Dix ans plus tard...
– Ishizora, dix-huit ans, célibataire. Je ne dirais pas que je suis particulièrement beau, mais j'ai plutôt confiance en mon corps ; je l'entraîne tous les jours après tout. J'aime observer les animaux sauvages et...
∼ Pourquoi je me présente, déjà ?
Après des années passées à voyager seul dans la nature sauvage d'Historia, je crois que je commence à perdre la boule. Il est pas croyable ce pays, tout de même. Voilà six ans que je suis perdu, et je n'ai toujours pas trouvé de chemin. Des humains ? N'en parlons même pas. Ça m'est bien arrivé de croiser quelques brigands dont le commerce vise à capturer des créatures sauvages pour les vendre en ville, mais j'ai toujours évité d'interagir avec eux. Qui sait si les jeunes aventuriers égarés ne font pas aussi partie de leur marchandise.
C'est le vieux Tak qui m'a dit de ne pas m'approcher des brigands. C'est d'ailleurs lui qui m'a appris à peu près tout ce que je sais. Il faut dire que je ne me rappelais rien quand il m'a recueilli dix ans plus tôt. Et quand je dis rien, c'est rien, niet, nada. Pas même mon nom, ni d'où je venais. C'est donc lui qui m'a donné le nom d'Ishizora. Apparemment, ça signifie "pierre du ciel", car il m'a dit que je ressemblais à une pierre tombée du ciel quand il m'a retrouvé. Il m'a aussi assigné un âge sur base de mon ossature, tout comme on évalue si un fruit est mûr en le palpant du bout des doigts.
Il a aussi dit qu'en grandissant, je deviendrai grand et fort. Mais je ne saurais dire si c'est vrai ou non, car je n'ai personne avec qui me comparer. Les brigands que je croise sont rarement plus grands que moi, et je n'ai jamais eu l'occasion de mesurer leur force. C'est important d'avoir des modèles pour se comparer. Quand on n'a pas vu d'humain pendant un certain temps, on en vient à se demander s'ils nous ressemblent vraiment. Moi, je ne trouve pas mon visage particulièrement moche, mais si ça se trouve, il n'a rien à voir avec celui des autres.
∼ Peut-être ai-je l'air étrange, peut-être que l'on me trouverait laid !
∼ Non, ce n'est pas possible. Le vieux Tak m'a dit que j'étais plutôt bel homme, que j'aurais du succès si j'allais à la capitale, et même que je trouverai du travail.
Seulement voilà, il est parti avant de m'avoir appris le chemin, et maintenant, j'erre depuis six années dans cette satanée végétation qui n'en finit pas.
Dernièrement, il semble que je croise des brigands de plus en plus souvent. "Croiser" est un grand mot, car même si je m'attarde souvent à les observer, aucun d'eux n'a jamais remarqué ma présence. Je ne saurais dire si j'ai toujours eu les sens aussi aiguisés ou s'ils se sont développés à force d'errer dans la nature, mais je peux entendre des humains discuter et sentir les vibrations de leurs carioles sur le sol à plusieurs centaines de mètres. Ensuite, si je ferme les yeux et que je me concentre, je peux discerner les formes qui m'entourent jusqu'à environ cinquante mètres, même lorsqu'elles sont cachées derrière un arbre. C'est ce que j'appelle mon sixième œil, et c'est comme ça que j'ai toujours réussi à éviter les brigands et créatures dangereuses.
En parlant de créatures dangereuses, Historia en regorge. Tomber nez à nez avec un grizzlion de six mètres de haut au détour d'un buisson, se réveiller ligoté dans la toile d'une araignée volante géante, ou encore chuter dans un trou creusé par un scorpion-taupe gargantuesque, c'est un quotidien à Historia. C'est à cause de ces créatures qu'on croise rarement des voyageurs, m'a dit le vieux Tak. En revanche, pour les brigands, c'est une vraie plaine de jeux. Personne ne risque de venir déranger leur commerce, après tout.
Ceux que je croise récemment semblent plus nerveux, et moins patients. Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai surpris une querelle entre deux groupes qui se disputaient la carcasse d'un phacochère sanguin. Ça n'a pas l'air facile, la vie de brigand. En plus de risquer leur vie à chaque instant, ils doivent aussi savoir gérer la concurrence. D'autant que j'aperçois de moins en moins de créatures ces derniers temps.
