, déferlèrent en masse sur la base, sans crier gare. Comme si cela n'était pas suffisant, on se fit, peu de temps après, attaquer par de puissantes créatures venues de l'est, sans pitié et mangeuses de chair. Nous avons tenté de nous défendre du mieux que nous le pouvions, mais, malheureusement, l'ennemi avait l'avantage du nombre et avait bénéficié de l'effet de surprise.
— J'entends mais, comment se fait-il qu'ils vous ait épargné questionna Alessio.
— Ils avaient simplement besoin d'un messager..."
Julkov sortit alors un manuscrit de sa tunique et le tendit au jeune prince.
"Visiblement, le véritable objectif de ces saloperies n'était pas la base de Fort-Pas...", ajouta le Roi.
Lorsque celui-ci le déplia, et scruta rapidement les lignes de ladite lettre, il fut soudain pris d'une peur inqualifiable qu'il ne fut pas près d'oublier de sitôt :
"Tu auras intérêt à être parti au quart de tour, car quand je serai là, il sera déjà trop tard...".