Kael se tenait là, devant la console principale de son labo, les doigts courant nerveusement sur les commandes tactiles, comme s'il jouait du piano sans vraiment connaître la mélodie. La lumière tamisée du lieu donnait à l'endroit une ambiance bizarre, presque théâtrale, un truc digne d'un vieux film de science-fiction un peu ringard. Autour de lui, les murs tapissés d'écrans holographiques crachaient des données complexes : des schémas, des équations tarabiscotées, et des images en temps réel de grains de sable vus à une échelle qu'aucun œil humain n'aurait jamais imaginé. Ça ressemblait à un foutoir de chiffres, mais pour Kael, c'était comme une symphonie.
Au centre de tout ce cirque technologique, un truc attirait toute son attention : une capsule de fusion, petite et discrète, mais pleine de promesses infinies et de rêves mal gérés. Ce prototype, c'était son bébé, créé dans l'ombre des couloirs silencieux, loin des regards trop curieux de Lena et de ses autres collègues qui le prenaient pour un mec un peu barré. Contrairement aux autres bidules de fusion, celle-ci promettait l'immersion totale, la symbiose parfaite entre un cerveau humain et une conscience microscopique d'un grain de sable. Pas de demi-mesure. C'était le grand saut. Bien sûr, tout ça c'était secret, hein. Kael savait que si quelqu'un en haut l'apprenait, il se prendrait une sacrée dérouillée.
« Juste un petit essai », marmonna-t-il, jetant un coup d'œil rapide vers la porte du labo pour s'assurer que personne ne viendrait jouer les trouble-fêtes. « Juste pour voir si ça tient la route. » Il ajusta le casque de synchronisation autour de sa tête, ses mains tremblant légèrement. Ça, c'était pas la peur. C'était l'adrénaline, le truc qu'il cherchait chaque jour depuis qu'il avait mis les pieds dans ce labo paumé au-dessus d'Eren.
La capsule devant lui s'illumina d'une lumière bleuâtre. Les capteurs détectèrent un grain de sable isolé, choisi parmi des millions d'autres sur une plaque de verre. Ce petit grain, Kael l'avait trouvé par hasard, ou peut-être que c'était le grain qui l'avait choisi, qui sait ? Il vibrait légèrement, comme s'il répondait à l'appel silencieux de l'expérience. Les scientifiques aiment bien se prendre pour des dieux, après tout.
Il inspira profondément, et un instant, pensa à Lena et à ses sempiternels avertissements. Elle avait l'habitude de dire des trucs du genre « Kael, un jour tu vas te griller le cerveau à force de jouer avec des trucs que personne pige ». Mais bon, Lena disait ça tout le temps. Elle avait peut-être raison, mais il s'en fichait un peu à ce moment-là.
Il appuya sur le bouton.
Une lumière éclatante envahit sa vision, et il sentit son esprit basculer, arraché de son corps comme une feuille balayée par une tempête. La capsule bourdonna, les signaux neuronaux se compressant, se réarrangeant dans un ballet invisible. Une fraction de seconde plus tard, Kael se retrouva entre deux mondes, quelque part dans un vide immense où le temps n'existait pas.
Puis, d'un coup, tout stoppa net.
Kael ouvrit les yeux, mais ce qu'il vit… c'était comme une peinture abstraite faite par un enfant sous acide. Rien n'avait de sens. Il flottait dans un espace sans queue ni tête, sans sol, sans ciel, juste un tourbillon de formes et de couleurs qui se mélangeaient. Pas de corps, juste cette sensation d'être, là, quelque part. Des particules brillaient autour de lui, formant des constellations étranges. Au milieu de tout ça, un vortex géant semblait aspirer toute la lumière.
Il essaya de parler, de crier même, mais rien. Pas de son. Juste un écho de pensées qui se bousculaient dans sa tête. « Où je suis ? », pensa-t-il en boucle, comme une question sans réponse. Il chercha dans sa mémoire les protocoles de sécurité, mais c'était peine perdue. Rien de tout ça ne ressemblait à ce qu'il avait prévu. C'était pas une simulation, c'était… autre chose. Réel, peut-être même trop réel.
Le temps ne passait pas, ou alors il s'étirait à l'infini. Il n'y avait aucun moyen de le savoir. Kael était juste là, perdu dans ce trou lumineux, sans aucun repère. Peu à peu, sa panique initiale se mua en confusion totale. Il se mit à observer, à chercher un semblant de logique dans ce chaos. Autour de lui, des mouvements subtils se dessinaient, des échos de présences invisibles, des vies microscopiques qui semblaient bien plus à l'aise dans cet endroit que lui. C'était comme si tout ce qu'il avait appris sur les grains de sable n'était qu'un aperçu, une vague idée de ce que ça pouvait vraiment être.
Puis, sans prévenir, une douleur fulgurante traversa sa conscience. Kael se sentit se disloquer, ses pensées explosant comme une boule de neige jetée contre un mur. Ses souvenirs, ses émotions, tout se mélangeait dans un chaos indescriptible. Il essaya de reprendre le contrôle, mais c'était comme essayer de remonter un ruisseau à contre-courant avec une cuillère en plastique.
Il réalisa, horrifié, qu'il ne sentait plus son corps. C'était juste son esprit, errant dans un désert d'énergie. « Non… c'est pas vrai… » balbutia-t-il intérieurement, mais tout en lui savait que si, c'était bien vrai. Il était plus dans le labo, plus sur la station. Il était dedans. Dedans le grain de sable.
Il tenta de reconnecter son esprit à quelque chose, n'importe quoi, mais chaque tentative se heurta à une barrière invisible, comme un chaton qui se prend une vitre en pleine tête. La capsule de fusion, ce truc sur lequel il avait tout misé, l'avait enfermé ici. Piégé comme un insecte dans une toile qu'il avait lui-même tissée.
Des vagues d'énergie passaient, ignorant sa présence. Kael n'était pas seul dans ce micro-univers ; des consciences fragmentées, des formes sans nom flottaient, indifférentes à sa détresse. Il n'était qu'une petite lumière parmi tant d'autres, sans importance. Pour la première fois, il se sentit vraiment vulnérable. Il n'était plus le scientifique brillant mais un captif, un invité indésirable dans un monde qui ne voulait pas de lui.
Soudain, il sentit une autre présence. Quelque chose d'énorme, d'ancien, qui semblait l'observer de loin. C'était comme une ombre silencieuse à la périphérie de son esprit. Ami ou ennemi ? Impossible à dire. Mais une chose était sûre : Kael allait devoir se battre pour préserver ce qu'il restait de lui-même. Car dans ce monde des sables, la survie n'était pas un droit, mais une bataille sans fin.