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Chapter 4 - Les Forêts d'Ombrelune

Le matin était calme, trop calme. Aran avançait d'un pas mesuré, ses bottes s'enfonçant légèrement dans le sol humide des collines tandis qu'il descendait vers le sud, en direction des Forêts d'Ombrelune. Le village de Kelmir s'éloignait rapidement derrière lui, et avec lui, la présence rassurante de Kelran. Désormais, il était seul.

Les Forêts d'Ombrelune étaient encore à plusieurs jours de marche. On disait que ces bois, imprégnés de magie ancienne, n'étaient pas un simple lieu naturel. La forêt semblait vivante, sentient, comme si chaque arbre, chaque souffle de vent, cachait un secret que seuls les initiés pouvaient comprendre. Aran savait que cet endroit serait son terrain d'entraînement pour les mois à venir. Il n'y aurait personne pour le guider, personne pour lui enseigner. Tout dépendrait de ce qu'il pourrait apprendre par lui-même, de la manière dont il adapterait les leçons de Kelran à un environnement hostile, peuplé de créatures magiques aussi insaisissables que dangereuses.

Au bout de cinq jours de marche, Aran atteignit finalement les abords d'Ombrelune. La transition fut aussi soudaine que déroutante : un moment il traversait des collines paisibles, et l'instant d'après, il se tenait face à une lisière épaisse et dense, où les arbres massifs aux branches torsadées s'étiraient haut dans le ciel, leur feuillage plongeant la terre dans une semi-obscurité permanente. La lumière du soleil semblait s'éteindre en pénétrant sous les cimes des arbres, et l'air, autrefois frais et libre, était maintenant lourd, presque palpable.

Aran inspira profondément et s'avança sans hésitation. Chaque pas à l'intérieur de la forêt était comme une entrée dans un autre monde. Le bruit de ses propres bottes sur les feuilles mortes était étouffé, comme si la forêt elle-même absorbait le son. Le vent, pourtant constant, semblait changer ici, soufflant dans des directions irrégulières, imprévisibles. Parfois, Aran sentait une brise effleurer sa peau, chargée d'une fraîcheur étrange, presque inquiétante. D'autres fois, tout devenait silencieux, et c'était dans ces moments-là que ses sens se tendaient, sur le qui-vive.

Les premières semaines furent les plus difficiles. Kelran lui avait enseigné à écouter les brises, mais ici, dans l'atmosphère chargée d'Ombrelune, la tâche se révélait bien plus ardue. Le vent ne se comportait pas comme ailleurs. Parfois, il murmurait des sons fantomatiques, presque indistincts, et Aran devait apprendre à les discerner des simples bruissements de feuilles.

Chaque jour, il s'enfonçait plus profondément dans la forêt, explorant ses méandres, ses clairières dissimulées, ses rivières souterraines dont l'eau coulait dans un silence complet. Il passait des heures assis en méditation, immobile sous un arbre centenaire, les yeux fermés, se concentrant uniquement sur le souffle du vent autour de lui. Petit à petit, il commença à capter des indices subtils : une branche qui craque dans le lointain, un souffle chaud d'un animal caché, un changement infime dans la direction de l'air, trahissant la présence de quelque chose qui se mouvait sans faire de bruit.

Il sentait que son corps et son esprit changeaient. Ses muscles devenaient plus souples, sa respiration plus calme. L'Écoute des Brises ne se limitait plus à un simple exercice mental ; elle devenait une seconde nature. Le vent n'était plus seulement une force invisible. Il était un allié, un informateur silencieux qui le prévenait des dangers ou lui indiquait les mouvements des créatures autour de lui.

Au bout du deuxième mois, Aran fit sa première véritable rencontre avec les Ventara, les bêtes légendaires qui peuplaient Ombrelune. Cela se produisit en pleine nuit. Il dormait sous un arbre lorsque le vent changea soudainement. Un souffle plus vif, plus froid. Ses yeux s'ouvrirent d'un coup, et il tendit l'oreille. Il ne voyait rien, mais il ressentait quelque chose. Le vent lui parlait, il en était sûr. Il se leva en silence, l'épée dégainée, ses sens en alerte.

Et alors, il les vit. Une silhouette à peine discernable dans les ombres, une forme qui se déplaçait avec une vitesse fulgurante. Le Ventara, une créature à la peau argentée et aux yeux brillants, bondit vers lui. Mais Aran, grâce à l'Écoute des Brises, avait anticipé l'attaque. Il esquiva habilement le premier assaut, laissant la bête frapper le vide. Il sentait le souffle du Ventara avant même qu'il ne bouge, son épée suivant le mouvement du vent pour contrer l'agilité de l'animal.

