Maintenant que les cultures principales avaient été récoltées et offertes, le village de Shizuko était plongé dans une sorte d'atmosphère paresseuse.
Autrefois, les gens s'efforçaient de récolter suffisamment de nourriture pour passer l'hiver, mais ils n'avaient pas besoin de le faire cette fois-ci.
Leurs greniers n'étaient pas vraiment remplis à ras bord, mais ils avaient suffisamment de patates douces et de citrouilles pour l'hiver.
Ils avaient également un stock important de riz, faisant que s'ils ne se laissaient pas aller, ils n'auraient pas à s'inquiéter du manque de nourriture jusqu'au prochain automne.
Il n'y avait pas grand-chose à faire à part agrandir les terres agricoles.
Ils avaient semé de la navette afin d'en faire de l'huile tandis que les légumes d'hiver étaient déjà en train de pousser.
L'expansion de la zone arable ne nécessitait pas de procédures compliquées comme à l'époque moderne, tout ce qu'ils avaient à faire était de dire « On va faire un champ de là à là ».
Naturellement, ils devaient ensuite signaler cette expansion à Nobunaga, mais cela était devenu la responsabilité d'Aya, faisant que Shizuko n'avait plus besoin de le faire elle-même.
"Allez, on va cueillir des champignons aujourd'hui."
"… Shizuko-sama. Veuillez éviter de faire des choses telles que me faire porter soudainement un panier et m'emmener dans la forêt sans me demander mon avis."
En réponse à la réplique calme d'Aya, Shizuko tourna rapidement la tête vers l'avant et se mit à essayer de siffler.
Aya fut exaspérée au point d'être bouche bée, mais se plaindre auprès de Shizuko était futile alors elle ne pouvait que pousser un gros soupir.
"Hé, l'automne, c'est la saison des champignons, alors il faut m'aider à en cueillir. Il y en a plein à rassembler, mais j'ai pas assez de main-d'œuvre."
Shizuko grimaça et se gratta l'arrière de la tête.
Bien qu'il y ait de légères différences entre les champignons, ils étaient généralement récoltables en septembre, octobre et novembre.
Mais en règle générale, les champignons étaient récoltés en octobre.
La montagne appartenait à Nobunaga, mais il avait dit qu'elle pouvait l'exploiter comme bon lui semblait à l'exception de certaines ressources.
Si elle découvrait des minerais tels que l'or, l'argent ou le fer, elle devait le signaler immédiatement.
"Héhéhé… J'ai pas pu en prendre beaucoup l'année dernière parce qu'il y avait des tas de choses à faire, mais cette fois, je vais en récolter un max !"
Il n'y avait pas d'autres villages à proximité à part celui de Nisaku, donc tant qu'ils n'empiétaient pas sur leur territoire, ils pouvaient récolter autant qu'ils voulaient.
En d'autres termes, ils pouvaient pleinement savourer le goût de l'automne.
"Excusez-moi, mais que comptez-vous récolter ?"
Aya n'était pas aussi enthousiaste que Shizuko, alors elle était légèrement réticente, mais elle avait besoin de confirmer ce qu'elles allaient faire alors elle avait interrogé Shizuko qui tournoyait joyeusement.
"Hein ? Eh ben, cette année, ce sera du maitake, du hon-shimeji, du buna-shimeji, du kabu-shimeji, du nameko, et pour couronner le tout, du matsutaké ! Ah, maintenant que j'y pense, j'avais raté mon coup l'année dernière, mais peut-être que cette fois-ci, la culture de shiitaké s'est bien passée ?"
Aya s'étouffa en entendant cette réponse et se mit à s'étouffer, alors Shizuko s'empressa de lui caresser le dos.
"Hé, ça va ?"
"Je vais bien. Je me suis juste légèrement étouffée."
Aya répondit en ajustant sa respiration, mais Shizuko continua de s'inquiéter.
Aya se calma et reprit son air impassible habituel.
