Kael
La solitude avait été ma seule compagne pendant des siècles. Être roi des lycans et des loups m'avait offert pouvoir et respect, mais aussi un isolement profond. Je portais le fardeau de gouverner des clans répartis sur tout le territoire, chaque meute dirigée par un alpha et sa Luna, ces partenaires qui incarnaient la force et l'équilibre d'un clan. Pourtant, moi, Kael, le roi des rois, j'étais seul.
Les anciens du conseil me rappelaient constamment qu'un roi sans compagne n'était pas complet. Ils insinuaient que mon trône pourrait vaciller sans la présence d'une reine pour partager ce fardeau. Mais comment leur expliquer que je croyais en l'existence de ma Luna , de ma reine ? Que je l'avais toujours cherchée ?
Ma vie, rythmée par les réunions avec les anciens, les conflits entre clans, et la gestion de ce royaume complexe, n'avait laissé aucune place à l'espoir ces dernières années. J'étais craint par tous : les loups baissaient les yeux quand je passais, les anciens choisissaient leurs mots avec précaution, et même mes gardes évitaient de croiser mon regard. Tous, sauf un : Rhyas, mon bêta et ami de toujours.
Rhyas était le seul à oser briser le silence pesant dans mes couloirs ou à remettre en question mes décisions. Il était mon opposé : jovial, audacieux, et dévoué.
— Tu ne peux pas porter ce poids seul, Kael, me répétait-il souvent. Tu as besoin d'elle.
Je savais qu'il avait raison. Mais l'attente m'avait brisé. Je ne l'avais jamais trouvée. Jusqu'à aujourd'hui.
Je sentis son odeur avant de la voir. Une fragrance envoûtante et unique, comme une combinaison de santal chaud, de miel sucré, et d'une note subtile de vanille. Cette odeur me transperça, éveillant une faim que je ne pouvais plus ignorer.
Drakon, mon lycan, s'agita immédiatement.
— C'est elle. Elle est là. Elle est à nous.
Je me figeai, incapable de bouger.
— Et si c'était un mirage ? Une illusion ? Nous avons attendu si longtemps.
— Son odeur ne ment pas, Kael. Ne la laisse pas s'échapper.
Je traversai les grandes portes du hall avec une hâte que je n'avais pas ressentie depuis des siècles. Et là, je la vis.
Elle se tenait au centre de la pièce, une main tremblante sur la lanière de son sac, son visage baigné par la lumière dansante du feu.
Elle était humaine.
Cette constatation me frappa de plein fouet. Une humaine ? Mon âme sœur, ma Luna, était humaine ? Le doute s'immisça en moi un instant, mais Drakon le rejeta immédiatement.
— Ça n'a aucune importance. Elle est à nous. Tout son être crie qu'elle est faite pour nous.
Et il avait raison. Peu importait qu'elle soit humaine. Tout en elle, son odeur, sa présence, son regard, m'appelait.
Elle était… magnifique. Non, ce mot était insuffisant.
Sa peau avait la douceur de l'ivoire, ses traits parfaitement sculptés semblaient capturer un mélange de fragilité et de force. Ses lèvres, pleines et rosées, paraissaient faites pour être embrassées, et ses yeux… Ces yeux étaient un mystère en soi. Une profondeur ambrée, comme un coucher de soleil capturé dans des prunelles humaines, qui me fixaient avec une curiosité mêlée de peur.
Ses cheveux bruns encadraient son visage avec une élégance naturelle, tombant en vagues soyeuses sur ses épaules. Elle avait l'air d'une reine, même si elle semblait perdue et désorientée dans ce moment.
Drakon rugissait avec impatience.
— Elle est à nous. Tu ne peux pas attendre. Fais-la notre. Maintenant.
Je résistai à cet appel primal. Non, pas comme ça. Elle ne savait rien. Elle ne comprenait pas encore.
Je fis un pas vers elle, et elle tourna brusquement la tête, nos regards se croisant pour la première fois.
— Vous êtes perdue ? demandai-je, ma voix grave résonnant dans le silence.