Le combat fut bref mais intense. Aran ne chercha pas à tuer la créature, mais à survivre. Le Ventara, après quelques échanges, disparut aussi silencieusement qu'il était apparu, mais Aran savait qu'il reviendrait.

Au cours des mois suivants, Aran perfectionna son style de combat en se confrontant régulièrement aux Ventara. Chaque rencontre renforçait son lien avec le vent. Il devenait plus rapide, plus précis. Ses mouvements s'affinaient, son épée glissant à travers l'air comme une extension de lui-même. Il apprit à écouter les signaux avant-coureurs d'une attaque, à ressentir les vibrations dans l'air, à se fondre dans le silence de la forêt comme un prédateur invisible.

Mais au-delà des combats, Ombrelune l'avait transformé sur un plan plus profond. Il commença à comprendre les subtilités de la nature magique de la forêt, à percevoir une connexion entre les éléments, les arbres, et même les créatures qui y vivaient. Le vent n'était plus seulement un phénomène physique pour lui, c'était une présence consciente, une force qu'il pouvait presque ressentir comme un compagnon silencieux.

Vers le milieu de son entraînement, alors qu'il approchait de la fin de la première moitié de l'année, Aran fit une rencontre inattendue. Il se trouvait dans une clairière, prenant un moment pour méditer après un combat avec un Ventara, lorsqu'il sentit une présence inhabituelle. Ce n'était pas une créature, mais une personne. Le vent avait changé, apportant avec lui une nouvelle énergie.

Aran ouvrit les yeux juste à temps pour voir une silhouette émerger des arbres. C'était une jeune femme, à peu près de son âge, vêtue d'une cape bleue brodée de runes scintillantes. Ses cheveux noirs flottaient légèrement dans la brise, et elle portait à sa ceinture un bâton orné d'un cristal lumineux. Ses yeux, d'un bleu perçant, le fixaient avec une intensité qui ne trahissait ni peur ni hostilité.

« Tu n'es pas d'ici, » dit-elle simplement, d'une voix claire et posée.

Aran se redressa, gardant sa main près de son épée, mais sans la dégainer. « Non, » répondit-il. « Et toi ? »

La jeune femme s'approcha lentement, ses mouvements mesurés et contrôlés, comme si elle aussi maîtrisait parfaitement l'art de se mouvoir dans cet environnement. « Je suis *Seren*, apprentie mage d'Althiris. Je suis ici pour étudier les énergies magiques des Ventara. Ils sont fascinants, n'est-ce pas ? »

Aran hocha la tête. « Fascinants, oui. Mais aussi dangereux. Que fais-tu seule dans une forêt comme celle-ci ? »

Seren sourit légèrement. « Je pourrais te poser la même question. Tu n'as pas l'air d'être un mage. Que cherches-tu, toi, dans cette forêt ? »

Aran hésita un instant, puis répondit simplement : « Je m'entraîne. »

Leur échange fut bref, mais Aran sentit quelque chose d'étrange dans cette rencontre. Seren n'était pas une menace, mais elle semblait en savoir bien plus qu'elle ne le disait. Après quelques minutes de conversation, elle se tourna vers lui, son regard devenant plus sérieux.

« Fais attention. Les Ventara ne sont pas les seules créatures qui habitent ces bois. Certaines présences sont plus anciennes, plus... insaisissables. »

Avant qu'il ne puisse répondre, elle fit demi-tour et disparut dans les arbres, laissant derrière elle une légère brise chargée d'étrange mystère. Aran resta immobile un moment, se demandant si leur rencontre était le fruit du hasard ou de quelque chose de plus grand. Mais il n'avait pas le temps de réfléchir davantage. Ombrelune exigeait son attention.

Après un an passé dans la forêt, Aran n'était plus le même homme. Il avait non seulement survécu aux dangers de la forêt, mais il avait aussi évolué, tant physiquement que mentalement. L'Écoute des Brises était désormais une partie intégrante de lui. Chaque souffle de vent lui fournissait des informations qu'il décodait presque instantanément. Son épée, autrefois lourde dans sa main, dansait désormais dans l'air avec une grâce que seul le Lamevent pouvait offrir.

Lorsque Aran quitta finalement Ombrelune, il était devenu plus qu'un simple guerrier. Il était un véritable *Adepte des brises*, prêt à affronter les défis qui l'attendaient au-delà de la forêt.