Ce phénomène, combiné à la récente augmentation du nombre de brigands, me pousse à croire que j'approche enfin d'une ville. Le vieux Tak m'a souvent parlé de ces grandes cités où la population d'Historia, fuyant les dangers de la nature, se rassemble par milliers. Il m'est souvent arrivé de les voir en rêve ou de les imaginer, avec leurs rues pavées, leurs bâtiments aux formes variées et leurs immenses murailles protégeant des centaines de milliers d'habitants. Pour quelqu'un qui n'a vu pratiquement personne durant ces six dernières années, l'idée de rencontrer autant de mes semblables m'excite autant qu'elle ne m'effraie.
∼ Et si je n'arrivais pas à me faire des amis ? Et si je me faisais détester de tous ?
Cela fait maintenant plusieurs jours que je m'exerce à me présenter à voix haute. C'est important de parler quand on voyage seul. Si je ne me parlais pas un peu tous les jours, qui sait ce que ma voix serait devenue. Je ne veux pas gâcher ma première rencontre avec un humain en émettant un grognement grotesque sorti tout droit de l'abysse, alors que j'essaie simplement de le saluer. Et puis, parler m'aide à tuer le temps. Après tout, du temps libre, j'en ai. Grâce à mes sens aiguisés, je n'ai aucun mal à trouver du gibier ou un endroit calme pour me reposer. Je passe la plupart de mon temps à faire de l'exercice ou à observer les créatures sauvages. Parfois, je m'en approche un peu trop, et elles finissent par remarquer ma présence. Auquel cas, la plupart du temps, elles m'ignorent. Certaines, plus craintives, décident d'aller brouter ailleurs, tandis que d'autres, plus belliqueuses, se mettent à me courir après. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai maudit ma curiosité après avoir échappé de justesse à un destin funeste.
C'est d'ailleurs la situation dans laquelle je me trouve actuellement, à la différence que cette fois, ma curiosité n'y est pour rien. Des loups ont surgi de nulle part, sans que je les aie sentis approcher, et cela fait un moment qu'ils me poursuivent. J'ai tout essayé pour les semer, mais rien n'y fait. Ils sont aussi tenaces que les sangsues des grands marais de l'Ouest. J'ai toujours eu confiance en mon endurance, mais elle ne tardera pas à me faire défaut. Je les sens gagner du terrain, et pour couronner le tout, leur nombre ne cesse de croître. De toutes les situations épineuses dans lesquelles je me suis fourré ces six dernières années, celle-ci est de loin la plus désespérée.
∼ Et puis, c'est quoi ces loups gigantesques ?
C'est la première fois que j'en vois de pareils. Leur férocité n'a d'égal que leur musculature apparente et leurs canines acérées. Un seul de ces loups pourrait aisément découper un humain de taille adulte en un coup de mâchoire, tel une brindille que l'on piétine.
La forêt dans laquelle je me trouve semble étrange, elle aussi. Elle est incroyablement lumineuse, bien plus qu'une forêt ordinaire, et pourtant je n'en vois pas le plafond. C'est comme si la lumière émanait de la forêt elle-même, mais je ne suis pas en position d'y réfléchir. Je dois trouver un moyen de sortir d'ici. Peut-être alors serais-je en mesure de trouver un abri. La végétation semblant moins dense sur ma gauche, j'entame un virage en catastrophe. Je sens alors une masse s'abattre sur mon dos avec une force phénoménale, et m'effondre au sol en emportant mon assaillant dans une série de roulades incontrôlées. Je sens ses griffes me pénétrer la peau, et la douleur me rend lucide. Malgré le chaos de la situation, je parviens à placer mes pieds sur le ventre de l'animal et à le propulser d'un coup contre le tronc d'un arbre. J'entends des couinements de douleur et me relève aussitôt. Les autres loups ne vont pas tarder à m'attraper, eux aussi.
