Shizuko observa le village de Nisaku et ses alentours et vit que ses spéculations étaient correctes.
Il y avait un ruisseau à côté du village et un autre un peu plus loin, mais tous deux étaient remplis d'eau brune bien alors qu'ils ne montaient que jusqu'aux genoux.
Elle puisa un peu d'eau et vit que des petits grains de sable étaient mélangés dedans.
L'eau d'une rivière pouvait devenir brune et boueuse pendant environ 3 jours après une pluie, mais il n'avait pas plu depuis plusieurs jours.
Une rivière devenait brune lorsqu'elle était complètement contaminée par des sédiments tels que le sable.
Cela rendait son eau imbuvable.
Elle ne pouvait pas non plus être utilisée pour la lessive, mais il semble que les villageois n'avaient pas le choix.
Ils n'ont jamais fait d'éclaircie, alors il n'y a rien pour retenir le sol. À chaque averse, la terre végétale est emmenée et accumulée dans les ruisseaux. Si on s'en occupe pas rapidement, cette forêt va fréquemment provoquer des glissements de terrain.
Elle avait marché un peu dans la forêt qui entourait le village et n'avait trouvé aucune parcelle de terrain sec ; partout autour d'elle, le sol était boueux.
Ce n'était qu'une petite marche, mais ses chaussures étaient déjà embourbées dans la boue et étaient devenues inutilisables.
Wittmann, Kaiser et König avaient eux aussi leurs pattes enfoncées dans la boue et étaient incapables de se déplacer librement.
Il n'était pas étonnant qu'aucun animal ne veuille s'approcher de cet endroit.
"C'est encore plus dangereux que je croyais."
Même à première vue, la montagne était dans un état lamentable. Dans le monde moderne, elle serait déclarée comme une zone à risque de glissement de terrain d'ici l'année prochaine.
S'ils étaient vraiment malchanceux, un glissement de terrain pourrait atteindre le village de Shizuko et causer de graves dégâts.
Shizuko eut des sueurs froides à la pensée que le village qu'elle avait ramené à la vie au bout de 2 ans pouvait disparaître en un instant.
"Il faut au moins stabiliser le village de Nisaku-san. Ça assurera la sécurité de notre village."
Au vu de la situation actuelle, il n'y avait pas de temps à perdre.
Dans le pire des cas, elle devrait demander à Mori Yoshinari de lui prêter temporairement quelques ouvriers.
Il fallait vite retirer les arbres qui avaient mal poussé et ceux dont les racines étaient exposées et redonner à la forêt sa fonction originelle.
"Rentrons."
Shizuko donna un bref ordre à Wittmann et à ses fils et retourna rapidement au village de Nisaku.
À son retour, la nourriture qu'elle avait apportée avait déjà été engloutie.
C'était leur premier véritable repas depuis un long moment, la plupart d'entre eux mangeaient les larmes aux yeux.
Shizuko trouvait cela exagéré, mais elle se rappela qu'ils étaient affamés depuis très longtemps.
J'espère qu'ils ne vont pas attraper des crampes d'estomac ou piquer une crise…
Sous cette pensée, Shizuko chercha Nisaku.
Heureusement, ou peut-être malheureusement, il n'y avait que quelques adultes, alors elle avait rapidement trouvé Nisaku.
Il semble qu'il était avec sa famille : deux personnes âgées qui devaient être ses parents, sa femme et sa fille.
Ils étaient tous affamés au point où ils n'avaient plus que la peau sur les os.
"(Il va falloir régler ça.) Nisaku-san, je peux vous parler un moment ?"
Au moment où elle dit cela, tous les regards se rivèrent sur elle.
Shizuko ne put s'empêcher de fléchir en voyant l'attention qu'elle avait soudainement attiré, mais les villageois ne réagirent pas. À la place, ils posèrent leur repas au sol et joignirent les mains dans sa direction.
"Merci ! Merci beaucoup !"
Shizuko fut surprise de voir tous ces gens faire la révérence, et elle remarqua que la majorité d'entre eux étaient des personnes âgées.