"(Cela pourrait être soudain, mais…) Allons-y, Shizuko-sama."
"D'accord… mais n'en fais pas trop. Si c'est trop dur pour toi, tu peux aller te reposer, tu sais ?"
"Je vais bien. Et si je vous laissais seule, je serais incapable de fermer l'œil."
"C'est rien du tout. J'en ai pas l'air, mais je connais assez bien cette montagne !"
Son argument n'était pas convaincant, mais Aya soupira sans dire un mot.
Leur relation ressemblait davantage à deux amies avec une différence d'âge qu'à une maîtresse et sa servante.
"(Je dois le signaler) Puisque que nous sommes sur le sujet, Shizuko-sama. Qu'allez-vous faire des shiitakés ?"
"Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse à part les manger ? Ah, mais si tu veux en faire de la soupe, il faut d'abord les faire sécher, ça donne meilleur goût."
Aya eut envie de se tenir la tête lorsqu'elle entendit cette réponse.
Comme Shizuko avait parlé d'un point de vue moderne, elle n'était pas consciente que les shiitakés étaient considérés comme un produit de luxe jusqu'à la découverte de leur culture artificielle au 20ème siècle.
Ils étaient cueillis au Japon depuis la nuit des temps, mais comme ils n'avaient aucune méthode pour les cultiver, ils n'avaient pas d'autre choix que d'attendre qu'ils poussent naturellement.
D'un autre côté, il était un ingrédient essentiel pour faire de la soupe dans le shōjin-ryōri.
Ils étaient essentiels au point où il y avait des histoires sur un moine zen de l'ère Kamakura appelé Dōgen qui avait voyagé dans la dynastie Song du Sud, l'une des dynasties chinoises de l'époque, et à qui un moine local avait demandé s'il avait des shiitakés séchés.
C'était un champignon suffisamment luxueux pour que des repas l'ayant utilisé aient perduré dans les livres d'histoire, mais pour Shizuko, une personne du monde moderne, ce n'était qu'un champignon bon marché qui pouvait être acheté dans un supermarché.
À l'inverse, les matsutaké, qu'elle considérait comme un produit de luxe, étaient un produit banal pour les gens de l'époque Sengoku.
C'était parce qu'ils poussaient partout dans les montagnes et que peu de gens se dérangeaient à en manger.
Dans cette époque où les gens se préoccupaient uniquement d'avoir le ventre plein, très peu d'entre eux se dérangeaient à apprécier la saveur des aliments.
"Mais bon, j'avais raté l'année dernière, alors peut-être que cette année est aussi un échec."
Après avoir nonchalamment dit cela, Shizuko remit son panier sur son dos et se remit à marcher. Aya, derrière elle, la suivit avec une expressoin compliquée.
C'est comme l'a dit Mori-sama. Le sens des valeurs de cette personne est complètement différent du notre…
Aya fixa le dos de Shizuko qui fredonnait joyeusement.
Son regard était intense au point où il était capable de tuer, mais la personne sur qui il était dirigé escaladait joyeusement la montagne sans qu'elle ne se rende compte de rien.
"On est presque arrivées au champ de shimeji, prépare le panier."
Aya arbora rapidement un sourire innocent.
Aya pensait qu'elle ne comprenait pas du tout la personne appelée Shizuko mais elle était déterminée à rester fidèle envers sa mission.
"(Il semble que cela va prendre du temps) Entendu. Mais je vous suggère de regarder devant vous lorsque vous marchez."
Sa mission était d'espionner Shizuko et de connaître l'étendue de ses talents.
***
Au bout de plusieurs dizaines de minutes, elles arrivèrent au champ de shimeji.
Shizuko appelait cela un champ, mais en réalité, c'était une zone où ils poussaient naturellement et en abondance, elle n'avait utilisé aucune technique de culture artificielle.
Elle avait appelé cette zone un champ simplement parce qu'il était facile de cueillir les champignons.