Un an. Trois cent soixante-cinq jours dans les ombres mystérieuses d'Ombrelune, où chaque souffle de vent et chaque craquement de branche avait servi à renforcer les compétences d'Aran. Il avait exploré les clairières cachées, affronté les redoutables Ventara, et senti sa maîtrise de l'Écoute des Brises se développer, jusqu'à devenir presque une seconde nature. Mais malgré toute son expérience, une partie d'Ombrelune était restée hors de sa portée : *les zones les plus profondes de la forêt*.

Kelran lui avait parlé de ces profondeurs le jour où il l'avait envoyé dans la forêt. « Ne te précipite pas trop loin, » avait-il conseillé. « Les zones profondes d'Ombrelune sont anciennes, bien plus dangereuses. Même les Ventara n'y pénètrent pas. Il y a là des choses qui ne sont pas destinées à être dérangées. »

Durant son entraînement, Aran avait ressenti l'appel de ces régions inexplorées. Les brises elles-mêmes semblaient changer à l'approche des zones profondes, devenant plus sombres, plus lourdes, comme si la forêt dissimulait des secrets enfouis depuis des millénaires. Mais quelque chose l'avait retenu. L'Écoute des Brises lui chuchotait de rester à l'écart. Peut-être que sa maîtrise n'était pas encore suffisante, ou peut-être que les profondeurs d'Ombrelune étaient réservées à des explorateurs plus audacieux.

À plusieurs reprises, Aran s'était approché des frontières de ces zones inaccessibles. À chaque fois, il avait ressenti une pression étrange dans l'air, comme si le vent lui-même le poussait à faire demi-tour. C'était un avertissement qu'il avait appris à respecter. Les créatures qui vivaient là-bas, invisibles et inconnues, ne se laisseraient probablement pas repérer si facilement, même par un maître du Lamevent.

À la fin de son année d'entraînement, Aran se tenait à l'orée de la forêt, prêt à retourner à Kelmir. Son corps avait changé. Il était plus affûté, plus agile, et ses sens étaient maintenant en perpétuelle alerte, capables de détecter les plus infimes variations du vent. Chaque mouvement dans l'air, chaque fluctuation, lui racontait une histoire : la direction des créatures, les changements de climat, même les humeurs changeantes de la forêt. Il avait pris conscience que la nature et les éléments parlaient un langage que peu d'êtres vivants comprenaient.

Le village de Kelmir se dessinait enfin à l'horizon, ses maisons de pierre et de bois nichées entre les collines verdoyantes. Aran traversa les rues familières, sentant le poids de son année d'entraînement dans chaque pas. Kelmir n'avait pas changé, mais lui, oui. Le silence des habitants qui vaquaient à leurs tâches contrastait avec l'intensité des épreuves qu'il venait de vivre au cœur des Forêts d'Ombrelune.

Il arriva devant la maison de Kelran, son maître, qui l'attendait tranquillement, assis devant la porte, taillant un morceau de bois comme il en avait l'habitude. Le vieil homme leva les yeux en entendant les pas d'Aran, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. Il le salua d'un signe de tête, satisfait de voir son élève revenir en un seul morceau.

« Te voilà enfin, » dit Kelran d'une voix calme mais teintée d'une pointe de satisfaction. « Assieds-toi, raconte-moi ce que tu as appris. »

Aran s'assit face à lui, son regard intense reflétant les mois passés en solitaire dans la forêt. Il inspira profondément avant de commencer son récit.

« Ombrelune est un endroit bien plus vivant que je ne l'imaginais. Le vent y est différent, plus capricieux, mais il parle. J'ai combattu des Ventara, ressenti leur présence avant même de les voir. J'ai appris à écouter les brises, à sentir ce que les yeux ne peuvent pas percevoir. »

Kelran écoutait en silence, hochant la tête de temps à autre. Il savait déjà que l'enseignement de la forêt irait bien au-delà de simples techniques de combat. Ombrelune n'était pas qu'un lieu d'entraînement, mais un espace où la nature et la magie se rencontraient pour former les plus grands guerriers.

« Et les zones profondes ? » demanda-t-il finalement.

