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Chapter 3 - Faux sourire.

Je fus réveillé par des coups donnés sur la vitre de ma portière, contre laquelle j'avais jusqu'à présent la tête posée. Et lorsque j'ouvris enfin les yeux, j'étais assis à la place conducteur, dans ma propre voiture. C'était déjà le matin, et la lumière du jour me fit plisser les yeux. Mais une fois accommodé à la lueur du soleil, je pus enfin observer où je me trouvais.

Ma voiture était arrêtée sur une petite aire de repos, juste en bordure d'une voie de circulation.

Plusieurs camionnettes empruntaient déjà la petite route de montagne, certaines déjà chargées de bois, d'autres seulement avec des outils à l'arrière. De petites voitures compactes comme la mienne, passaient également à leur suite. Probablement des personnes devant aller travailler en dehors, ou au contraire, à l'intérieur du parc national de Chichibutamakai.

De nouveaux coups sur ma vitre me firent sortir de ma contemplation des environs, et tournant la tête vers la droite, je vis le bleu foncé et blanc d'un uniforme de police.

Le policier se baissa à ma hauteur, et je pus voir le visage d'un homme aussi jeune que moi. Il me fit signe de baisser ma vitre, ce que je fis.

« Bonjour monsieur ! Est-ce que tout va bien ? » Demanda-t-il.

Pourquoi me demandait-il ça ?

« Oui, je vais bien, » répondis-je en hochant de la tête. « Y-a-t-il un problème, monsieur l'agent ? »

« Vous avez dormi ici ? » Demanda-t-il.

Je répondis à nouveau en hochant la tête.

C'était à priori ce qui s'était passé. J'avais dû avoir sommeil, et m'étais garé sur le côté pour pouvoir dormir un peu. Sauf que j'avais fini par dormir toute la nuit, jusqu'au lendemain.

Le jeune policier se mit alors à sourire, puis ajouta :

« On a reçu un appel comme quoi un véhicule était arrêté depuis des heures sur le bas côté, sans que son conducteur ne bouge. » Expliqua-t-il. « La personne qui nous as appelé a dû penser que vous aviez fait un malaise. »

Je ne me souvenais pas exactement avoir garé mon véhicule, ni avoir coupé le contact. Mais c'était probablement parce que j'étais trop fatigué pour m'en rappeler.

« Je vois. Je suis désolé qu'on vous ait dérangé pour ça. » Répondis-je sans pour autant que mon visage ne reflète une once de culpabilité.

Peut-être que je n'avais tué personne, hier. Peut-être que je n'avais pas croisé le chemin d'une femme morte revenue à la vie.

Peut-être que tout cela n'était qu'un rêve, après tout.

« Ce n'est pas grave, du moment que vous allez bien, c'est l'essentiel ! » S'exclama le policier. « Faites juste attention aux animaux sauvages en conduisant. Quelqu'un a encore percuté un sanglier près d'ici. »

« Je vois… Merci de la mise en garde. » Répondis-je.

Il releva alors un peu sa casquette, puis sourit une dernière fois.

« Faites bonne route monsieur ! »

Il fit alors le tour de ma voiture pour rejoindre sa propre voiture de patrouille, garée avec les warnings juste derrière moi.

Oui, c'était probablement un rêve. Ou alors, j'avais renversé un sanglier, et le manque de repos m'avait fait voir des choses qui n'existaient pas.

Je me frottais un peu les yeux, enlevant les dernières traces de sommeil, puis cherchais mon téléphone. Il n'était plus là où je l'avais laissé sur le siège passager, mais était tombé sous les sièges ; ce qui me demanda des efforts supplémentaires pour l'atteindre.

Et au moment même où je l'avais enfin dans la main, il se mit à sonner.

Je regardais l'écran un instant, et vit qu'il était déjà presque 9h00 du matin. Et la personne qui m'appelait n'était autre que mon responsable éditorial.

« Ah, tu réponds enfin Nijima-kun ! » S'exclama la voix masculine. « j'arrivais plus à te joindre depuis hier soir ! »

« Désolé Chiba-san, je me suis endormi, » dis-je encore une fois sans être aucunement désolé.

« Endormi ?! » S'exclama Chiba Takuya.

Il y eut un silence. Peut-être parlait-il à quelqu'un, ou peut-être réfléchissait-il.

Et finalement, je l'entendis soupirer longuement dans le combiné.

« Bon… L'important est que tu n'aies rien. On pensait que t'avais eu un accident, » dit-il, passablement exténué. Puis, reprenant sa contenance, il ordonna :

« Mais si tu as vu l'heure, dépêche toi d'aller me chercher le manuscrit d'Osagawa Sensei ! »

« Je me met en route dès maintenant, » répondis-je tout en éloignant déjà le téléphone de mon oreille.

« Ah, Nijim- ! »

J'avais raccroché avant même que mon responsable ait terminé de parler. Il était bien plus efficace de partir tout de suite, au lieu de perdre du temps à parler au téléphone avec quelqu'un qui n'était pas sur place. Il fallait déjà deux heures pour faire le trajet depuis Tokyo, et je devais ajouter à cela le temps de trajet restant que je n'avais pas fait la veille.

