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Chapter 4 - Chantage

'Je sais ce que tu as fait hier soir.'

Je dus relire plusieurs fois le curieux message, avant d'en saisir enfin le sens.

Ce que j'avais 'fait' hier….

Alors… Ce n'était pas un rêve, après tout ? J'avais vraiment écrasé quelqu'un ?

Mais est-ce que ce qui s'était passé après cela était aussi réellement arrivé ? Ou est-ce que j'avais halluciné ?

Non. je sentais au plus profond de moi que je n'avais pas imaginé ça.

Je n'avais pas imaginé cette femme, qui même morte, continuait de parler comme si elle se trouvait dans un salon de thé, à discuter des potins de la semaine.

Ce que j'avais ressenti était bien réel. Trop réel, même, pour n'être qu'un simple rêve.

Alors, s'il y avait une chance que je puisse recroiser cette personne, tant mieux. Car si ce n'était pas le cas, et que j'avais vraiment tué quelqu'un cette nuit-là, alors un témoin potentiel me faisait du chantage. Et dans ce cas, je préférais directement aller en prison. C'était moins fatiguant que d'essayer de comprendre jour après jour le comportement des êtres humains qui m'entourent.

« Vous avez reçu une bonne nouvelle ? » dit alors Osagawa Sensei, qui était revenu avec deux enveloppes sous le bras.

Je rangeais rapidement mon téléphone dans la poche de ma veste, et me mit à fixer l'homme qui venait de faire irruption dans son propre salon.

« Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? » demandais-je avec un air toujours aussi inexpressif.

Monsieur Osagawa s'assit en face de moi, de l'autre côté de la table basse ; dans un fauteuil identique à celui que j'occupais.

« Vous aviez l'air content, » dit-il simplement.

Moi ? Content ?

Impossible.

Et visiblement, j'avais dû penser cela trop fort, car monsieur Osagawa ajouta rapidement avec un sourire:

« Vous ne vous en êtes sans doute pas rendu compte vous-même. »

Non. Je n'avais jamais rien ressenti avant hier soir. Et je n'avais rien ressenti depuis.

Alors dire que j'étais content, c'était vraiment chercher trop loin. Je n'étais pas 'content'.

J'avais déjà en mémoire ce qu'une personne 'contente' montrait comme signes extérieurs : un grand sourire, des yeux plissés, des sourcils légèrement arqués…

Et j'étais absolument sûr de ne pas avoir employé cette expression particulière.

C'était vraiment stupide comme observation de sa part.

« Vous semblez avoir du mal à gérer vos émotions, n'est-ce pas ? » Déduisit très correctement l'auteur de romans policiers.

Il était un peu trop perspicace à mon goût. Est-ce que c'était pour cette raison qu'il arrivait à écrire des romans aimés par tant de gens ?

Personnellement, je n'aimais pas ça. Mais alors pas du tout. Cela semblait me déranger. Mais pas au point de le faire savoir verbalement.

J'allais laisser sa question un peu trop personnelle sans réponse, lorsqu'il ajouta :

« Moi aussi, j'avais beaucoup de mal avec mes émotions, à un moment... »

Est-ce que j'avais bien entendu ?

Je n'étais pas sûre qu'il parlait d'une problématique semblable à la mienne. Mais je pouvais toujours demander.

« Vous en parlez comme si c'était derrière vous... » Dis-je avec mon regard morne dirigé vers lui.

C'était en effet l'impression que ça donnait. Et cela titilla ma curiosité.

Il me tendit les deux enveloppes format A4 pour que je les prenne en main, et répondit à mon interrogation à peine dissimulée :

« Il faut trouver quelque chose qui vous intéresse suffisamment pour ne plus penser au problème qui vous préoccupe. Du moins, c'est comme cela que j'ai résolu le mien. Chacun a sa propre méthode, après tout. »

Quelque chose… Qui m'intéresse suffisamment ?

Ridicule.

Mais…

Peut-être était-ce une piste à creuser ?

Après tout, ça paraissait déjà moins ridicule qu'une tête complètement détachée de son corps cherchant à vous intimider. Sans succès, qui plus est.