Aran fronça les sourcils, repensant à ces moments où il avait ressenti une force invisible l'empêcher d'aller plus loin. « Je n'y suis jamais allé. J'ai ressenti… une pression. Comme si quelque chose, ou quelqu'un, me disait de ne pas avancer. Le vent lui-même m'a retenu. »

Kelran se détendit légèrement en entendant cela. « Tu as bien fait. Les zones profondes d'Ombrelune ne sont pas pour les imprudents. Même les créatures qui résident dans les bois n'osent pas s'y aventurer. Ce que tu as ressenti n'était pas de la peur, mais un avertissement. »

Aran hocha la tête, reconnaissant d'avoir suivi son instinct. Il avait respecté la nature et sa propre prudence, et il en ressortait plus fort. Il se tourna ensuite vers Kelran, un éclat de curiosité et de détermination dans les yeux.

« Maintenant que l'entraînement est terminé, où dois-je aller ? » demanda Aran, conscient que Kelran lui avait promis plus que la simple maîtrise de l'Écoute des Brises.

Kelran se redressa légèrement, son regard scrutant l'horizon. Après un moment de réflexion, il répondit : « La prochaine étape logique serait Althiris, la capitale. C'est là que se trouvent les réponses que tu cherches. Mais il y a un problème. »

Aran fronça les sourcils. « Quel problème ? »

Kelran soupira légèrement, croisant les bras devant lui. « Althiris n'est pas accessible aux étrangers. Les mages qui gouvernent là-bas, ceux du Cercle des Sages, contrôlent qui entre et qui sort de la cité. Pour les habitants des villages et des villes, Althiris est presque une légende, un lieu réservé aux érudits et aux plus hauts membres de la société. Même moi, je ne peux pas y entrer sans une invitation officielle. »

Cette nouvelle fit l'effet d'un coup pour Aran. Depuis des mois, il s'imaginait qu'Althiris serait la prochaine étape naturelle de son voyage, mais découvrir que la ville était fermée aux étrangers le mettait face à un nouvel obstacle.

« Alors, comment suis-je censé y accéder ? » demanda-t-il, la voix tendue par l'impatience.

Kelran fit un geste de la main pour apaiser son élève. « Il existe des moyens d'entrer à Althiris, mais ils nécessitent de la prudence et une certaine diplomatie. Les mages là-bas ne sont pas seulement des érudits ; ils protègent des secrets anciens, des savoirs dangereux. Tu devras trouver une raison légitime pour que l'on te laisse entrer, ou quelqu'un de suffisamment influent pour te recommander. »

Aran, bien qu'agacé par cette nouvelle, se ressaisit rapidement. Il comprenait que le chemin vers la connaissance n'était jamais simple. Si Althiris détenait les réponses qu'il cherchait, il trouverait un moyen d'y parvenir. Mais pour l'instant, il savait qu'il devait suivre les conseils de Kelran.

« Où devrais-je commencer ? » demanda-t-il.

Kelran réfléchit un instant, puis répondit : « La première chose que tu dois faire est de te rendre dans l'une des villes les plus proches, comme Ilméra ou Tholas. Là-bas, tu trouveras des érudits, des marchands, peut-être même des mages qui travaillent à la périphérie d'Althiris. Certains ont des liens avec la capitale et pourraient être en mesure de te fournir les informations dont tu as besoin. »

Aran hocha la tête, absorbant les conseils de son maître. « Très bien, je partirai pour Ilméra dès que je serai prêt. »

Kelran sourit légèrement, se levant pour poser une main rassurante sur l'épaule de son élève. « Tu as fait un long chemin depuis que tu es monté à bord de ce vaisseau il y a un an. Tu as appris à écouter le vent, à comprendre le monde autour de toi. À Ilméra, tu devras utiliser ce savoir non seulement pour survivre, mais aussi pour progresser vers ton objectif. »

Aran se leva à son tour, la détermination dans ses yeux. Il savait que le chemin serait encore long, semé d'embûches, mais chaque pas qu'il faisait le rapprochait de la vérité, de ce qu'il cherchait depuis si longtemps. Althiris, même inaccessible, n'était qu'un obstacle de plus à franchir.

« Merci, Kelran, pour tout, » dit-il avec sincérité.

Kelran hocha la tête en signe de reconnaissance. « N'oublie jamais ce que je t'ai enseigné. Le vent est ton allié, mais il peut aussi devenir ton plus grand adversaire si tu l'ignores. »

Et avec ces mots, Aran quitta la maison de Kelran, son esprit déjà tourné vers la prochaine étape de son voyage. Ilméra l'attendait, et avec elle, la prochaine partie du mystère qui entourait la Tour de Lumen et les secrets d'Ethélion.