Elle recula légèrement, comme prise au dépourvu, mais ses yeux restèrent ancrés dans les miens.
— Oui. Enfin… un peu. Bon, totalement, en fait, balbutia-t-elle. Je cherchais juste… un abri. Et je suis tombée sur… ça. Enfin, pas ça, pardon, je veux dire… ce magnifique château.
Un sourire me surprit. Sa maladresse était désarmante.
Drakon rugit encore, insistant.
— Kael. Ne perds pas de temps. C'est elle. Fais-la tienne avant qu'elle ne s'échappe.
Mais je ne pouvais pas me précipiter. Je pris une profonde inspiration, son parfum m'envahissant à nouveau, renforçant ma certitude.
Elle baissa les yeux, nerveuse, puis releva la tête.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, sa voix douce mais teintée d'une prudence évidente.
Je prononçai mon nom avec une fierté que je n'avais pas ressentie depuis des siècles.
— Kael, dis-je simplement.
Elle cligna des yeux, hésitante, avant de répondre.
— Alaya.
Son nom résonna en moi comme une mélodie.
— Alaya, répétai-je doucement, savourant chaque syllabe.
Elle détourna les yeux, rougissant légèrement. Je ne pouvais m'empêcher de la trouver incroyablement belle.
Je fis un pas de plus, incapable de rester immobile.
— Rien de ce qui se passe ici n'est un accident, murmurai-je, laissant ces mots flotter entre nous.
Elle fronça les sourcils, une lueur de confusion dans ses yeux.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Je fermai les yeux, inspirant profondément son parfum une fois de plus.
— Ce hurlement… C'était un appel, dis-je enfin.
Elle me fixa, bouche bée, incapable de répondre immédiatement. Mais je pouvais voir les questions tourbillonner dans son esprit.
— Un appel ? Vous… vous voulez dire que c'est vous qui… ? murmura-t-elle.
Je fis un pas supplémentaire, réduisant l'espace entre nous. Mon cœur battait à tout rompre.
— Pourquoi vous me regardez comme ça ? demanda-t-elle, sa voix tremblante.
Je laissai Drakon parler à travers moi, incapable de cacher la vérité.
— Parce que je vous ai trouvée, murmurai-je, ma voix basse et pleine de promesse. Et parce que je ne vous laisserai plus partir.
Je me tenais face à elle, incapable de détourner les yeux. Elle était là, ma compagne, celle que j'avais attendue pendant des siècles.
Drakon rugissait en moi, satisfait. Elle était réelle. Elle était mienne. Et rien ni personne ne pourrait désormais nous séparer.
Le silence qui s'installa entre nous était presque palpable. Je pouvais entendre les battements de son cœur s'accélérer, résonnant dans mes oreilles comme un tambour. Sa respiration était irrégulière, mais elle ne bougeait pas, figée sous mon regard.
Je ne pouvais détourner les yeux d'elle. Il y avait quelque chose d'hypnotique dans sa présence, dans la manière dont elle semblait à la fois forte et fragile. Elle était humaine, et pourtant, chaque fibre de mon être criait qu'elle était faite pour moi, qu'elle était la pièce manquante de mon âme.
Drakon murmura à nouveau dans mon esprit, cette fois plus calme.
— Tu le ressens, Kael. Ce lien. Elle est ton destin. Elle est à nous.
Il avait raison. Cette certitude brûlait en moi comme une flamme vive. Pourtant, je savais que je devais aller doucement. Alaya ne comprenait pas encore ce qu'elle représentait pour moi, pour nous.
Je me redressai légèrement, essayant de dompter les instincts qui rugissaient en moi. L'aura imposante de mon statut royal ne devait pas la faire fuir. Mon but n'était pas de l'effrayer, mais de la protéger, de la guider vers ce que nous étions destinés à être.
— Vous devez être épuisée, dis-je doucement, prenant soin de garder ma voix aussi apaisante que possible. Vous avez marché dans cette forêt seule ?