« Mais trouver quelque chose qui vous passionne, ou vous occupe l'esprit, est un bon début je trouve. Pas vrai ? » dit-il avec un sourire.

Cette fois, son sourire semblait sincère. Pas de faux-semblants.

C'était vraiment étrange, comment cet homme avait depuis le début souri faussement, pour finalement sourire pour de vrai, une fois qu'il était question d'un sujet le touchant de près.

J'entendis alors un bruit de casserole – ou d'un quelconque objet métallique – tomber au sol avec fracas. Ce qui surprit quelque peu monsieur Osagawa. Il fronça légèrement les sourcils, mais rapidement, il sourit à nouveau, comme pour montrer qu'il était embarrassé par la gêne occasionnée.

« Ne faites pas attention. Le chat a encore dû essayer de voler mon repas, » dit-il tout en penchant légèrement la tête sur le côté. « J'ai beau mettre un couvercle dessus, il arrive toujours à y accéder. »

À nouveau, il s'agissait d'un faux sourire. Comme s'il n'était pas vraiment désolé pour le bruit que son animal de compagnie venait de faire. Ce qui me fit m'attarder sur les deux enveloppes qu'il m'avait remises.

Les deux enveloppes étaient bien épaisses, et une bosse dans l'une d'entre elles me fit deviner que l'auteur avait aussi joint une clé USB, en plus des manuscrits originaux que je tenais en main. C'était plutôt prévenant de sa part, même si je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un resté à l'analogue me fournisse quelque chose d'aussi technologiquement avancé.

Monsieur Osagawa porta une tasse de café à ses lèvres, commençant à boire le liquide noir comme l'enfer que je n'oserais jamais m'aventurer à goûter.

C'est ce moment que choisit mon téléphone pour vibrer à nouveau. Une courte et unique vibration, encore une fois.

Je le ressortis de ma poche, et vit qu'il était déjà plus de dix heures du matin. Puis, j'ouvris le nouveau message reçu, qui provenait encore du même numéro inconnu.

'Si tu ne veux pas que j'alerte la police, rends-toi à cette adresse.'

Une simple et courte phrase, accompagnée d'une image. Une capture d'écran d'une carte, sur laquelle était mis en évidence un endroit en particulier.

Je ne savais pas trop si c'était un ordre, un conseil, ou peut-être juste du chantage. Mais le ton utilisé semblait vouloir me contraindre à m'y rendre.

Rangeant à nouveau le téléphone dans ma poche, je me levais, et tout en m'inclinant légèrement pour saluer l'auteur me faisant face, je dis :

« Je vous remercie pour votre accueil, Osagawa Sensei, mais je dois partir maintenant si je ne veux pas être en retard. »

Monsieur Osagawa fut un peu surpris de me voir partir aussi vite, mais s'il était déçu que je n'ai pas touché une seule fois à la tasse de café qu'il m'avait servie, il n'en montra rien.

Il me raccompagna jusqu'à la grande double porte donnant sur la cour devant sa maison, et me regarda rejoindre ma voiture.

Une fois mon véhicule démarré, je jetais un dernier regard vers l'entrée de la maison. Osagawa Sensei regardait toujours dans ma direction. Il attendait peut-être que je sois parti, pour enfin rentrer à l'intérieur.

Ne lui prêtant plus attention, je me mis à taper sur l'écran tactile de l'ordinateur de bord de ma voiture. Et après quelques secondes, l'adresse que j'avais entrée était apparue, avec le trajet et le temps de parcours correspondant.

J'avais amplement le temps de faire un détour avant de rentrer sur Tokyo, pas vrai ?

Sur cette pensée, je fis retourner sur la route goudronnée ma petite voiture, voyant enfin dans le rétroviseur que l'auteur de romans policiers avait disparu de l'entrée de sa maison.

Peut-être n'aimait-il pas les inconnus?

Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça.

Tous ceux qui m'entouraient étaient de parfaits étrangers pour moi, même après les avoir connus depuis plusieurs années. Et je m'apprêtais à en rencontrer un nouveau.

Serrant le volant entre mes mains, je parcourus en sens inverse la route que j'avais empruntée quelques heures plus tôt.

