Le Nouvel An était un événement très important durant l'époque Sengoku car les projets de l'année entière étaient planifiés ce jour-là.
Et il y avait l'inséparable distribution de mochi durant le Nouvel An.
À l'origine, le mochi était un aliment sacré offert aux dieux et un élément essentiel des célébrations et des festivals.
Peu importe à quel point un paysan était pauvre, préparer du mochi le jour du Nouvel An était du bon sens.
Naturellement, Shizuko s'était elle aussi préparée pour le Nouvel An, elle avait passé la fin de l'année à récolter diverses choses.
Les éléments les plus importants à la préparation du Nouvel An étaient le « kadomatsu », le « shimenawa » et le « kagami mochi ».
En premier lieu, le Nouvel An était le jour où tout le monde accueillait les toshigami qui descendaient les hautes montagnes pour apporter le bonheur dans les maisons.
En tant que tel, le kadomatsu était un point de repère pour la descente du toshigami et servait de vaisseau pour le recevoir.
Le shimenawa symbolisait que l'endroit avait été purifié et était suffisamment propre et sacré pour accueillir le toshigami.
Le kagami mochi était une offrande pour le toshigami en visite et servait également à l'accueillir.
Il était généralement considéré comme bon de les préparer avant le 28 décembre tandis qu'il fallait éviter de le faire les jours suivants.
Shizuko avait également d'autres choses à faire. Elle devait préparer le banquet du Nouvel An.
Contrairement à l'année précédente, il y avait plus de villageois, mais aussi le village de Nisaku.
Avec tous ces préparatifs à faire, Shizuko accueillait la nouvelle année avec une légère agitation.
Le jour du Nouvel An.
Contrairement aux autres jours, les villageois se levèrent avant le soleil et sortirent malgré le froid glacial.
Puis ils se rassemblèrent sur la place du village, allumèrent un feu et attendirent le lever du soleil.
Au bout de quelques heures, le soleil se leva et tous se joignirent les mains, se souhaitant une bonne année et une bonne santé.
Après cela vint la fabrication du mochi.
Avec un mortier et un pilon préparés, les grains de riz glutineux cuits à la vapeur étaient pétris jusqu'à ce qu'ils étaient transformés en une forme homogène.
Comme il y avait beaucoup de gens, plusieurs mortiers et pilons avaient été préparés.
Peu de temps après le début de la fabrication des mochi, les habitants du village de Nisaku furent arrivés.
Après avoir fait leurs salutations, ils donnèrent un cadeau à Shizuko.
Il y a quelques jours, Nisaku avait reçu un coup de chance et attrapé trois sangliers, et il avait décidé d'en donner un peu.
Réfléchissant à la meilleure façon de le cuisiner, Shizuko décida de faire du botan nabe.
Cependant, la marmite était l'outil de cuisine le plus élémentaire depuis les temps anciens et était considéré comme étant sacré et ne devait pas être sali avec l'utilisation de baguettes.
Mais « manger à la même table » était un bon moyen de renforcer la solidarité.
Par conséquent, elle joua avec les mots et les interprétations en proposant de manger autour du même « irori » au lieu de la même « marmite ». Elle avait également préparé des baguettes au cas où.
En plus des plats à base de sanglier, Shizuko avait préparé une soupe qui était principalement faite avec du mochi : le zōni.
Le mot zōni était apparu pour la première fois dans le [Suzuka-ka-ki] écrit durant l'époque de Muromachi.
Mais avant l'époque d'Edo, le riz était un bien de valeur qui était utilisé comme impôt, faisant que les roturiers mangeaient du taro au lieu de mochi.
Dans la société des samouraïs, c'était un aliment de bon augure qui était consommé au début d'un festin.
Les gens disaient quasiment qu'un festin ne pouvait pas commencer si le zōni n'était pas servi.
Cependant, dans les régions où l'agriculture fixe ou sur brûlis était pratiquée pour des cultures autres que le riz, les gens considéraient que manger ou offrir du mochi pendant les trois premiers jours de la nouvelle année était un tabou.