Chiba Takuya, lui, fixa du regard le téléphone qu'il avait dans la main, la sonnerie indiquant que l'interlocuteur avait raccroché résonnant dans son bureau.

« Quel petit con, il m'a encore raccroché au nez ! » Râla-t-il.

Une femme avec de longs cheveux bruns coiffés en une tresse unique, des lunettes aux fines montures bleues, et habillée d'un costume gris, en profita pour poser une grosse enveloppe sur son bureau.

« Vous savez comment il est, monsieur. » Dit-elle. « Il ne pense pas un seul instant à ce que les autres peuvent ressentir. »

Le chef Chiba, un oreiller de voyage vert pomme autour du cou et un masque de sommeil bleu foncé relevé sur le front, se rassit lourdement dans son fauteuil rembourré ; ayant raccroché le téléphone qu'il tenait jusqu'à présent dans sa main.

« Il pourrait quand même faire l'effort de respecter ses supérieurs ! » Dit-il en claquant sa langue sur ses dents.

« Mais c'est également parce qu'il agit comme cela qu'il a fait du bon travail jusqu'à maintenant, » ajouta la femme à lunettes.

« Faire du bon travail n'empêche pas d'être un p'tit con ! » Répliqua Chiba.

La femme se contenta de sourire silencieusement. Le chef Chiba était de mauvaise humeur, alors elle préférait éviter d'envenimer la situation en disant quelque chose de déplacé.

Pendant ce temps, j'étais loin de me douter que mon supérieur ai pu être aussi énervé par mon geste soudain.

J'étais sorti de mon véhicule, et m'étais attardé à observer un grand panneau à côté duquel ma voiture était garée. Il s'agissait d'une énorme carte de Kosuge, sur laquelle on pouvait voir toutes les routes, les temples, et également les sentiers de randonnée. Je pus ainsi me situer, et comprendre que j'étais presque arrivé à destination la veille.

Je remontais donc dans ma voiture, et prenais dans mon sac à dos posé sur la banquette arrière un carnet. À l'intérieur de celui-ci, j'avais coincé une note écrite par monsieur Chiba à propos du chemin à emprunter pour arriver chez maître Osagawa.

Quand j'y repensais, c'était cette maudite note qui m'avait fait quitter la route des yeux. Mais je me consolais en me disant que finalement, je n'avais renversé personne cette nuit-là.

Je relus les instructions qui m'avaient été laissées :

'Rejoins le village de Kosuge, puis après le bureau de poste et le petit poste de police, continue sur la route préfectorale 508. Tu devrais passer un petit sanctuaire sur ta droite avec un panneau d'affichage. Puis au bout d'un moment, il y aura sur ta gauche une construction en tôle bleu ciel. La maison de maître Osagawa se trouve juste en face, avec une grande cour. Si en revanche tu vois un camping, c'est que tu es allé bien trop loin.'

Cela avait l'air plutôt simple à suivre…

J'ai alors redémarré ma voiture, et après avoir laissé passé encore deux camionnettes, je me suis engagé sur la route. J'avais déjà presque tout oublié de mon étrange rêve.

Très vite, je quittais la zone complètement boisée pour me retrouver dans une zone vallonnée située entre les pieds de plusieurs montagnes. La route semblait suivre de près la rivière qui circulait au centre, et bientôt, il y eut de plus en plus de maisons de chaque côté.

C'était vraiment une zone rurale, avec beaucoup de vieilles maisons ; toutes en bois pour la plupart. Il n'y avait pas grand monde dehors, si ce n'est une ou deux personnes nettoyant de la boue qui s'était amassée devant leur porte. C'était tout ce qui restait, de l'énorme averse de la veille : de la boue et de grandes flaques d'eau reflétant à présent le ciel bleu.

À peine avais-je passé le petit poste de police, qu'une voiture venant en sens inverse me força à serrer le plus possible sur la gauche. Mon véhicule compact se faufila entre le rail de sécurité et l'autre voiture ; touchant au passage quelques branches basses d'arbres et faisant tomber des gouttes de pluie sur mon pare-brise.

Il me fallut rouler encore une à deux minutes, avant d'apercevoir le petit sanctuaire en bord de route ; comme me l'avait indiqué monsieur Chiba. La route devenait d'ailleurs de plus en plus étroite, et j'espérais réellement que personne n'arrive à nouveau en sens inverse. Se croiser pourrait être un vrai défi, dans cette zone où il n'y avait même plus de trottoir devant les habitations.

Et bientôt, j'apercevais enfin sur ma gauche un vieux magasin avec des murs extérieurs recouverts de tôle bleu ciel.

M'arrêtant devant, je vis que de l'autre côté de la route, se trouvait en effet une vieille maison avec un étage. Une énorme entrée donnait sur une cour en gravier où une berline compacte entièrement noire et brillant au soleil était déjà garée le long d'une petite haie d'hortensias roses et blancs.

Je me suis à mon tour garé à côté de la voiture qui semblait être neuve, et après avoir récupéré mon sac, sortit pour aller sonner à la porte principale du bâtiment.