Je débouche enfin dans une clairière où la lumière commence par m'éblouir. Je m'étonne à nouveau de son intensité malgré l'épais feuillage faisant office de couverture hermétique, supportée par les troncs interminables de la forêt. Ajoutée à la présence d'un petit pommier solitaire qui trône en roi au centre de la clairière — bien qu'il fasse pâle allure face à ses congénères de la forêt — ce paysage dégage une aura surréaliste. Ici, au moins, je ne risque pas d'être pris par surprise, et je peux mieux évaluer le nombre de mes poursuivants. Je continue donc à courir en direction du pommier, et c'est alors que je vois ce qui, ironiquement, paraît le plus surréaliste dans cette situation : une jeune femme, à peu près mon âge, occupée à cueillir des pommes un panier au bras. Bien que je sois ravi de cette surprenante apparition pourtant tant attendue, il serait fort dommage que la première personne à croiser ma route finisse en morceaux séparés. Elle est encore loin, mais je m'efforce donc de la prévenir.
– Enfuis-toi ! C'est dangereux !
Je ne suis pas sûr que mes mots aient portés jusqu'à ses oreilles, car elle se contente de tourner la tête vers moi avec une expression à la fois surprise et sceptique. Je dois admettre que je suis un peu essoufflé pour crier efficacement, et même si j'ai exercé ma voix ces six dernières années, rien ne garantit que je suis encore capable de m'exprimer normalement. Voyant qu'elle ne réagit pas, je décide de courir à sa rencontre.
– Qui es-tu ? Et que fais-tu ici, demande-t-elle d'un air choqué.
Je suis heureux qu'elle décide elle-même d'initier les présentations, mais il me semble que ce n'est pas le moment opportun, alors je m'immobilise devant elle et me tourne vers les loups, bras écarté, résolu à affronter mes adversaires de front.
– Va-t'en ! Je vais les retenir !
Maintenant que je fais héroïquement face à mes poursuivants, je prends conscience de la stupidité de mon geste. Je ne suis déjà pas certain de pouvoir l'emporter contre un seul de ces loups enragés — dont le régime semble être à base de grizzlion et de phacochère sanguin — alors contre une vingtaine d'entre eux, mes chances sont aussi nulles que zéro. Pour couronner le tout, la fille pour qui j'essaie vainement de gagner du temps ne semble pas s'affoler le moins du monde, comme si elle était plus surprise par ma propre présence que par celle des loups.
– Pourquoi diable voudrais-tu que je m'enfuie ?
∼ Mais ma parole, elle a un grain !
La situation semble d'ores et déjà désespérée ; les loups seront sur nous en moins de cinq foulées, et deux crocs devraient suffire pour que nos têtes prennent congé de nos corps respectifs.
Soudain, à ma plus grande surprise, la fille m'écarte d'un revers de bras et s'avance seule face aux loups.
Un regard.
Ni plus, ni moins. Pas de gestes, ni d'artifices. Les loups s'immobilisent net dans leur course, et leur agressivité disparaît comme neige au soleil. J'ai l'impression que leurs yeux perçants sont devenus blancs pendant un bref instant avant qu'ils ne se retournent et s'en aillent calmement dans la forêt d'où ils sont venus.
Je cligne des yeux, comme pour chasser une réalité que mon cerveau ne parvient pas à expliquer, puis je fixe le dos de ma sauveuse. Ses cheveux rouges, mi-longs et légèrement en désordre, ressemblent à des flammes vives. Sa silhouette est mince, peut-être même un peu trop, mais elle ne dégage aucune fragilité. Même le dos tourné, elle inspire force et ténacité. Au cours de mon périple, j'ai pu observer différentes créatures et individus dangereux, et cela m'a appris qu'il existe différentes façons d'être fort. Sa force à elle est brute comme le diamant, aussi indomptable que le fauve et insaisissable que la flamme.
– À l'instant, c'est toi qui a fait ça ?
– La barrière se serait-elle encore affaiblie ? Je dois prévenir mère au plus vite, marmonne-t-elle en se tenant le menton.
∼ Non d'un corbeau rouge, je me fais complètement ignorer !
– Excuse-moi, pourrais-je savoir—
Avant que je n'aie le temps de finir ma phrase, un couteau est soudain sous ma gorge, et la fille qui vient de me sauver la vie me regarde désormais d'un air méprisant.
– Que viens-tu faire ici ?
∼ Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans une telle situation, mais je peux en tirer deux conclusions. La première, c'est que j'ai vraiment la poisse. La deuxième, c'est que ma première rencontre tant attendue avec un de mes pairs s'est soldée par un échec.