La raison à cela était que comme leurs terres ne produisaient pas de riz, il était une culture étrangère et n'était pas considéré comme une offrande digne des dieux.
Il existe une histoire amusante à propos du zōni.
C'était à l'origine une soupe servie en apéritif lors des repas de haute classe durant l'époque de Muromachi et contenait des ingrédients sains tels que le mochi, l'igname, le taro et le soja. Certaines régions ajoutaient même des fruits de mer.
Au début de l'époque d'Edo, le mochi était devenu plus facile à obtenir et la coutume de manger du zōni au Nouvel An s'était répandue dans tout le pays (à l'exception d'Hokkaido et d'Okinawa).
À cette époque, le terme zōni fut interprété comme « Prends n'importe quoi, mélange-les et fais-les bouillir », et contrairement au zōni original, des ingrédients qui n'étaient pas bons pour la santé avaient commencé à être utilisés.
Aujourd'hui, on pense que cette mésinterprétation est à l'origine du goût différent du zōni dans chaque région.
Après que le mochi fut pétri, tout le monde se rassembla dans le bâtiment semblable à un centre communautaire.
"Ahem, bonne année."
Shizuko dit cela comme si elle accueillait le toshigami pour la nouvelle année.
"Bonne année."
Les villageois en firent de même.
Le sens derrière ces mots était qu'en plus de remercier le toshigami à travers leurs interactions entre eux, ils se réjouissaient de l'accueillir.
"Euh, j'aimerais profiter de cette occasion pour exprimer ma joie d'avoir vécu jusqu'au Nouvel An dans la sécurité. On a beaucoup de choses à faire, mais pour l'instant, mangeons et buvons tout notre soûl pendant les 3 jours qui suivent et prenons des forces pour faire face à la nouvelle année. Sur ce, itadakimasu (bon appétit) !"
"Itadakimasu !"
Après que les villageois excités aient dit cela, le banquet du Nouvel An commença.
***
D'abord surpris par le zōni et le botan nabe qui étaient des plats inhabituels, les villageois les mangèrent avec délectation.
Alors qu'elle regardait cela depuis le siège d'honneur, Shizuko discutait paisiblement avec Nisaku, sa famille, Daiichi et les autres quand un visiteur apparut durant la fête.
Comme Aya servait d'intermédiaire, la personne en question n'était pas entrée dans la salle, mais apparemment, c'était un messager de Nobunaga.
Pensant que ce serait mal de le faire attendre, Shizuko se leva, et dès qu'elle sortit de la pièce, elle tremblota à cause du froid.
"Brrr, ça caille… j'imagine que le messager doit avoir froid lui aussi. Prépare-lui du thé."
"Du thé… faites-vous référence à ces feuilles de mûrier séchées ?"
Les feuilles de mûrier étaient lavées à l'eau puis légèrement chauffées à la vapeur. Après cela, elles étaient essorées, coupées en morceaux d'environ 3 mm puis laissées au soleil jusqu'à ce qu'elles étaient complètement sèches.
En dépit d'être facile à préparer, le thé de feuilles de mûriers avaient de nombreux effets positifs sur la santé.
"Ouais, ça. Prépare un grand bol d'eau tiède et un petit bol d'eau chaude."
"Deux bols ? Pourquoi…"
"Fais-le. Je t'expliquerai plus tard."
Malgré ses doutes, Aya décida d'obéir docilement car elle recevrait une explication plus tard.
Après l'avoir vue partir, Shizuko alla à la rencontre du messager.
Lorsqu'elle arriva à l'entrée, le froid mordant se fit encore plus dur. Rester dehors pendant une longue période devait probablement être difficile.
"Vous devez être Shizuko-sama. J'apporte un ordre de notre seigneur."
Un homme en armure se tenait à côté de son cheval et appela Shizuko dès qu'il la remarqua.
Son corps tremblait légèrement, tentant d'endurer le froid.
"Demain, le seigneur organisera un banquet en célébration. Vous êtes mandée de participer."
"Entendu."