Le contraste entre le temps dégagé et ensoleillé, et la tempête de la veille, était saisissant. C'était comme si je m'étais trouvé à deux endroits différents. Pourtant, je reconnaissait les mêmes bâtiments, les mêmes intersections, et les mêmes panneaux. Ce ne fut que quelques kilomètres plus loin que je m'éloignais finalement de mon trajet, empruntant une petite route partant sur ma gauche, serpentant entre de grands pins.

Puis, alors que la route devenait de plus en plus abîmée et que ma voiture se teintait de boue à chaque flaque dans laquelle je roulais, je me retrouvais devant une immense demeure d'apparence ancienne.

Plusieurs véhicules étaient garés devant, et si je n'avais pas vu le grand panneau en bois au dessus de la porte, je ne me serais sûrement pas douté une seconde qu'une auberge se trouvait aussi près de ma destination.

Peut-être était-ce pour cela que le policier de tout à l'heure me regardait aussi bizarrement. J'avais dû lui sembler dérangé, à dormir dans ma voiture au bord de la circulation, alors que j'aurais pu passer la nuit dans un endroit aussi idéalement situé.

Tandis que je sortais de ma voiture, je sentis l'odeur caractéristique de plusieurs plats en train de cuire. Le personnel devait déjà être occupé à préparer le repas du midi, même s'il n'était encore que le milieu de matinée.

Une légère brise s'était levée, faisant virevolter et tinter avec légèreté un carillon en verre coloré pendu sous l'avancée couverte de l'entrée. Le gravier gris répandu partout sur le sol crissa sous chacun de mes pas, jusqu'à ce que j'atteigne le dallage en pierre gris foncé menant au bâtiment. Et en entrant enfin dans le bâtiment, je me retrouvais face à un comptoir entièrement en bois, derrière lequel se trouvait une vieille femme aux cheveux grisonnants et avec de curieuses lunettes aux ronds en forme de demi cercles sur le nez.

Immédiatement, elle me souhaita la bienvenue, puis commença alors à m'observer avec attention de la tête aux pieds.

« Ah, c'est vous... » Dit-elle en fronçant les sourcils.

Est-ce qu'elle me connaissait ?

Je ne me souvenais pas l'avoir déjà rencontrée auparavant.

Elle regarda rapidement quelque chose dans le carnet posé devant elle, puis releva la tête vers moi.

« Elle m'a dit que vous viendriez, tôt ou tard, » Dit la vielle femme. « Je suppose que vous êtes venu tôt, finalement. »

Puis, sans se lever, elle pointa du doigt le grand escalier en bois qui menait jusqu'à l'étage supérieur.

« Première porte sur votre gauche, » dit-elle sans élaborer plus.

Visiblement, mon maître chanteur m'attendait à l'étage. Parfait. Au moins, je ne perdrais pas de temps à essayer d'expliquer la situation à la femme occupant l'accueil.

J'allais avancer vers l'escalier, quand la vieille femme tapa trois petits coups sur son bureau, vraisemblablement pour attirer mon attention.

Je me tournais alors vers elle, et elle désigna du doigt mes pieds, puis les casiers situés juste à côté de la grande porte coulissante par laquelle j'étais entré.

Ah, elle voulait que j'enlève mes chaussures. Et déjà, elle ne me prêtait plus attention, absorbée à lire un magazine sur la pêche.

Je m'exécutais, et ayant revêtu des chaussons aux couleurs criardes, je montais enfin à l'étage. Je me retrouvais alors dans un grand couloir avec cinq, peut-être six portes de part et d'autre de l'escalier que je venais de monter. Et suivant les indications de la femme qui semblait être une employée, ou peut-être même un des propriétaires de l'établissement, je me tenais à présent devant une porte quelconque, immobile.

Je m'apprêtais à l'ouvrir, lorsque l'impossible se produisit à nouveau.

J'entendais une voix provenir de l'intérieur de la pièce, et par pur réflexe, ma main s'était arrêtée sur la poignée de la porte. J'éprouvais soudainement l'irrépressible besoin d'entrer, de pousser cette porter, et de voir ce qui se cachait derrière. Car la voix que j'entendais, je la reconnaissais.