"Celui-ci est prêt à être mangé. Celui-là, pas encore… celui-là est vénéneux. Oh, celui-là est vraiment grand."
Shizuko cueillit rapidement les champignons comme si elle avait un bon odorat pour l'aider.
Le petit panier dans sa main fut rempli de champignons en un clin d'œil et elle le rangea soigneusement dans le grand panier qu'elle portait sur son dos.
Tous les champignons des environs avaient été cueillis à l'exception des plus petits et des vénéneux.
"On passe à présent aux maitake. Et après ça, aux matsutaké. On ira voir les shiitakés en dernier."
Shizuko remit son panier sur son dos et se dirigea au prochain site de collecte sans laisser à Aya le temps de dire quoi que ce soit.
Aya la suivit à la hâte, la seule chose qu'elle pouvait faire était de suivre Shizuko qui connaissait très bien cette montagne.
Elle pouvait à peine respirer et était incapable de poser de questions.
Aya se rendit compte que Shizuko avait réduit sa vitesse lorsqu'elles avaient gravi la montagne par souci pour sa condition physique.
"On y est, c'est le champ de maitake. Et j'en ai déjà trouvé un bon !"
Lorsqu'elles furent arrivées, Aya avait pensé qu'elle pourrait faire une courte pause mais Shizuko s'était immédiatement mise à cueillir les maitake.
Comme elle n'avait plus l'énergie pour courir, et que ce n'était pas une distance qui pouvait la faire perdre Shizuko de vue, Aya essuya la sueur sur son front et étancha sa soif avec la gourde d'eau en bambou accrochée à sa taille.
L'eau légèrement fraîche fit du bien à son corps essoufflé.
"Il devrait y en avoir pour 10 kilos. Ah, encore un ! La récolte de cette année est vraiment bonne !"
Shizuko était consacrée à la cueillette de maitake, ignorant complètement Aya qui prenait une pause, appuyée contre un arbre.
Après avoir cueilli les shimeji, les maitake et les matsutaké, leurs paniers étaient pleins alors elles décidèrent de descendre de la montagne.
Shizuko avait voulu laisser les shiitakés pour une autre fois, mais Aya avait insisté à les voir, alors elles remontèrent la montagne.
Et au bout de quelques minutes, elles arrivèrent au champ de shiitakés que Shizuko avait fait.
"On dirait qu'ils ont grandi cette année~"
Shizuko murmura ces mots en prenant une pose comme si elle regardait au loin.
Aya, en revanche, regardait le spectacle qui se tenait devant elle le souffle coupé.
Ils ne couvraient pas entièrement leur champ de vision, mais des shiitakés poussaient à perte de vue.
S'ils étaient vendus, ils rapporteraient une immense fortune.
Cependant, Shizuko était simplement heureuse d'avoir réussi à cultiver les shiitakés. Aya ne sentait aucun désir de s'enrichir en elle.
"(C'est…) Je dois vite le signaler au seigneur."
"Hein ? Pourquoi faire ? C'est juste des shiitakés."
Aya fut exaspérée par cette réponse au point où Shizuko avait remarqué son soupir.
***
Au final, elles avaient récolté tous les shiitakés, et lorsqu'elles furent rentrées, Shizuko chercha immédiatement à les cuisiner.
Aya l'avait arrêtée de toutes ses forces, alors elle les fit sécher à la place, à l'exception de ceux qui avaient été rongés par les vers.
Un shiitakés séché sous le soleil perdait sa vitamine B mais gagnait dix fois plus de vitamine D.
De plus, cela renforçait l'umami en eux et améliorait leur arôme, faisant que les shiitakés séchés étaient largement supérieurs aux frais.
"Quand même, les shiitakés coûtent vraiment si cher que ça ?"
Shizuko, n'ayant aucune idée de la valeur des shiitakés, interrogea Aya qui travaillait en silence.