"Et pour cette occasion, vous devez apporter votre arc que vous appelez « ar-barrette »."
"Hein ? Euh, d'accord… (Euh, j'ai montré l'arbalète au seigneur ?)."
Bien qu'elle s'interrogeait légèrement à ce sujet, Shizuko estima qu'elle le lui avait montré à un moment donné et décida de ne pas y réfléchir davantage.
Après avoir affirmé sa participation au messager, Shizuko l'interpella.
"Ce froid doit être insupportable. J'ai préparé du thé chaud, servez-vous."
"Ah, euh… navré pour le dérangement."
Le messager inclina légèrement la tête, son corps profondément affecté par le froid.
Shizuko tenta de l'inviter à entrer, mais Aya était arrivée avec le thé.
Conformément à ses ordres, Aya tenait un bol avec un grand bol de thé tiède et un petit bol de thé chaud qui émettait de la vapeur.
"D'abord, on va étancher votre soif. Commencez par le grand bol."
"Hein ? Euh, d'accord…"
Bien qu'il n'était pas entièrement convaincu, le messager obéit et commença par le grand bol.
Au départ, il prit des petites gorgées, mais lorsqu'il remarqua que le thé tiède était facile à boire, il vida rapidement le bol.
Shizuko se demanda légèrement si monter un cheval demandait beaucoup d'énergie.
"Maintenant, buvez le thé chaud."
"Merci… aouh, c'est vraiment chaud…"
Cette fois-ci, elle lui tendit le thé qui était suffisamment chaud pour émettre de la vapeur.
Mais pour le messager, dont les mains étaient engourdies par le froid, c'était une bonne source de chaleur.
Le Sankencha (service en 3 tasses de thé) d'Ishida Mitsunari était une histoire inventée à l'époque d'Edo, mais c'est une excellente forme d'hospitalité.
Shizuko avait pensé que le messager était pressé, alors elle avait servi 2 tasses au lieu de 3, mais le messager lui était tout de même reconnaissant.
Même une tasse d'eau chaude était la bienvenue en ce temps glacial.
Le messager, ému, s'inclina profondément devant Shizuko.
"C'était délicieux. Merci beaucoup pour votre considération, Shizuko-sama.
"Ah, ce n'est rien."
"Sur ce, je me retire."
Le messager s'inclina de nouveau, monta rapidement sur son cheval et partit.
***
Le banquet du Nouvel An se poursuivit avec enthousiasme jusqu'à peu avant le coucher du soleil.
Les hommes des villages de Shizuko et de Nisaku étaient tous complètement ivres, alors les habitants du village de Nisaku avaient décidé de passer la nuit dans le village de Shizuko.
Mais en raison de leur ivresse, la plupart d'entre eux avaient dormi dans la salle du banquet indépendamment de leur sexe.
Shizuko, en revanche, avait pris un bain matinal et s'était rendue aussi propre que possible.
Les banquets organisés pour récompenser les serviteurs pouvaient faire penser qu'ils avaient une atmosphère rugueuse, mais ils étaient en réalité assez formels.
Pour faire simple, il valait mieux les considérer comme des fêtes de la haute société. Ne pas savoir faire preuve d'étiquette risquait d'entacher la réputation de l'hôte.
Et cette fois-ci en particulier, elle devait porter un uniforme militaire plutôt qu'une tenue de femme d'une famille de guerrier ; pour résumer, elle devait se travestir.
Ça caille tellement… j'ai envie de m'enfermer avec l'irori…
Bien qu'elle avait frissonné durant tout le trajet, Shizuko arriva sans encombre au château de Komakiyama où se trouvait Nobunaga.
Comme elle portait déjà une tenue appropriée, elle n'avait pas à se changer dans le château.
Cependant, elle ne pouvait pas se rendre immédiatement au banquet. La société samouraï et leur hiérarchie très stricte faisaient qu'elle devait d'abord transmettre ses vœux du Nouvel An à Nobunaga.
Et elle n'était pas la seule à devoir le faire. Les guerriers qui servaient directement Nobunaga, ainsi que leurs vassaux, devaient tous lui présenter leurs vœux.
