Le ciel s'étendait à perte de vue, teinté de nuances d'or et de pourpre. Au loin, on apercevait les silhouettes éthérées des Îles Célestes, suspendues dans les airs, défiant les lois de la gravité. Ces terres flottantes, mystérieuses et majestueuses, étaient autant de fragments d'un passé lointain, vestiges d'une époque où les hommes vivaient encore dans la simplicité terrestre, avant que les grandes déchirures ne façonnent le monde tel qu'Aran Lager le connaissait.
Les Îles Célestes n'étaient pas nées de la main de l'homme, mais d'un événement qu'on appelait la Fracture, un cataclysme dont on ne savait plus grand-chose, sinon qu'il avait bouleversé l'équilibre de la Terre. Les anciens textes, en partie perdus ou détruits, parlaient d'une guerre entre les cieux et la terre, une guerre dont les échos avaient fissuré la croûte même du monde, provoquant la montée de ces îles vers le firmament. Les érudits, eux, murmuraient que cette Fracture n'avait été que la conséquence d'un plus grand secret, caché dans les profondeurs des îles elles-mêmes, un savoir ou une puissance trop dangereuse pour être révélé.
Aujourd'hui, seules quelques-unes de ces îles étaient accessibles. Les plus proches de la surface étaient peuplées de descendants de ceux qui avaient fui les guerres d'en bas. Mais les plus hautes, baignant dans des nuages éternels, demeuraient inexplorées, mystérieuses et interdites.
Aran Lager, lui, ne s'était jamais aventuré sur les Îles Célestes. Pas encore. Mais il savait que son destin le mènerait là-haut, tôt ou tard.
Il était assis sur le bord d'une falaise, observant l'horizon où se dessinaient les îles suspendues. À vingt-deux ans, il portait déjà un lourd fardeau sur ses épaules, bien plus que son âge ne laissait supposer. Ses cheveux noirs, coupés court, encadraient un visage buriné par des années de survie, bien que trop jeunes pour être marquées par les rides de l'âge. Ses yeux gris, presque métalliques, reflétaient une froide détermination, forgée dans les épreuves de son passé.
Aran était né dans un village isolé, loin des grandes cités, dans un monde marqué par l'inégalité et la lutte pour la survie. Son père, un chasseur respecté, lui avait appris à manier les armes dès son plus jeune âge. Sa mère, plus douce, lui racontait souvent les légendes des Îles Célestes, des récits empreints de magie et de mystère. Mais cette enfance idyllique avait été brutalement interrompue par la guerre.
À l'âge de seize ans, son village avait été attaqué par les forces impériales, avides de conquérir de nouveaux territoires. Ce fut un massacre. Aran perdit tout ce qu'il avait jamais connu. Le souvenir de son père tombant sous les coups des soldats, de sa mère brûlée vive dans les flammes de leur maison, le hantait encore, chaque nuit. Mais plus que les souvenirs, c'était la culpabilité qui le dévorait. Car ce jour-là, Aran avait fui.
Il avait fui, laissant derrière lui les cris, la mort et son passé.
Pendant plusieurs années, il erra, sans but, se battant pour survivre, enchaînant les combats pour de l'argent, devenant un mercenaire malgré son jeune âge. Son cœur s'était durci à mesure que les batailles s'enchaînaient, chaque coup d'épée une tentative d'oublier, chaque victoire une promesse de rédemption qu'il n'atteignait jamais. Pourtant, malgré tout, une flamme continuait de brûler en lui. Il savait qu'il ne pourrait pas fuir éternellement son passé, ni les fantômes qui le hantaient.
Récemment, des rumeurs étaient parvenues à ses oreilles. On parlait d'une découverte sur l'une des Îles Célestes, d'un ancien artefact lié à la Fracture, une clé vers un pouvoir oublié. Aran savait qu'il devait s'en approcher, que quelque part dans ces cieux perdus se trouvait la réponse qu'il cherchait. Il n'était plus ce garçon en fuite. À vingt-deux ans, il était devenu un homme, forgé par la guerre et le chagrin, mais la soif de vérité et de vengeance l'animait toujours.
