Kael
La salle du Conseil était glaciale, malgré le feu qui crépitait dans la cheminée imposante. Les murs, ornés de tapisseries représentant les batailles glorieuses de notre peuple, semblaient peser sur mes épaules comme un rappel des attentes insurmontables qui m'étaient imposées.
Autour de la table massive en bois d'ébène, les anciens étaient assis, leurs visages austères éclairés par une lumière vacillante. Ils représentaient les traditions ancestrales des lycans, des traditions que j'avais parfois du mal à respecter.
— Kael, commença l'un d'eux, Arkan, sa voix grave résonnant dans la pièce. Expliquez-nous pourquoi une humaine se trouve dans ce château.
Il ne perdait jamais de temps en préambules. Arkan était le plus ancien parmi eux, ses cheveux blancs et ses yeux perçants symbolisant à la fois la sagesse et l'intransigeance.
— Alaya est sous ma protection, répondis-je d'un ton neutre, croisant ses yeux accusateurs.
Un murmure parcourut la salle, et plusieurs anciens échangèrent des regards. Je savais déjà ce qu'ils allaient dire : une humaine dans notre domaine était une abomination aux yeux de ceux qui vivaient encore dans le passé.
— Une humaine ! répéta Arkan avec mépris. Vous mettez en péril non seulement votre propre position, mais l'avenir de tout le royaume.
— Suffit, grondai-je, laissant une fraction de mon pouvoir teinter ma voix. Vous oubliez à qui vous parlez.
Un silence pesant s'abattit sur la pièce.
— Nous n'oublions rien, Kael, répondit une autre ancienne, Lymera, son ton plus calme mais non moins incisif. Mais ce n'est pas à vous de décider seul de ce qui est acceptable.
Je pris une inspiration profonde, luttant pour garder mon calme.
— Elle est ma Luna, déclarai-je simplement, laissant tomber cette vérité comme un coup de tonnerre.
Les réactions furent immédiates. Des exclamations de surprise, des murmures outrés, et des regards choqués se dirigèrent tous vers moi. Arkan se leva brusquement, ses poings frappant la table.
— Une humaine ! Impossible ! La Lune nous a donné des compagnes parmi notre peuple. C'est ainsi depuis des siècles.
— Et si la Lune avait changé ses plans ? rétorquai-je, mon regard perçant chacun d'entre eux. Si Alaya est ma Luna, alors c'est une vérité que vous devrez accepter.
Lymera secoua lentement la tête.
— Même si elle l'est, elle est humaine. Comment pourrait-elle survivre dans notre monde ? Comment pourrait-elle régner à vos côtés ?
Je serrai les poings, sentant ma patience s'effilocher.
— Vous oubliez la prophétie, murmurai-je enfin.
Les murmures cessèrent instantanément. Plusieurs anciens détournèrent les yeux, comme s'ils espéraient éviter le sujet.
— La prophétie n'est qu'un conte, répliqua Arkan. Une fable inventée pour justifier des anomalies.
Je me redressai, mon regard se durcissant.
— Non. C'est une vérité que vous avez choisie d'ignorer, dis-je froidement.
Un silence pesant suivit mes paroles, et je sentis leur inconfort grandir. Pourtant, je ne leur laissai pas le temps de se reprendre.
— Vous vous souvenez de ce que dit cette prophétie, continuai-je. Lorsque le lien entre un roi et sa Luna se forgera au-delà des limites de leur monde, il brisera les chaînes de notre malédiction.
— Des mots vides, grogna Arkan, mais je pouvais voir une étincelle de doute dans ses yeux.
Un souvenir éclata dans mon esprit, me ramenant des années en arrière.
Je me tenais dans une clairière baignée par la lumière de la lune, entouré des arbres anciens qui formaient la frontière sacrée de notre royaume. J'étais encore jeune, à peine un prince héritier, lorsqu'un ancien oracle était venu à moi.
— Kael, avait-elle murmuré, ses yeux d'un blanc laiteux fixant un point invisible. Une humaine portera la clé de ton salut. Elle brisera la malédiction qui te lie. Mais attention, car elle sera aussi la source du plus grand péril.
J'avais rejeté ses mots à l'époque, les considérant comme des divagations d'une vieille femme. Mais aujourd'hui, alors que je repensais à Alaya, à son arrivée imprévue dans notre domaine, à l'intensité de notre lien, je ne pouvais plus nier la vérité.
Je revins à la réalité, les regards des anciens toujours braqués sur moi.
— Vous pouvez ignorer les paroles de l'oracle, dis-je calmement. Mais je ne le ferai pas.
Arkan ouvrit la bouche pour répliquer, mais une vague de chaleur soudaine envahit ma poitrine. Je me figeai, sentant une pulsation dans mon esprit, comme si quelque chose ou quelqu'un m'appelait.
— Alaya, murmurai-je, mon cœur s'emballant.
— Majesté ? demanda Lymera, fronçant les sourcils.
Je ne répondis pas. Mes sens étaient en alerte maximale, chaque fibre de mon être me hurlant qu'elle était en danger.
Sans un mot, je me levai et quittai la salle du Conseil, ignorant les protestations des anciens.
Dans les couloirs, mes pas résonnaient comme un tambour, et mes mains tremblaient sous l'effort de contenir ma transformation. Drakon, mon lycan intérieur, rugissait de colère.
— Elle est en danger, grogna-t-il dans mon esprit. Va la trouver.
Je parcourus les couloirs sombres, suivant cette pulsation, ce lien invisible qui semblait me guider vers elle.
Lorsque j'entrai dans un corridor plus isolé, un hurlement retentit, amplifiant mon instinct protecteur.
— Alaya !
Ma voix résonna dans le vide, et je sentis une peur glaciale m'envahir.
Finalement, je la trouvai. Elle était adossée à un mur, essoufflée et tremblante. Ses grands yeux ambrés se tournèrent vers moi, et je vis à la fois du soulagement et de la confusion dans son regard.
— Kael ! haleta-t-elle.
Je m'approchai rapidement, mon regard scrutant les environs.
— Que s'est-il passé ?
— Il… il y avait quelque chose, murmura-t-elle, sa voix brisée. Des griffes. Un hurlement. Je ne savais pas où aller.
Je sentis ma rage monter. Quelqu'un ou quelque chose avait osé la menacer dans mon propre château.
— Rien ne te fera de mal, dis-je, ma voix plus douce mais imprégnée d'une promesse féroce.
Elle hocha la tête, mais je pouvais voir qu'elle était encore sous le choc.
Je tendis une main vers elle, et elle hésita un instant avant de la prendre.
— Viens avec moi, murmurai-je.
Alors que nous nous éloignions, je ne pouvais m'empêcher de jeter un dernier regard en arrière, mon esprit tourbillonnant de questions.
Quelque chose se jouait dans l'ombre, et je devais découvrir quoi avant qu'il ne soit trop tard.