Un bruit de sonnette grésilla à l'intérieur, et en patientant qu'on vienne m'ouvrir, je me perdit à observer le linge multicolore qui séchait sur un fil dans le jardin voisin. J'avais presque l'impression qu'il n'avait pas plu hier, tellement le soleil brillait aujourd'hui. Il ne restait que quelques timides nuages dans le ciel bleu, glissant au dessus des sommets des montagnes.

Un homme à bicyclette passa dans la rue sans pédaler, se servant de la légère pente pour rouler sans effort jusqu'en contrebas du village. Je vis aussi quelques moineaux se disputer bruyamment, perchés sur un fil électrique tendu entre deux maisons adjacentes.

Puis, j'entendis enfin la porte derrière moi s'ouvrir, et me retournant, je me retrouvais face à face avec un homme très grand et maigre.

Il avait un front large et des yeux me fixant avec curiosité.

Si moi j'avais des cernes, ce type, lui, avait les orbites des yeux légèrement enfoncées. Peut-être était-ce l'âge qui avait marqué son visage. Ou peut-être qu'il ne buvait pas assez d'eau.

Toutefois, le simple fait qu'il portait un pull sans manches malgré ce temps ensoleillé me confirma que j'avais en face de moi maître Osagawa.

« Puis-je vous aider, jeune homme ? » Demanda-t-il avec une voix douce et rocailleuse à la fois.

Il avait aussi les joues légèrement creusées, mais était toutefois impeccablement rasé de près.

Je me suis alors présenté, tout en m'inclinant légèrement en avant.

« Je suis Nijima de la maison d'édition Tokuma. Je viens chercher votre manuscrit. » Dis-je sans aucun détour.

« Oh je vois. Vous êtes le jeune homme que Chiba-kun m'envoie, c'est ça ? » Demanda-t-il tout en soulevant avec surprise ses fins sourcils.

Je hochais de la tête.

Il m'invita alors à entrer, ce qui me déplut un peu, étant donné que j'étais pressé. Et me montra le salon.

Tandis que je m'asseyais sur un fauteuil avec des coussins aux motifs géométriques pouvant être à la mode en ce moment, je l'entendit s'affairer dans la cuisine.

Même si la maison en elle-même était vieille, les meubles et la décoration étaient plutôt récents ; comme tout droits sortis d'un magazine de vente à distance chic et contemporain.

Puis, Osagawa Sensei arriva dans le salon avec un petit plateau, sur lequel se trouvaient deux tasses et une théière en plastique blanc.

« Vous avez fait bonne route, j'espère ? » Demanda-t-il avec un doux sourire.

Du moins, c'est ce qu'il devait essayer de montrer. Car à mes yeux, cela ressemblait plus à un faux sourire, forcé pour la convenance.

« J'ai roulé lentement avec le mauvais temps, » répondis-je, tout en continuant à le regarder.

Il s'affaira à poser une tasse devant moi, et je vis qu'il s'agissait de café bien noir, sans sucre ni lait.

« C'est vrai que le temps peut vite nous surprendre ici, » dit-il tout en voulant se montrer sympathique.

Mais c'était encore un faux sourire. Même pour quelqu'un voulant avoir la même attitude que lui, et se montrer compatissant vis-à-vis des autres.

C'était vraiment bizarre. Est-ce qu'il devait autant se forcer à sourire en face de moi ?

Il avait peut-être une mauvaise opinion de moi. Après tout, j'avais toujours eu de grandes cernes sous les yeux. Et j'étais arrivé chez lui tôt le matin, très en retard, et avec un costume complètement froissé. Pas une apparence des plus présentables.

Et visiblement, l'auteur en face de moi avait l'esprit aussi acéré que les détectives dont il écrivait les aventures. Car il comprit que je n'étais pas là pour faire la discussion, et qu'il n'obtiendrait pas plus de paroles de ma part.

« Je vais vous chercher le manuscrit de cette semaine, et aussi celui de la semaine prochaine, » dit-il. « J'ai pris la liberté de l'écrire à l'avance, au cas où internet n'est pas rétabli dans les temps. »

C'était au moins quelque chose de positif à tirer de cette perte de temps. J'allais repartir avec non pas un, mais deux manuscrits.

Il sortit de la pièce et je l'entendis monter les marches de l'escalier en bois menant à l'étage, les marches grinçant sous ses pas.

Mon téléphone vibra à nouveau dans ma poche. Sûrement monsieur Chiba qui s'impatientait. Mais cette fois, ce n'était pas un appel, mais un SMS, au vu de la courte vibration.

Curieux. Monsieur Chiba préférait me crier dessus de vive voix, en général. Et pas par textes interposés.

Je sortis mon téléphone de ma poche, et déverrouillais l'écran.

Un SMS. D'un numéro inconnu.

Je n'avais presque jamais reçu de messages ou d'appels de numéros inconnus, depuis que j'avais ce numéro. Alors cela me rendit curieux, et j'ouvris le message pour en voir le contenu.

« Je sais ce que tu as fait hier soir. »