Elle hocha lentement la tête, son regard se détournant brièvement vers le sol. Je sentis son hésitation, mais aussi sa fatigue. Elle était perdue, vulnérable, et pourtant, elle tenait bon. Cette force silencieuse qu'elle dégageait m'émerveillait.
— Oui… je… je me suis égarée, admit-elle, sa voix tremblante. Et puis, j'ai entendu… ce hurlement.
Ses yeux, grands et brillants, revinrent se poser sur moi. Elle cherchait des réponses, mais elle ne comprenait pas encore ce qu'elle avait entendu. Ce hurlement venait de moi, ou plutôt de Drakon. C'était notre appel, une pulsion irrépressible que je n'avais pas pu contenir en sentant sa présence approcher. Mais comment lui expliquer cela sans l'effrayer davantage ?
— Ce hurlement, dis-je finalement, pesant mes mots. C'était un appel, oui. Mais ce n'était pas destiné à vous effrayer. C'était… instinctif.
Ses sourcils se froncèrent légèrement, et je devinai qu'elle tentait de déchiffrer mes paroles.
— Je ne comprends pas, murmura-t-elle. Un appel ? Pourquoi ?
Je pris une grande inspiration, tentant de rassembler mes pensées. Je ne pouvais pas lui révéler toute la vérité tout de suite. Elle devait d'abord se sentir en sécurité ici, avec moi.
— Vous comprendrez, Alaya, mais pas maintenant. Pas tout de suite, dis-je, laissant mes mots flotter doucement entre nous.
Je fis un geste lent, lui montrant une arche qui menait plus profondément dans le château.
— Venez. Vous devez être épuisée. Je vais m'assurer que vous ayez un endroit pour vous reposer.
Elle hésita un instant, ses yeux scrutant les miens, cherchant peut-être à déterminer si elle pouvait me faire confiance. Finalement, elle hocha la tête et me suivit. Chaque pas qu'elle faisait à mes côtés éveillait en moi une sensation étrange, comme si l'air devenait plus léger, comme si une partie de moi, longtemps perdue, se réassemblait.
Nous traversâmes les vastes couloirs du château. Les murs, ornés de tapisseries représentant des batailles anciennes et des symboles de meutes, semblaient imposants et chargés d'histoire. Mais rien de tout cela n'attirait mon attention. Je ne voyais qu'elle.
Alaya observait tout autour d'elle, ses yeux brillants d'une curiosité presque enfantine.
— C'est… immense, murmura-t-elle. Ce château, il semble sorti d'un conte de fées.
Je souris légèrement, amusé par son émerveillement. Pour elle, peut-être que tout cela ressemblait à un rêve. Pour moi, c'était une prison. Jusqu'à maintenant.
Drakon s'agita à nouveau.
— Elle est parfaite. Regarde-la. Son odeur, sa douceur… C'est elle, Kael. Pourquoi ne pas lui dire ? Pourquoi ne pas lui montrer ?
— Pas encore, répondis-je fermement dans mon esprit. Elle n'est pas prête.
Je m'arrêtai devant la porte massive en bois sculpté, ornée de gravures représentant des loups et des entrelacs de forêts anciennes. En l'ouvrant, une chaleur familière m'accueillit, l'air embaumant légèrement une fragrance de cèdre et de feu de bois. Un silence paisible régnait à l'intérieur, interrompu seulement par le crépitement du feu qui illuminait doucement l'espace. Je fis un pas de côté pour la laisser entrer, gardant un instant ma main sur le lourd battant, comme pour marquer l'importance de ce moment.
— Reposez-vous ici, dis-je, me tournant vers elle. Vous êtes en sécurité. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi.
Elle entra lentement dans la pièce, ses yeux explorant chaque détail. Puis elle se retourna vers moi, hésitante.
— Pourquoi faites-vous cela ? murmura-t-elle. Pourquoi m'aider ? Vous ne me connaissez pas.
Je plongeai mon regard dans le sien, incapable de cacher la vérité qui brûlait en moi.
— Peut-être que je vous connais mieux que vous ne le pensez, Alaya.