Il se leva, resserrant la ceinture de son manteau de cuir usé. Son regard se posa une dernière fois sur les Îles Célestes avant qu'il ne tourne les talons, déterminé. Ce n'était plus une simple quête de rédemption. C'était une quête de justice. Pour son passé. Pour ceux qu'il avait perdus.
Et quelque part, là-haut, dans ces cieux inaccessibles, il savait que sa véritable destinée l'attendait.
Aran marcha d'un pas rapide à travers le sentier rocailleux, ses bottes soulevant des nuages de poussière fine à chaque pas. Le vent hurlait autour de lui, comme pour le pousser en avant vers son destin. Les falaises abruptes qui bordaient le chemin semblaient s'étendre à l'infini, tout comme les Îles Célestes qui continuaient de flotter dans le ciel, témoins silencieux de son voyage.
Le Royaume des Mages, connu sous le nom d'*Ethélion*, était sa prochaine destination. C'était un lieu de mystère, une terre isolée où seules les élites magiques pouvaient accéder. On disait que les montagnes d'Ethélion étaient si hautes qu'elles caressaient presque les nuages et que les mages, depuis leurs citadelles perchées sur les cimes, pouvaient commander les éléments eux-mêmes. Aran n'y était jamais allé, mais tout son corps était parcouru d'une étrange énergie à l'idée de ce voyage.
Là-bas, dans le cœur même du royaume, se trouvait **la Tour de Lumen**, un ancien sanctuaire où les plus puissants sorciers étudiaient les secrets des îles et des astres. C'était là que résidait la clé de son avenir. Le seul indice qu'il avait réussi à obtenir sur la relique qu'il recherchait provenait d'un mage en exil, un homme brisé qui lui avait murmuré à demi-mot que sa quête devait passer par Ethélion.
Le voyage ne serait pas facile. Ethélion n'était pas ouvert aux étrangers, encore moins à un homme comme lui, un guerrier sans magie. Mais Aran n'avait pas le choix. Il s'enfonçait plus profondément dans ce chemin sans retour, guidé par une force obscure qu'il ne comprenait pas encore complètement.
En arrivant au pied de la grande porte de fer qui marquait l'entrée du port d'*Aerlan*, son point de départ vers Ethélion, Aran s'arrêta un instant, regardant les imposants navires qui flottaient, ancrés dans les airs comme d'immenses oiseaux de fer. Ces vaisseaux étaient la seule manière de voyager au-delà des frontières terrestres vers les royaumes célestes. Il resserra la lanière de son sac en cuir, vérifiant une dernière fois ses armes. Le vent souffla plus fort, comme un présage.
Il se tourna vers le capitaine du vaisseau qui se préparait à décoller. Le vieil homme, une cicatrice traversant son visage buriné, le jaugea un instant avant de hocher la tête. « Tu vas vers Ethélion, alors ? », lança-t-il d'une voix rocailleuse.
Aran acquiesça sans un mot. Le capitaine ne demanda pas plus de détails. Peu de gens parlaient de ce royaume sans ressentir une forme de crainte ou de respect.
Aran monta à bord, s'accrochant fermement à la rambarde alors que le vaisseau s'élevait dans les airs avec un grondement profond. Le paysage en dessous de lui se réduisait rapidement, la terre ferme devenant une tâche floue à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les nuages. Le vent fouettait son visage, mais il ne détourna pas le regard.
Les Îles Célestes se dressaient plus haut encore, mais Aran les ignora. Son regard était fixé sur une autre destination, celle qui l'attendait de l'autre côté des cieux. Ethélion l'appelait, et avec elle, les secrets de la Fracture. Sa quête venait de commencer.