Kael regardait la vaste étendue désertique devant lui—un océan sans fin de grains de sable dorés, qui brillaient bizarrement sous la lumière crue de deux soleils jumeaux. Ce monde-là, qu'ils appelaient pompeusement "Eren" (A-45X pour les cravates du labo), c'était un truc que personne n'avait vu venir. Officiellement, c'était censé être une planète stérile, mais après des années à fouiller les coins et recoins, ils avaient découvert l'impensable : ces grains de sable, c'était pas juste du sable, tu vois, c'était des mini-univers avec des trucs qui bougeaient, vivaient, pensaient peut-être. Qui sait, franchement ? On n'est pas là pour juger.
Dans ce futur un peu trop barré, l'humanité s'était éclatée en dépassant toutes les limites. Les cerveaux pouvaient se détacher de leurs enveloppes (bizarres, ces histoires) et fusionner avec des bestioles microscopiques vivant dans les grains de sable. « La Transcendance des Sables », qu'ils disaient avec un air solennel. Un truc de ouf, quoi. Les scientifiques s'y plongeaient comme des dingues, à fouiller les mystères de l'infime, mais ça jouait serré. Les règles du Conseil des Éthiques, bien qu'affichées partout, n'arrêtaient pas les plus fous, les plus curieux… ou simplement les plus désespérés.
Kael, ce jeune scientifique un peu trop sûr de lui, il en faisait partie. Talentueux ? Ouais. Un peu cinglé ? Peut-être. Il avait passé des années à scruter ces grains de sable comme s'ils allaient lui parler, à tenter de décoder le bousin. Ses collègues, des savants toujours en train de pointer leurs lunettes, disaient qu'il était brillant mais aussi qu'il jouait avec le feu. Trop fasciné par ce truc de Transcendance, il était prêt à tout risquer. « Comme d'hab, les génies sont toujours à deux doigts de l'accident », disait souvent Lena, sa collègue, en sirotant son café.
Dans son labo orbital, quelque part au-dessus de cette foutue planète, Kael fixait un écran holographique avec des simulations compliquées de fusions d'esprits et de micro-bestioles. Ça défilait vite, trop vite même, comme s'il essayait de résoudre une équation dont il ne comprenait pas encore tous les termes. Les chiffres dansaient, et son esprit jonglait comme un vieux magicien de rue qui aurait perdu ses balles.
« T'es encore là, toi ? » lança Lena en déboulant sans prévenir, son ombre déformée par la lumière artificielle.
Kael esquissa un sourire, fatigué mais toujours avec cette étincelle de fou. « Impossible de décrocher, Lena. Regarde ça, chaque fusion c'est du jamais vu, chaque fois un truc nouveau. Si on arrivait à compiler tout ça, on pourrait retracer l'histoire de la vie dans ces univers microscopiques. »
Lena soupira, une habitude qu'elle avait depuis toujours. « Ouais, c'est beau tout ça, mais les protocoles, Kael. Tu sais ce qu'ils disent, et toi tu les défies constamment. Si tu continues, ils vont te tomber dessus. »
Kael haussa les épaules, les yeux rivés sur ses écrans. « Les protocoles, les protocoles… on peut jamais avancer si on reste coincé dans leurs règles stupides. Pense à ce qu'on pourrait découvrir, Lena ! Ces limites qu'on se met, c'est pour les vieux qui ont peur de tout. »
Lena posa une main sur son épaule, tentant de calmer ce feu incontrôlable. « C'est pas juste de la découverte, c'est aussi une question de savoir jusqu'où on peut aller sans se perdre. Y'a eu des ratés, tu sais bien. Ceux qui se sont jamais réveillés… tu veux finir comme eux ? »
Kael détourna le regard, mais son obstination brillait toujours. Pour lui, chaque risque était une opportunité de toucher l'infini. « J'ai tout prévu, Lena. Et puis, les vraies percées, elles se font toujours en flirtant avec le danger. Demain, je teste une nouvelle méthode, une fusion plus… fine, tu verras. »
Lena fronça les sourcils, un peu inquiète. « Kael, ces créatures, c'est pas juste des trucs à manipuler. Elles ont des consciences, des envies, des révoltes qu'on ne peut pas capter d'un coup d'œil. Tu joues à un jeu dangereux. »
Mais Kael, perdu dans ses rêves de grandeur, hocha vaguement la tête. Il ne voyait que les mondes qui s'étendaient dans chaque grain de sable, des univers qu'il comptait explorer, et peut-être conquérir. Il était déjà ailleurs, dans un de ces microcosmes, imaginant la gloire que personne d'autre ne comprendrait jamais. Il n'avait aucune idée que sa fascination allait bientôt devenir une obsession mortelle, un piège qui refermerait ses mâchoires invisibles.
Le grain de sable sur l'écran semblait presque scintiller, comme un clin d'œil malicieux. Kael ne savait pas encore que sa curiosité serait son tombeau, et que ce monde minuscule qu'il idolâtrait finirait par devenir sa propre prison.