Ses lèvres s'entrouvrirent légèrement, mais elle ne répondit pas. Finalement, elle baissa les yeux, rougissant à nouveau.
— Merci, murmura-t-elle simplement.
Je hochai la tête et refermai doucement la porte derrière moi, la laissant seule.
Dans le couloir, Rhyas m'attendait, adossé à un pilier, les bras croisés. Son expression était un mélange d'étonnement et de curiosité, mais il gardait une posture respectueuse, comme il se devait en public. Bien qu'il soit mon ami le plus proche depuis des décennies, il savait que devant d'autres, il devait faire preuve de déférence et de formalité.
— Le conseil vous attend, dit-il en inclinant légèrement la tête, son ton respectueux mais teinté d'une pointe de familiarité. Vous savez qu'ils n'aiment pas être tenus en suspens, surtout pour des affaires pressantes.
Je hochai la tête, sentant déjà la lassitude monter à l'idée de cette réunion. Pourtant, je savais que c'était inévitable. Je fis signe à Rhyas de me suivre dans une zone plus isolée. Une fois seuls, il laissa tomber le masque.
— Kael… Qui est-elle ? demanda-t-il, un mélange de fascination et de prudence dans la voix.
Je m'arrêtai et me tournai vers lui, le fixant avec intensité.
— Elle est ma Luna, déclarai-je simplement. Celle que j'ai cherchée pendant des siècles. Alaya.
Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, et je pus voir qu'il luttait pour comprendre la portée de mes mots. Il passa une main dans ses cheveux, un geste qu'il faisait souvent lorsqu'il était nerveux.
— Une humaine ? Kael, tu réalises ce que cela signifie ? Les anciens… le royaume…
Je levai une main pour l'interrompre.
— Peu importe ce qu'ils pensent. Elle est mienne. Et si elle est ma Luna, alors elle est aussi la leur. C'est une vérité qu'ils devront accepter.
Rhyas plissa les yeux, réfléchissant à mes paroles.
— Les anciens ne vont pas aimer ça, murmura-t-il. Tu sais ce qu'ils pensent des humains… Ils ont toujours prôné que seule une lycan pouvait occuper la place de Luna à tes côtés.
Je serrai les poings, réprimant la colère qui montait en moi. Cette obstination des anciens m'avait toujours agacé. Leur vision du monde était figée dans des traditions dépassées, et ils refusaient de voir au-delà de leur propre logique.
— Alors ils devront comprendre ceci : Alaya est ma compagne. Et en tant que telle, elle sera respectée comme leur reine. Si quelqu'un ose remettre cela en question, il devra faire face à moi.
Rhyas hocha lentement la tête, conscient de la gravité de mes mots.
— Très bien, Kael, répondit-il finalement, un soupir dans la voix. Mais je suppose que tu es conscient que les anciens ne manqueront pas de poser des questions dès que cette nouvelle leur parviendra.
Je fis un signe affirmatif de la tête, un éclat sombre dans mon regard.
Je fis un mouvement de tête vers la chambre dans laquelle Alaya se reposait désormais. Je m'étais assuré qu'elle soit confortablement installée et que personne ne la dérange. Sa présence était encore trop nouvelle, trop précieuse. Je savais qu'elle avait besoin de temps pour assimiler ce qu'elle venait de vivre.
— Rhyas, dis-je avec une voix plus ferme, en le fixant. Quoi qu'il arrive, tu dois te souvenir qu'Alaya n'est pas seulement ma Luna. Elle est aussi la leur. Et en tant que telle, elle sera protégée et respectée par tout le royaume.
Son regard s'adoucit légèrement, et il acquiesça.
— Bien sûr. Tu as ma parole, Kael.
Je tournai les talons et me dirigeai vers la salle du conseil. Les anciens m'attendaient. Je pouvais déjà deviner les regards désapprobateurs qu'ils me lanceraient et leurs murmures empreints de scepticisme. Mais je n'avais plus de temps à perdre avec leurs jeux politiques.
Quand ils le découvriront, ils comprendront qu'Alaya est leur reine. Et rien ni personne ne pourra changer cela.