Il y avait une raison évidente à cela.
C'était pareil dans mon village, il y a extrêmement peu d'enfants et de personnes âgées. Ils ont réduit le nombre de bouches à nourrir…
Lorsque la nourriture manquait, les personnes âgées devenaient inévitablement les premières cibles.
Si la situation s'aggravait, les victimes suivantes étaient les faibles, les invalides, puis les enfants.
Il y avait très peu d'enfants et de personnes âgées. Et tous les villageois étaient au bord de l'inanition.
Même après avoir réduit le nombre de bouches à nourrir, ils ne parvenaient toujours pas à se procurer suffisamment de nourriture.
"Ô maîtresse des loups, pitié, sauvez notre village."
… Hein ? Maîtresse des loups… ?
Shizuko pencha la tête, confuse, face aux paroles d'un villageois, mais elle se rappela qu'ils étaient dans une région montagneuse.
Les habitants des régions montagneuses du centre du Japon et du Kanto voyaient les loups comme des messagers, et donc des serviteurs, des dieux.
De plus, les "dieux" qu'ils vénéraient étaient les loups qui vivaient dans la région de Chichibu, plus particulièrement autour du sanctuaire Mitsumine.
À l'époque de Shizuko, cependant, les loups japonais qui y vivaient étaient une espèce éteinte.
Se souvenant de ce culte des loups, Shizuko regarda Kaiser qui était assis à côté d'elle.
Il était le fils de Wittmann et de Vultee et avait le rang le plus élevé parmi les louveteaux.
Un louveteau n'avait besoin que d'un an pour atteindre la taille d'un adulte. Quant à la maturité sexuelle, cela lui prendrait environ deux ans.
Cependant, seul Kaiser était déjà aussi grand qu'un adulte.
Les autres enfants avaient toujours leur petite taille de louveteau, alors Shizuko ne comprenait pas pourquoi il était le seul à avoir grandi autant.
Mais malgré son apparence, il était un enfant gâté qui restait collé à Shizuko.
Il y a peu de temps encore, il restait aux crochets de sa mère Vultee.
"(Ils vénèrent les loups, hein…) Nous allons bientôt commencer le travail, alors est-ce que quelqu'un pourrait rassembler les bûcherons pour moi ?"
Les villageois étaient toujours prosternés, mais Shizuko mit cela de côté et décida de se concentrer sur la raison de sa venue.
***
La nourriture semblait avoir fait son effet car la majorité des villageois avaient décidé de servir de bûcherons.
Pour Shizuko qui s'était attendue à environ 20 personnes, ou 10 si elle devait être réaliste, cela fut une heureuse erreur de calcul.
"Nous allons commencer à éclaircir les arbres dans cette zone. On appelle ça de [l'éclaircie], mais vous n'avez pas besoin de vous creuser la tête à ce sujet. Pour faire simple, nous allons faire en sorte qu'il y ait une distance appropriée entre chaque arbre."
"Oui !"
Les villageois répondirent avec des voix pleines de motivation.
Shizuko n'était pas une fan du dicton « Quand on veut, on peut », mais elle allait devoir s'en servir.
"Transportez les arbres coupés au pied de la montagne. Mes villageois devraient être là-bas, vous leur donnerez les arbres."
Pour qu'un arbre puisse être utilisé comme du bois de chauffage ou de construction, il devait d'abord être séché.
Mais la montagne n'avait pas d'endroit approprié pour stocker ou traiter le bois.
Par conséquent, il a été décidé que les arbres capables de servir de bois de construction seraient coupés en des tailles appropriées au village de Shizuko tandis que le reste serait réduit en bois de chauffage et en charbon de bois.
Durant le séchage, il était nécessaire de créer un environnement pour que le bois puisse être transformé en charbon de bois ; comme le séchage prenait plusieurs mois, il y avait plus que suffisamment de temps pour cela.
Le surplus qui subsisterait après le traitement serait utilisé comme matériau pour allumer les feux.
"Je vais faire le tri, enlevez complètement les arbres que je marquerais, y compris les racines."