Résultat, une longue file s'était formée devant la salle d'audience.
… Ce serait marrant s'il y avait un panneau qui disait « La ligne se termine ici ».
Shizuko fit la queue en ayant cette pensée excentrique.
Dès qu'elle s'aligna avec les autres, le samouraï devant elle, l'ayant entendue approcher, se retourna et fut choqué.
Shizuko se demanda pourquoi cet homme était surpris, mais elle réalisa très vite la raison.
La différence de taille. Le samouraï n'atteignait que le torse de Shizuko, plaçant sa taille dans les alentours de 150 cm.
Et pourtant, il faisait partie des plus grands, car en regardant plus loin dans la file, il y avait des hommes encore plus petits ici et là.
Ah… la taille moyenne à cette époque était d'environ 140 cm.
Shizuko avait réalisé une fois de plus à quel point elle était grande, mais elle n'avait aucun moyen de rapetisser.
En conséquence, jusqu'à ce que ce soit à son tour d'entrer dans la salle d'audience, Shizuko était continuellement regardée par les autres comme si elle faisait partie d'un spectacle de monstres.
Et son tour arriva après plusieurs dizaines de minutes d'attente.
Malgré cela, elle choisit de ne pas utiliser de mots fantaisistes et donna des paroles sûres et basiques similaires à celles de la personne qui l'avait précédée.
Après les salutations, elle fut conduite vers la salle du banquet.
Une personne qui semblait être une servante la guida à sa place comme si elle avait été décidée au préalable.
Mais au bout d'un moment, Shizuko réalisa qu'elle était la seule à avoir été guidée.
Tous les autres semblaient connaître leur place depuis le début.
Ok… j'ai un mauvais pressentiment au sujet de ma place.
Sa prémonition allait s'avérer juste.
***
Shizuko sentit un frisson parcourir son échine.
Elle regrettait de ne pas avoir remarqué plus tôt que son siège était étrangement proche du podium de Nobunaga.
Bougeant seulement ses yeux, Shizuko observa son environnement. À côté d'elle se trouvait le serviteur le plus honoré d'Oda Nobunaga : le « Sanza de l'offensive », Mori Yoshinari.
De l'autre côté se tenait Takigawa Kazumasu, un homme qui deviendrait plus tard l'un des shitennō d'Oda ; étrangement, il avait une expression troublée sur le visage.
Un peu plus loin se trouvait un homme qui était actuellement plutôt mal traité mais qui deviendrait plus tard l'un des shitennō d'Oda ainsi que leur plus puissant général : Shibata Katsuie.
Et assez proche de Nobunaga se trouvait Niwa Nagahide, un général féroce égalant Shibata Katsuie, l'un des futurs shitennō d'Oda, l'un des cinq généraux d'Oda, et un membre de la belle-famille de Nobunaga depuis deux générations.
Le dernier membre des shitennō d'Oda, Akechi Mitsuhide, était devenu un vassal du clan Oda entre la 11ème et la 12ème année de l'ère Eiroku (1568-1569), alors il n'était pas présent.
Kinoshita Tōkichirō, qui deviendra plus tard Toyotomi Hideyoshi, était lui aussi assis près de Nobunaga.
Pour résumer, Shizuko était assise au milieu de plusieurs serviteurs éminents de Nobunaga.
Mon estomac… je veux des calmants pour mon estomac… !
L'aura intimidante des guerriers autour d'elle fit se nouer l'estomac de Shizuko, mais demander à changer de place maintenant était impossible alors elle n'eut d'autre choix que d'endurer en silence.
Pour dire la vérité, Shizuko n'était pas très douée pour ce genre de situation, même quand elle participait, elle préférait rester dans un coin sans attirer l'attention.
De plus, elle était du genre à rester enfermée et à ne pas sortir durant les journées glaciales comme aujourd'hui.
Urgh… faites que ça se termine rapidement.
Contrairement à son souhait, le banquet n'avait même pas commencé alors que plusieurs dizaines de minutes s'étaient déjà écoulées.