27 août 2142 - Bureau de la Fondation de l'Aube, États-Unis
Dans un bureau aux volets fermés, éclairé par la lumière d'une ampoule et celle d'un ordinateur portable, un trio se préparait à passer à l'action. Ils travaillaient sur cette affaire depuis un certain temps, chargés de mener à bien cette opération très délicate. Heureusement, ils pouvaient compter sur leur expérience, leur talent, et le matériel prêté par la Fondation de l'Aube. Ce groupe était effectivement l'une des équipes de la mystérieuse organisation qui prenait le nom de Fondation de l'Aube. La plus jeune, une femme aux cheveux roux bouclés, travaillait sur l'ordinateur, ses doigts parcourant habilement le clavier pendant que les deux autres semblaient attendre patiemment. Le silence dans la pièce faisait ressortir les cliquetis des touches pressées les unes à la suite des autres, laissant s'inscrire une certaine pression quant à la mission de la jeune rousse.
— J'ai réussi à m'introduire dans leur réseau !
Sa voix vibrante d'enthousiasme coupa brutalement le silence dans lequel ils étaient plongés. Le clavier avait cessé de faire du bruit, confirmant le succès complet de son opération.
— Tu aurais dû engager un pro, je suis un peu à la ramasse pour ce genre de boulot.
L'homme à qui elle s'adressait lui répondit sur un ton bienveillant, le visage souriant. C'était une personne de taille moyenne, portant une chemise blanche un peu lâche. Son air détendu ne rimait pourtant pas avec négligence, puisqu'il avait une tenue impeccable, et, malgré sa coiffure un peu désordonnée, des cheveux lisses et brillants d'une teinte blond vénitien très prononcée.
— Ce n'était pas grand chose, tu avais largement les capacités, Camélia. Pas besoin de recourir à quelqu'un d'autre. À ce sujet, attendons un peu avant de les contacter.
— Compris.
— Bon... Tantoret, rien de nouveau du côté de M.Y.T.H. ?
Il s'adressait alors à l'autre femme qui se trouvait dans le bureau, qui semblait rêver jusqu'à ce que la voix de son supérieur ne l'interpelle. Sa peau cuivrée rappelait ses origines égyptiennes, bien qu'elle portait une tenue tout à fait occidentale, qui laissait voir sur ses bras nus le tatouage d'un serpent dont la queue commençait au niveau de l'épaule droite et la tête se trouvait juste au-dessus du dos de la main. Bien que son œil gauche soit caché derrière une mèche de ses cheveux noirs comme la suie, l'homme ressentit toute l'intensité de son regard.
— Constance a profité de la situation pour s'introduire dans l'entrepôt et a massacré l'équipe B, comme tu l'avais pressenti. Par contre, des clandestins du Prometheus ont rejoint la rébellion. On peut leur faire confiance, j'ai confirmé le statut de leur mission, elle est officielle. Ils sont un homme, une femme, et une troisième personne que je n'arrive pas à observer pour une raison que je ne comprends pas totalement... C'est comme si mon œil refusait de le voir...
Face au rapport de Tantoret, Camélia afficha une certaine tristesse, tandis que l'homme restait plutôt serein.
— L'équipe B n'aurait fait que nous gêner, rappela l'homme. Le plus important, c'est que la rébellion n'abandonne pas son objectif. Si nous arrivons à éliminer tous les pions de M.Y.T.H., il n'y aura plus rien qu'il puisse faire.
— Vous pensez que la rébellion parviendra à quelque chose d'aussi impressionnant ? questionna Tantoret. Même si ses pions ne sont pas très imposants, ils sont dans les mains d'un stratège incroyable. Et puis, je suis persuadée qu'il cache une partie de son jeu.
— Constance, Imperator seront éliminés facilement. Adalyn n'est pas spécialement du côté de M.Y.T.H., Bertha est vraiment le gros problème, mais éventuellement, ils y viendront à bout.
— J'aimerai avoir votre optimisme...
Il se contenta d'hausser les épaules en arborant un air satisfait en réponse. Il se tourna ensuite vers Camélia qui était restée silencieuse.
— Où en sont nos rebelles ?
— Un groupe est sorti de la base et se dirige actuellement vers la zone où se trouve Constance, lui informa Camélia.
Le chef des opérations réfléchit un instant à la situation, frottant son menton lisse avec ses doigts fins, avant de parvenir à une conclusion qu'il jugea suffisamment pertinente pour la partager à ses collègues de travail.
— Je pense que le contexte est propice à ce que nous commencions la première phase de l'opération assistance profitable.
— Je trouve toujours que le nom est un peu ringard...
Une ride de frustration se lisait sur le front du chef. Ayant été à l'origine de ce choix, il était plutôt mécontent que Camélia se permette de le critiquer sans la moindre gêne.
— Contente-toi d'envoyer les fichiers aux rebelles ! Tous les autres éléments sont bien en place, alors nous allons frapper tout de suite !
— Oui oui papa.
Camélia reprit tranquillement son activité sur l'ordinateur, envoyant sur le réseau des rebelles des documents informatiques contenant des informations précieuses capables d'inverser la tendance.