Maintenant qu'elle est face à moi, j'en profite pour l'observer plus attentivement. Après tout, c'est la première fille que je rencontre depuis que j'ai perdu la mémoire. Elle est légèrement plus petite que moi, mais sa posture droite et son regard perçant, semblable à celui d'un loup sauvage, lui donnent un air de supériorité, comme si elle regardait tout de haut. Une frange obstrue son front et masque partiellement ses yeux rouge-orangés. Les traits de son visage sont fins et son nez pointu. Sa poitrine se devine sans attirer le regard. Je m'en étais déjà rendu compte en la voyant de dos, mais je réalise à nouveau à quel point son corps est svelte et athlétique. Ses vêtements simples suggèrent qu'elle vient d'un milieu pauvre : une simple tunique noire sans manche, serrée à la taille par une corde attachée au-dessus de sa hanche gauche, avec un petit décolleté en V fermé par des lacets qui dévoilent ses clavicules, et un vieux morceau de tissu noir enroulé autour de son bras droit. Ses jambes nues évoquent la puissance, et les anneaux métalliques qui habillent ses fines chevilles reposent délicatement sur des pieds nus abîmés.
– Hé, tu m'écoutes ? Tu viens de t'introduire chez moi après avoir dérangé nos loups. J'espère que tu as une bonne excuse, me demande-t-elle en augmentant la pression sur ma gorge.
– Hein ? Tes loups ? Chez toi ? Mais où sommes-nous exactement ?
Je sens la pression sur ma gorge se relâcher légèrement tandis qu'elle me sonde du regard. Elle abaisse finalement son bras et lâche ce que je pensais être un couteau mais qui n'est en réalité qu'une brindille.
– Ne me dis pas que tu es un simple voyageur perdu qui est arrivé ici par hasard, quand même ?
– Eh bien... si.
∼ Qu'est-ce que je pourrais être d'autre ?
– Je me dirigeais vers la capitale et me suis perdu en chemin. Je n'avais aucune intention de m'introduire chez toi, je le jure.
Après m'avoir fixé intensément pendant cinq longues secondes, elle croise les bras, semblant arriver à une conclusion.
– Hmm, tu n'as pas l'air de quelqu'un qui sait mentir. Et puis, ton accoutrement parle de lui-même. Mais je suis surprise que tu sois arrivé jusqu'ici en échappant à nos loups. Quel est ton nom ?
– Ishizora ! Je m'appelle Ishizora ! Et toi ?
Ignorant ma question, elle me tourne le dos et se dirige d'un pas rapide vers son panier qu'elle a laissé sous le pommier.
– Le fait que tu sois parvenu jusqu'ici est une erreur de ma part, donc je ne t'en tiendrai pas rigueur. Mais comprends bien que tu n'es pas censé être ici. Je te demande donc de disparaitre le plus vite possible, et surtout de ne parler à personne de ce que tu as vu, moi y compris.
– Je crois comprendre la situation. Je promets de ne rien dire à personne sur cet endroit.
∼ De toute façon, je ne sais même pas où je suis. Depuis que je suis dans cette forêt, j'ai complètement perdu mes repères et ne saurais même plus distinguer le Nord du Sud. Je me sens un peu embarrassé de lui demander de l'aide alors qu'elle vient de me sauver la vie, mais je n'ai pas envie de me faire attaquer par des bêtes sauvages une fois de plus aujourd'hui.
– Est-ce que, par tout hasard, tu aurais l'amabilité de—
– Tu veux savoir où se trouve la capitale, c'est ça, m'interrompt-elle-elle en soupirant.
∼ Pour une fois qu'elle me répond, elle ne m'a même pas laissé finir !
Je me contente de hocher la tête, de peur de dire quelque chose qui pourrait l'énerver davantage.
– Suis-moi ! Je vais te montrer comment sortir d'ici.
Je la remercie platement avant de la suivre en direction de la forêt.
– On y est presque, m'informe-t-elle alors que la forêt semble toujours aussi dense, et que je ne vois pas l'ombre d'un chemin devant nous. D'abord, bande-toi les yeux avec ça, m'ordonne-t-elle en me tendant une feuille de fougère que je regarde, perplexe, avant de la saisir délicatement du bout des doigts. C'est pour m'assurer que tu ne pourras pas retrouver le chemin. Allez, dépêche-toi !
Je m'exécute sans poser de questions.
