Kael
Lorsque je refermai la porte de la chambre d'Alaya, le poids de mes responsabilités m'écrasa d'un coup. Je me tenais immobile dans le couloir sombre, laissant le silence remplir l'espace autour de moi.
Elle dormait enfin, épuisée par les événements de la journée. Mais moi, je savais que le sommeil ne viendrait pas. Pas ce soir.
Drakon, mon lycan intérieur, s'agitait dans mon esprit, grondant de frustration.
— Elle est à nous, Kael. Pourquoi tardes-tu à lui dire la vérité ?
Je fermai les yeux, posant une main contre le mur froid pour me stabiliser.
— Elle n'est pas prête, répondis-je mentalement. Pas encore.
— Elle ne sera jamais prête si tu continues à hésiter, grogna Drakon. Tu la mets en danger en retardant l'inévitable.
Je savais qu'il avait raison, mais la vérité était une arme à double tranchant. Alaya méritait de connaître son rôle dans ce royaume, mais elle n'avait pas choisi cette vie. Lui imposer la réalité brutale de notre lien, de sa place dans cette prophétie, revenait à la condamner.
Je serrai les poings, sentant mes ongles s'enfoncer dans ma paume.
— Elle est humaine, murmurais-je, comme pour me convaincre moi-même. Fragile.
Drakon rugit de mécontentement.
— Elle est plus forte que tu ne le crois. Elle t'a déjà sauvé, même si elle ne le sait pas encore.
Je secouai la tête, repoussant ses paroles. Les souvenirs de la prophétie tourbillonnaient dans mon esprit, me rappelant à quel point tout cela était précaire.
Des années auparavant, alors que je n'étais qu'un prince, l'oracle m'avait parlé pour la première fois de ce destin.
— Une humaine, avait-elle murmuré, sera la clé de ta survie et de ta perte.
Je m'étais moqué à l'époque, pensant que c'était impossible. Comment une humaine pourrait-elle jouer un rôle aussi central dans la vie d'un roi lycan ?
Mais elle avait poursuivi, ses yeux aveugles fixant un point au-delà du présent.
— Elle portera en elle la lumière qui brisera la malédiction, mais aussi l'obscurité qui te consumera si tu faillis.
J'avais rejeté ces paroles comme des divagations. Mais aujourd'hui, alors qu'Alaya était dans mon château, que son odeur envahissait chaque recoin de ma conscience, je comprenais enfin.
Elle était ma Luna. Ma compagne. Et pourtant, elle était aussi une énigme, un danger que je ne savais pas comment contrôler.
Un bruit derrière moi me tira de mes pensées.
— Kael.
Je me retournai brusquement pour voir Lyanna s'approcher, ses talons claquant doucement sur le sol de pierre. Sa silhouette élancée était baignée dans la faible lueur des torches, et son sourire était aussi tranchant qu'une lame.
— Que veux-tu ? demandai-je d'un ton sec.
Lyanna s'arrêta à quelques pas de moi, croisant les bras avec une élégance calculée.
— Ce n'est pas une manière de parler à une alliée, répondit-elle, sa voix douce mais teintée d'un sarcasme évident.
— Une alliée ? répétai-je en arquant un sourcil. Je ne suis pas certain que tes actions récentes méritent ce titre.
Son sourire vacilla légèrement, mais elle se reprit rapidement.
— Alaya, dit-elle, ignorant mon accusation. Elle est spéciale, n'est-ce pas ?
Je serrai les mâchoires, ne répondant pas. Lyanna sourit davantage, ravie de ma réaction.
— Oh, ne t'inquiète pas, continua-t-elle. Je ne vais pas la blesser. Pas directement, du moins.
— Lyanna, grognai-je, un avertissement grondant dans ma voix.
Mais elle fit un pas de plus, ses yeux brillant d'une lueur dangereuse.
— Ne fais pas l'erreur de croire que je vais rester les bras croisés pendant qu'une humaine prend ce qui me revient de droit.
Je me raidis.
— Rien ne te revient, Lyanna, dis-je froidement. Tu n'as jamais été ma Luna, et tu ne le seras jamais.
Pour la première fois, son masque d'assurance se fissura, et une étincelle de rage passa dans ses yeux.
— Tu crois que ce royaume acceptera une humaine ? rétorqua-t-elle, sa voix montant légèrement. Les anciens sont déjà contre toi. Et le peuple ? Ils te respecteront jusqu'à ce qu'ils réalisent que tu les trahis avec une étrangère.
Je m'approchai, réduisant la distance entre nous.
— Ce royaume m'appartient, dis-je, ma voix basse mais dangereuse. Et si quelqu'un ose s'en prendre à Alaya, il devra faire face à moi.
Lyanna recula légèrement, mais son sourire revint, plus cruel cette fois.
— Tu ne pourras pas la protéger éternellement, murmura-t-elle avant de tourner les talons et de disparaître dans l'ombre.
Je restai là un moment, respirant profondément pour calmer la colère qui bouillait en moi. Mais mes pensées furent bientôt interrompues par un autre bruit, plus discret cette fois.
— Elle a raison, tu sais.
La voix venait de l'obscurité, rauque et familière.
Je me retournai pour voir un des anciens, Dorian, sortir de l'ombre.
— Dorian, grognai-je. Pourquoi te caches-tu dans les couloirs comme un lâche ?
Il ne répondit pas tout de suite, ses yeux sombres brillant d'un éclat étrange.
— Ce n'est pas moi que tu devrais craindre, murmura-t-il. C'est elle.
Je fronçai les sourcils.
— De quoi parles-tu ?
Dorian s'approcha lentement, un sourire sinistre sur les lèvres.
— L'humaine, dit-il. Elle n'est pas ce que tu crois.
Je sentis ma patience s'effilocher.
— Fais attention à ce que tu dis, avertis-je.
Mais Dorian éclata de rire, un son désagréable qui résonna dans le couloir.
— Tu penses vraiment qu'elle est ta Luna ? demanda-t-il, son ton moqueur. Tu crois qu'elle va te sauver ?
— Arrête de tourner autour du pot, grognai-je, laissant une fraction de ma colère percer.
Dorian s'arrêta, son sourire s'effaçant légèrement.
— Très bien, dit-il. Mais ne viens pas dire que je ne t'ai pas prévenu.
Il se tourna pour partir, mais avant de disparaître, il ajouta :
— L'humaine porte autant de ténèbres que de lumière. Et quand le moment viendra, tu devras choisir entre elle et ton peuple.
Je restai figé, ses paroles tournant dans mon esprit.
En retournant dans ma chambre, je sentis la fatigue peser sur mes épaules, mais je savais que je ne pouvais pas encore me reposer.
Alaya était en sécurité, pour l'instant. Mais entre Lyanna, le Conseil des anciens, et les ombres qui semblaient rôder dans mon propre château, je savais que ce calme ne durerait pas.
Et si Dorian avait raison ?
Si Alaya était vraiment une menace autant qu'elle était ma salvation ?
Je secouai la tête, repoussant ces pensées. Peu importe ce que disait Dorian ou même la prophétie, je ne laisserais rien ni personne lui faire du mal.
Parce qu'au fond, je savais une chose avec certitude : elle était à moi. Et je ferais tout pour la protéger.
Même si cela signifiait devenir le monstre que je redoutais tant.