Kael marchait, ou plutôt flottait, perdu dans l'immensité désertique de ce monde en miniature, une mer de sable noir s'étendant à perte de vue, au-delà de tout ce qui pouvait sembler logique. Les confins de la cité de silice ? Déjà loin derrière. Ce paysage, c'était plus que des dunes et des crevasses sans fond ; c'était un trou noir qui semblait avaler tout, même la lumière. T'avances, mais t'as l'impression que rien bouge vraiment. Comme un de ces rêves où tu cours sans avancer.
Le vide, c'était pas juste un lieu. C'était une entité à part entière, un genre de truc qui vit sa vie, avec ses propres humeurs. Tout ici défiait les lois de la physique, de la logique, même des règles tacites qu'on se fixe pour comprendre ce qui est en face. Kael le sentait comme un poids dans son esprit, une nausée constante, comme quand t'as trop bu et que le monde tangue. La lumière ? Un gros n'importe quoi, elle se courbait, se fracturait, transformant le désert en un kaléidoscope bizarre où chaque reflet te faisait douter de ce qui était réel ou juste une grosse blague cosmique.
Il se savait observé. Les Épurateurs, ces créatures fantomatiques dont lui avaient parlé les Ancêtres, se cachaient quelque part, toujours à portée mais jamais visibles. Des juges, des bourreaux, des fantômes en vadrouille. Kael savait qu'il n'allait pas tarder à faire leur connaissance, et que ce serait pas des retrouvailles amicales.
Chaque pas était calculé, une épreuve pour ses nerfs. Il analysait tout, le moindre détail. Un vrai scientifique dans l'âme, il notait mentalement les variations de texture du sable, les éclats de lumière déviée, les tremblements infimes qui ondulaient sous la surface. Mais rien ici ne suivait les règles connues. C'était un peu comme si le désert jouait avec lui, testait ses limites, réagissait à ses pensées les plus enfouies. T'as l'impression que c'est toi qui deviens fou, ou que le monde est juste là pour te tordre le cerveau.
Un grondement soudain secoua l'air. Kael s'arrêta net. Le sol vibrait sous ses pieds, et le sable se mit à bouger, ondulant comme une mer en pleine tempête. Puis, une forme émergea lentement des profondeurs. D'abord floue, elle prit de plus en plus de consistance. Un Épurateur. Grand, imposant, cette créature était faite de particules qui flottaient, se rassemblaient et se dispersaient dans un ballet hypnotique. Comme un tourbillon de sable vivant, éclairé de l'intérieur par des éclats de lumière. Et ses « yeux », ces deux orbes scintillants qui semblaient contenir des galaxies en miniature, c'était beau et terrifiant à la fois.
Kael recula, mais l'Épurateur glissait vers lui. Pas comme une bête ordinaire. Il fusionnait, se désintégrait, se reformait dans un ballet sans fin. Une ombre lourde se posa sur l'esprit de Kael, une pression presque palpable, cherchant à sonder ses pensées, à juger son droit d'exister ici.
« Pourquoi es-tu là, conscience étrangère ? » La voix ne sortit pas de la bouche de la créature, parce qu'elle n'en avait pas. C'était comme un coup de marteau dans la tête, une intrusion brutale. Pas des mots, mais des émotions et des jugements compressés en un seul flot qui te laisse groggy. « T'as rien à faire ici. »
Kael tenta de s'accrocher à un brin de rationalité. « Je suis Kael, un scientifique. Je ne suis pas venu par choix. Je suis coincé ici, je cherche juste à comprendre, à survivre… »
L'Épurateur tourbillonna, ses particules s'agitant comme des abeilles en colère. Kael sentit une force implacable le traverser, comme si chaque fragment de son être était passé au crible. La créature n'était pas juste une entité ; c'était un système, un processus vivant chargé de maintenir un équilibre que Kael ne comprenait pas.
« T'es une anomalie, » déclara l'Épurateur après un instant, ses yeux brillants projetant une lueur qui faisait mal. « Une perturbation dans le cycle. Ta présence n'a rien de naturel ici. »
Kael se sentit jugé, comme un gamin pris en faute.
« Si tu veux rester, tu dois prouver que tu en vaux la peine. »
Et avant qu'il ait pu dire ou penser quoi que ce soit, l'Épurateur fondit sur lui, une masse de sable et de lumière. La confrontation ne fut pas physique mais mentale ; Kael sentit son esprit être tiré, décortiqué, fracturé. Chaque souvenir, chaque pensée se retrouvait examinée, testée, comme si la créature cherchait à comprendre ce qu'il foutait là. Des bribes de son passé défilèrent : son labo, Lena qui lui disait toujours de ralentir, ses expériences sur la fusion des consciences, et ce moment fatidique où tout avait basculé. Kael se raccrochait à ces fragments, les tenant comme un bouclier contre l'attaque mentale de l'Épurateur.
Il se rappela chaque formule, chaque théorème, chaque idée brillante et chaque échec cuisant. Tout ce savoir qu'il avait accumulé, c'était sa seule arme ici. Et il l'utilisait comme il pouvait, cherchant à repousser la créature. Dans ce monde de sable et d'énergie, la science était devenue son bouclier, sa boussole.
Finalement, l'Épurateur se retira, ses particules se dispersant doucement. Kael, vidé mais encore debout—façon de parler—sentit une étrange reconnaissance émaner de la créature. « Tu as résisté, » dit-elle, comme si c'était une grande nouvelle. « Peu le peuvent. Ta quête de compréhension est dangereuse, mais légitime. Ce désert ne pardonne pas les faiblesses. »
Kael hocha la tête, encore tremblant de l'affrontement. « Je ne faiblirai pas. J'irai jusqu'au bout. »
L'Épurateur ne répondit pas, il se contenta de glisser au loin, disparaissant parmi les dunes mouvantes comme une tempête de sable en fin de course. Kael savait que cette rencontre n'était qu'un prélude, un avant-goût des dangers plus grands qui l'attendaient. Mais il avait survécu. Pour l'instant, ça suffisait.
Il reprit sa route, le cœur alourdi mais la détermination intacte. Chaque pas dans ce vide était une victoire, chaque défi, une épreuve de plus pour tester sa résilience. Le désert, c'était un champ de bataille sans fin, un jeu où seules les consciences les plus fortes pouvaient espérer rester debout. Kael ne se laisserait pas effacer. Il était là pour transcender cette foutue existence imposée, pour déchiffrer les vérités enfouies dans ce monde des sables, et pour retrouver ce qui faisait de lui… lui.