"Compris !"
Sur ces mots, Shizuko se mit à désigner les arbres qu'il fallait abattre.
Les espaces entre les arbres ne seraient pas réguliers car Shizuko mesurait à vue d'œil, mais la création d'un environnement où le sol recevrait suffisamment de lumière était plus importante que la précision.
En conséquence, la forêt aurait l'air plutôt vide, mais il était nécessaire d'enlever ces arbres.
"Celui-là est solide, alors on peut le garder. Celui-là est mauvais, alors il faut l'enlever. Le prochain arbre sera…"
Shizuko décida des arbres qui devaient être abattus en se basant sur leur état.
***
Après avoir fini de faire le tri dans une certaine étendue, Shizuko laissa les bûcherons derrière et retourna au village de Nisaku.
"Tagosaku-san, Daiichi-san. Vous avez terminé les préparatifs ?"
Shizuko appela Tagosaku et Daiichi dès son retour.
L'étape suivante consistait à installer un système de filtration pour le ruisseau et de creuser un puits.
L'équipement de filtration n'était pas quelque chose de difficile à fabriquer, alors elle avait décidé de faire cela en premier.
"Tout est prêt."
Tagosaku répondit avec le pouce levé.
Derrière lui se trouvait un seau en bois qui était faiblement couvert par un tissu.
"C'est l'eau du ruisseau ? Waouh, je me répète, mais c'est vraiment plein de terre !"
Le deuxième seau, qui n'était pas couvert, était rempli d'une eau boueuse.
Il faudrait probablement plus d'une journée pour que toute la saleté finisse au fond du seau. Et même après cela, on ne peut pas vraiment dire que l'eau serait propre.
"Maintenant, posez le charbon, les plantes et les cailloux sur le tissu, dans cet ordre."
Le système de filtration auquel Shizuko avait pensé était une version improvisée qui était souvent utilisée durant l'entraînement à la survie. Normalement, il fallait utiliser des matériaux beaucoup plus fins, mais elle allait devoir se contenter de ce qui pouvait être trouvé sur place.
Si elle construisait un système plus compliqué, le village de Nisaku devrait demander de l'aide au village de Shizuko chaque fois qu'il tomberait en panne.
Cela serait une perte de temps pour les deux partis.
Par conséquent, il était important que le système soit suffisamment facile à construire pour que même Nisaku et les villageois puissent le fabriquer eux-mêmes.
"Le charbon purifie l'eau et les plantes enlèvent le sable contenu dans l'eau. Les cailloux… euh, ils font à peu près la même chose."
Malgré son explication, ni Nisaku ni Tagosaku ni Daiichi, qui avaient construit le système, ne comprenaient la moitié de ce qu'avait dit Shizuko.
Pour le moment, ils avaient simplement résumé que « cela nettoyait l'eau ».
Ensuite, ils versèrent de l'eau dans le seau filtrant.
Cela était bien plus rapide que d'attendre que la saleté soit déposée au fond, mais la filtration prenait tout de même 1 à 2 heures.
Durant ce temps, Shizuko s'attela à la dernière tâche : creuser un puits.
"Il ne reste plus qu'à creuser un puits… mais où est-ce que je peux en trouver un ?"
Pour trouver une nappe phréatique capable de servir de puits, il fallait des outils et de la patience.
La possibilité d'échouer est assez élevée, alors si une personne n'a pas de persévérance, cette entreprise serait très infructueuse.
Shizuko avait déjà essayé de construire un puits dans son village, mais ses cinq tentatives ont échoué.
Mais ironiquement, les outils qu'elle avait préparés à ce moment-là allaient se montrer utiles ici.
"On peut chercher des branches qui sont tournées vers le sol, ou alors on peut se servir de cet aimant naturel pour mesurer le champ magnétique créé par la nappe phréatique…"
Lors de l'une de ses tentatives de creuser un puits, Shizuko était accidentellement tombée sur un aimant.
Cela pouvait également être une magnétite, mais la différence n'était pas importante pour Shizuko.