Beyond the Clouds était effectivement une ville au centre des intérêts, et à la querelle initiale entre les rebelles et le gouvernement de la cité s'ajoutaient maintenant divers partis plus ou moins pertinents, qui cherchaient à tirer profit de cette situation. Cette ville flottante était la capitale où l'individualisme paraissait à son paroxysme, exacerbé par la sensation d'avoir à portée de main des possibilités infinies. Une idéologie malsaine que la rébellion voulait renverser.
27 août 2142 - Allée est, Beyond the Clouds
Les allées à cet étage de la ville étaient difficiles à différencier les unes des autres. Elles formaient un quadrillage très régulier, dont l'éclairage blanc fatigait les yeux et l'esprit. Un environnement aliénant, d'autant plus que le groupe était plongé dans un silence total, la situation n'étant pas propice aux discussions. Il n'y avait aucun bruit, autre que celui des pas du groupe qui avançait vers les entrepôts.
— Arrêtez-vous un instant, avertit soudainement Maya à travers les communications. Nous... avons reçu quelque chose. C'est...!
Futakuchi-onna s'arrêta en recevant cet ordre, et transmit l'information aux autres en leur faisant signe d'attendre. Parmi les personnes présentes, elle était la seule en contact avec la base de la rébellion.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle.
La réponse mit un certain temps à lui parvenir. Ce n'était pas dû à un problème technique, mais à de l'hésitation. Après quelques instants de silence, l'adolescente entendit une autre voix, marquée par l'irrésolution.
— Un plan... Pour se débarrasser de Constance... C'est-à-dire... Nous l'avons analysé, et il n'y a aucun défaut. C'est un peu dangereux, mais si tout se passe comme indiqué, ça peut le faire !
— Mary...!
Elle fut soulagée de voir que leur capitaine avait repris des forces, et esquissa un léger sourire. Mais l'adolescente retrouva très vite un air sévère, reprenant presque immédiatement la parole.
— En quoi consiste ce plan ? Vous avez prévenu Megane ?
— Elle est déjà sur le coup. On a besoin que vous gardiez Constance occupée pendant trois à quatre minutes. Ne prenez pas le moindre risque, l'idée est juste de gagner du temps.
Futakuchi-onna hocha la tête, puis se tourna vers le trio du Prometheus. Son visage était tellement grave que même Joshua fronça les sourcils.
— Est-ce que vous acceptez de retenir l'attention de Constance pendant cinq minutes ? leur demanda-t-elle.
— [J'ai distinctement entendu trois à quatre minutes... Est-ce qu'elle prend de la marge ? se demandait la Vouivre.]
— C'est une seule personne ? On est quatre, rien de plus simple, affirma Seth avec optimisme.
Face à son assurance naïve, Joshua posa sa main sur l'épaule du garçon, ce qui eut pour effet de le surprendre et le plonger dans la confusion.
— Encore une fois, tu fonces sans connaître ton adversaire. Est-ce que je dois te rappeler ce qui t'est arrivé face à la préfète Atlas ?
— Je crois que ça ira... Futakuchi, qu'est-ce que tu sais sur Constance ? demanda le garçon.
L'intéressée détourna le regard suite à cette question. Le sujet était grave et, chez elle comme chez de nombreux membres de la rébellion, évoquait une grande souffrance. Voyant sa réaction, Seth se sentit coupable d'avoir posé la question.
— C'est Futakuchi-onna. Constance était une chercheuse, mais elle ressemble plus au chien de chasse du gouvernement. Elle tue sans merci et sur demande. Beaucoup de membres de la rébellion sont morts de sa main.
Le groupe resta silencieux un instant alors que Seth baissait les yeux, sentant la lourdeur du sujet lui peser.
— Ouais... Mais du coup, ses capacités ? reprit la Vouivre.
— [EXACTEMENT ! Je n'osais pas le dire, mais elle est complètement à côté de la plaque ! pensait Seth]
Complètement désarçonnée, elle mit quelques instants à remettre de l'ordre dans ses idées. Cette panique un peu enfantine avait redonné quelques couleurs à son visage, ce qui fit sourire Seth.
— Rien de vraiment dangereux. Elle peut modifier la température de fusion de tout ce qu'elle touche, dans un intervalle de cent degrés, d'après les estimations de Mary, répondit finalement Futakuchi-onna.
Joshua haussa un sourcil, perplexe par rapport à cette réponse.
— Je ne veux même pas savoir ce que vous considérez comme dangereux, confia-t-il.
— Il faudra bien. On en aura des ennemis à surpasser pour arriver jusqu'à l'ambassade.
Son sourire en coin était loin d'être rassurant, et le garçon ressentit des frissons en pensant à ce qui les attendait après cette première confrontation.
— Ne traînez pas, s'il vous plaît, rappela Mary.
— Allons-y.
Futakuchi-onna décida de presser un peu le pas. Elle avait déduit des explications de Mary que la princesse prusse devait être en train d'occuper Constance seule le temps qu'ils arrivent en renfort. L'état de sa camarade l'inquiétait, elle ne voulait pas l'exposer au danger plus longtemps que prévu. Heureusement, le reste de l'équipe avait accéléré la cadence en suivant son exemple.