∼ Je ne comprends pas bien pourquoi de telles mesures de sécurité sont nécessaires, mais il me semble prudent de ne pas insister.
– C'est bon ? Tu ne vois rien ?
– Non.
– Rien du tout ?
– Pas même mon nez.
– Parfait ! N'essaie surtout pas de l'enlever ou je te jette aux loups.
∼ Dit de cette façon, je ne risque vraiment pas de l'enlever.
Je tente une seconde fois de lui demander son nom.
– Écoute—
Le sol se met soudainement à trembler si fort que je manque de perdre l'équilibre. C'est terrifiant de ne rien voir quand même le sol cesse d'être un point de repère.
– Qu'est-ce qui se passe ?
– ...
Je ne sais pas pourquoi je m'attendais à une réponse de sa part. Après ce qui me semble une éternité, les tremblements s'arrêtent enfin et elle me pousse brusquement dans le dos. Je fais quelques pas maladroits puis me retourne vers elle, bien que je ne voie absolument rien.
– À mon signal, compte jusqu'à dix, puis tu pourras enlever ton bandeau. Une fois dehors, marche vers l'Ouest, et tu finiras par apercevoir les remparts d'Aragane.
– Une fois dehors ? Comment ça ?
– Ah, et une dernière chose. Que comptais-tu faire lorsque tu t'es interposé entre moi et les loups ? Tu ne pensais tout de même pas te sacrifier pour protéger une inconnue, me demande-t-elle au dépourvu, nécessitant que j'y réfléchisse quelques secondes.
– Je ne comptais pas me sacrifier, mais j'avais bien l'intention de me battre.
– Tout seul contre une vingtaine de loups sacrés ?
– Loups sacrés ?
– Tu n'as pas l'air de parler pour du vent. Non d'une vipère à corne, tu es juste complètement dérangé, glisse-t-elle en un soupir.
– Par contre, dire que j'essayais de te sauver n'est pas tout à fait exact.
– Oh ? Alors pourquoi m'as-tu crié de m'enfuir ?
– Ne connaissant pas ta force, ce serait prétentieux de ma part de prétendre te sauver, tu ne trouves pas ? Je voulais simplement éviter de mettre quelqu'un d'autre en danger dans une situation dont j'étais le seul responsable.
Elle reste silencieuse pendant quelques secondes, comme si elle réfléchissait.
– Je vois... Comptes jusqu'à dix !
De nouvelles secousses, encore plus violentes que les précédentes, manquent à nouveau de me faire tomber à la renverse. Cette fois, j'ai l'impression que le sol ne se contente pas de trembler, il se déplace !
– Attends ! Tu ne m'as pas dit ton nom !
Pas de réponse, seul le vrombissement du sol et des bruits de bois qui craque, comme si la forêt se mettait à gémir. Je reste là, dans l'obscurité, luttant pour garder mon équilibre.
Les vibrations s'estompent aussi soudainement qu'elles sont apparues, me laissant immobile, aveugle et dans un silence total. Je décide que cela fait dix secondes et lorsque je retire enfin mon bandeau, je découvre avec stupeur que je suis au beau milieu de...
Rien !
Pas même un arbuste, ni un buisson à perte de vue. De l'herbe, rien que de l'herbe. La forêt mystérieuse, qui paraissait pourtant infinie, semble s'être évanouie dans le néant. Ne comprenant rien à ce qui vient d'arriver, je prends une grande inspiration pour me calmer. Y a pas à dire, rien ne vaut l'air frais de l'extérieur, surtout après l'atmosphère oppressante de la forêt.
Qui aurait cru que je serais autant ému de voir enfin le ciel et ses quelques moutons en pèlerinage. Je réalise que j'ai totalement perdu la notion du temps ; le soleil se rapproche inéluctablement de l'horizon qui a déjà commencé à se teinter d'orange.
∼ L'Ouest, c'est ce qu'elle a dit.
Je devrais me dépêcher si je veux atteindre la ville avant la nuit. Je décide donc de mettre toutes mes incompréhensions de côté pour l'instant, et de me mettre en route vers la capitale. Une seule question continue cependant à me brûler les lèvres.
∼ Qui peut bien être cette fille aux cheveux flamboyants et aux pouvoirs mystérieux ? Et que faisait-elle dans cette forêt... étrange.