Aya s'arrêta de travailler, poussa un léger soupir et répondit en regardant le panier de séchage.
"Je ne sais pas grand-chose, mais j'ai entendu dire que 15 kan (environ 56,25 kg) suffisaient à acheter un château."
"Et ce que j'ai cueilli, ça suffit à acheter une grande maison, hein ? Mais ce sera trop long à nettoyer, alors j'en veux pas."
"… Si vous pouviez embaucher plus de personnes, est-ce que vous construiriez une plus grande maison ?"
"Hein ? Si c'est trop grand, je pourrais pas tout utiliser. La maison que j'ai me suffit largement."
Aya avait essayé d'évaluer le niveau de cupidité de Shizuko avec cette hypothèse, et la réponse qu'elle avait reçue contenait un manque d'avidité qui dépassait ses attentes.
***
Récolter les richesses de l'automne n'était pas quelque chose qui se faisait en un ou deux jours.
Il fallait aller dans les montagnes, récolter et traiter les objectifs, et ce, pendant plusieurs jours.
Et pour couronner le tout, les récoltes à prendre changeaient tous les jours.
Elles avaient récolté des kakis aigres, des kakis doux, des châtaignes encore dans leurs bogues, des ignames du Japon et des glands qui étaient tombés un peu partout.
Elles avaient également récolté des fruits autres que les kakis, mais comme ils ne duraient pas longtemps, elles les avaient mangés comme collation durant la récolte.
"Faisons vite sécher les kakis aigres."
Shizuko éplucha les kakis aigres devant une marmite bouillante.
Après les avoir épluchés, elle attacha une ficelle à leur tige et les plongea dans l'eau bouillante pendant environ 5 secondes.
Une fois ce processus terminé, elle attacha les ficelles à un séchoir qu'elle avait préparé à l'avance et veillé à ce que les kakis ne se touchent pas.
Il n'y avait qu'une trentaine de kakis, mais Shizuko les avait traités avec une dextérité qui avait même surpris Aya.
"Ça a l'air bon. Ils devraient être prêts d'ici 40 jours."
Lorsqu'elle regarda la myriade d'articles à sécher tels que les shiitakés et les kakis, Shizuko sourit de satisfaction.
"L'automne nous apporte vraiment des tas de choses."
"… En effet. Soit dit en passant, Shizuko-sama, vous semblez en savoir beaucoup sur les champignons, d'où tenez-vous ce savoir ?"
Alors que Shizuko inspectait les produits mis au séchage, Aya lui posa une question tout en veillant à ce que cela avait l'air naturel.
Aya avait fait cela pour éviter de révéler ses intentions, mais Shizuko était du genre tête en l'air et ne se méfiait de rien.
"Hein ? Euh, je connaissais quelqu'un qui étudie les champignons. « Les champignons sont très intéressants, Shizuko », qu'il disait, et il m'a enseigné quelques trucs avec enthousiasme."
"Vraiment."
"L'endroit où je vivais souffrait du vieillissement de la population. Du coup, tout le monde cherchait à avoir un successeur et j'ai appris pas mal de choses. Et comme j'ai été éduquée très tôt, j'ai réussi à être admise dans un lycée agricole qui était directement sous le contrôle du ministère de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche."
"Agriculture ? Forêt ? Lycée agricole ? Admise ?"
Aya n'avait pas compris la deuxième moitié de la réponse de Shizuko, elle avait seulement compris que ses vastes connaissances étaient dues aux gens de son village qui voulaient faire d'elle leur héritière.
En d'autres termes, Aya pensait que Shizuko était la culmination des connaissances de ce village.
Je n'ai jamais entendu parler d'un village avec des connaissances aussi avancées.
"Et voilà, on a fini. Il va bientôt faire froid, alors rentrons à l'intérieur."
"… Entendu."
Aya avait essayé de découvrir l'identité de Shizuko, mais le mystère n'avait fait que s'épaissir, la laissant perplexe.