Au Japon, l'existence de la magnétite a été consignée pour la première fois dans le 6ème volume du Shoku Nihongi durant l'époque de Nara (710-794), elle avait été découverte dans la province d'Ōmi (préfecture de Shiga) et offerte à l'empereur en l'an 6 de l'ère Wadō (713).
Plus tard, les boussoles ont été introduites au Japon pendant l'époque de Heian (794-1185) depuis l'étranger.
Depuis, le Japon s'était mis à importer de la magnétite pour fabriquer des boussoles.
Shizuko avait réussi à mettre la main sur l'un de ces précieux aimants, mais les inconvénients primaient sur les avantages.
Pour commencer, elle n'en avait qu'un seul. Donc si elle le cassait, elle ne pourrait pas en sortir un autre.
Il était également impossible d'en chercher. Creuser la terre pour essayer d'en trouver un autre ne donnerait probablement rien.
Et comme il avait la forme d'une sphère noire, rien que distinguer le nord du sud était déjà un défi.
Comme elle n'avait pas d'autre choix, Shizuko accrocha l'aimant à une ficelle et plaça une planche de bambou entre les deux afin de pouvoir différencier le nord du sud.
Cela n'était pas très beau à voir, d'un point de vue extérieur, elle avait l'air d'une fille qui faisait quelque chose de louche avec un caillou.
"Est-ce que j'arriverai à trouver quelque chose de cette façon ? Bah, essayons quand même."
Shizuko soupira alors qu'elle se mit à la recherche d'une nappe phréatique avec sa boussole de fortune.
***
Le groupe de Shizuko se mit à la recherche d'un endroit où creuser un puits, mais ils ne trouvèrent aucun endroit approprié.
Soit l'eau creusée était boueuse, soit l'emplacement était difficile.
Ils n'avaient pas trouvé un seul endroit convenable.
Ils trouveraient sûrement un endroit s'ils cherchaient suffisamment loin, mais puiser de l'eau prenait beaucoup de temps.
Dans ce cas-là, descendre au pied de la montagne serait bien plus rapide, il fallait donc que le puits soit à une distance de 5 minutes de marche maximum.
"… Pas de bon endroit, hein, cheffe ?"
"Ne me mettez pas la pression…"
"Pré-tion ?"
"… Rien. Dans tous les cas, on a pas d'autre choix que de continuer de chercher. Dans le pire des cas, il nous faudra construire une machine pour tirer de l'eau au pied de la montagne…"
Shizuko dit cela en regardant Kinzō qui détourna immédiatement le regard.
Les mots étaient inutiles.
Son dos tourné exprimait clairement sa non-envie d'apprendre comment fabriquer une telle machine.
Alors qu'elle se demandait quoi faire, Kaiser, qui était à ses côtés, aboya soudainement.
Elle pensait qu'il avait juste vu un animal, mais après son hurlement, Kaiser sprinta dans une direction.
Surpris par cette action inattendue, le groupe le poursuivit immédiatement.
"Attendez, Kaiser ! Où est-ce que tu vas ?!"
Shizuko l'appela, mais Kaiser ne s'arrêta pas.
Il avait beau n'être qu'un louveteau, il restait un animal sauvage, il se distança du groupe de Shizuko en un clin d'œil.
Mais il n'avait pas cherché à aller très loin et il fut vite rattrapé.
"Hé, ne cours pas soudainement comme ça. Qu'est-ce qui t'as pris ?"
Réagissant à ces mots, Kaiser aboya et creusa légèrement un certain lopin de terre.
Shizuko était d'abord confuse, mais elle comprit rapidement que Kaiser lui disait de creuser ici.
"Cheffe ! Que se passe-t-il ?!"
Alors que Shizuko examinait le sol que Kaiser tapotait avec ses pattes avant, Kinzō, Tagosaku et les autres les rattrapèrent.
Daiichi et Nisaku étaient complètement essoufflés, mais pas au point de s'effondrer.
"Allez, creusons ici !"
Sur ces mots, Shizuko saisit la pelle que transportait Kinzō et se mit à creuser.