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Chapter 5 - Intimidation

J'en étais persuadé. La voix que j'entendais en ce moment même était la même que la veille, sur cette route détrempée par une pluie battante.

C'était cette femme. Morte, sans vraiment l'être.

Et elle semblait à présent discuter au téléphone avec quelqu'un, étant donné que je n'entendais qu'une moitié de conversation avoir lieu de l'autre côté de la porte devant laquelle je me tenais.

« Non, je cherche encore... » L'entendis-je dire.

Elle semblait relativement calme, tandis qu'elle parlait de quelque chose dont j'ignorais tout. C'était peut-être un appel professionnel ?

« Je vais essayer de remonter plus loin, pour voir si je n'aurais pas manqué quelque chose… Oui… Je vous tiens au courant. » Dit-elle.

Puis, ce fut le silence, ce qui me fit comprendre qu'elle avait dû terminer l'appel en cours.

Poussant enfin la porte pour entrer dans la chambre sans y être invité, je vis dans la pièce en face de moi une femme aux longs cheveux bruns et vêtue d'un simple kimono me tourner le dos, assise devant un kotatsu où étaient posés une corbeille de fruits et une bouilloire électrique.

C'est alors que je réalisais que je n'avais pas du tout pensé à ce que je pourrais bien dire après être entré.

Devais-je me présenter ? Lui demander son nom ? Comment elle avait survécu à l'accident ?

Je n'avais pas du tout réfléchi à cela, trop focalisé sur le besoin de la rejoindre immédiatement.

Peut-être parce que l'idée qu'elle me glisse encore entre les doigts s'était insinuée dans mon esprit.

Ayant entendu la porte s'ouvrir derrière elle, elle se retourna, et avec un regard très surpris, me fixa tout en s'écriant :

« Hé bien ! C'est du rapide ! »

Semblait-elle plus surprise de me voir soudainement me tenir derrière elle, ou par le fait que je sois arrivé si vite après son message ? Ça, je n'en avais absolument aucune idée.

Toutefois, elle se comportait comme si elle avait prédit que je viendrais la retrouver. Comme si faire du chantage à quelqu'un était une chose habituelle pour elle, et qu'elle en connaissait déjà le dénouement par cœur.

Et déjà, elle m'invitait d'un signe de la main à m'asseoir juste en face d'elle, de l'autre côté de la petite table basse chauffante.

Refermant silencieusement la porte derrière moi, je m'exécutais, et me dirigeais vers un petit coussin qu'elle m'avait désigné.

Elle profita du temps qu'il me fallut pour me pencher et m'asseoir pour prendre une tranche de melon dans le bol posé entre nous.

Vraiment, c'était comme une scène où deux colocataires ou camarades de classe s'invitaient respectivement dans la chambre de l'un et de l'autre.

Sauf que nous n'étions ni colocataires, ni camarades de classe. Aussi je ne savais pas si je devais pousser plus loin le parallèle entre ces exemples que j'avais en mémoire, et la situation actuelle.

Probablement pas, après réflexion.

Ne prononçant pas un mot, je la regardais manger en silence, et attendant à ce qu'elle fasse le premier pas. Je n'étais pas doué du tout pour ce qui était de démarrer une conversation, de toute façon. Et de plus, elle semblait relativement sûre d'elle, ne doutant pas un seul instant que j'allais l'écouter avec attention.

Elle prit le temps de terminer sa tranche de fruit, ce qui me fit remarquer que deux de ses doigts – l'annulaire et l'auriculaire – sur sa main gauche semblaient avoir été recousus, une cicatrice équivoque en parcourant le contour.

C'est vrai.

Hier soir, sa tête s'était détachée complètement de son corps.

Et immédiatement, je levais les yeux vers son cou découvert, et y vit une longue cicatrice similaire en faire le tour.

Je n'étais pas surpris par cela. Après tout, elle avait continué de me parler, alors même que sa tête et son corps étaient séparés d'une dizaine de mètres.

Alors qu'elle ait pu remettre sa tête en place, ça ne me choquerais pas.

« Alors, Nijima Iwao, qu'est-ce que je dois faire de toi ? » Finit-elle par dire, tout en me regardant à présent droit dans les yeux.

Oh. Elle savait déjà mon nom ?

Elle comptait peut-être m'intimider en démontrant cela, mais encore une fois, je n'en étais pas très sûr. Ses intentions – mis à part le fait qu'elle voulait taire l'incident d'hier – m'étaient totalement inconnues.

« Et vous êtes? » Demandais-je, troublé.

Elle sourit avec un air confident, comme si elle s'était attendue à ce que je pose la question, puis me répondit par une autre observation.

« Tu as 29 ans, es droitier, et travaille actuellement à la maison d'éditions Tokuma. Tu vis en périphérie de la ville mais ne prends généralement pas les transports en commun, car c'est plus pratique pour toi de te rendre au travail en voiture, étant donné qu'il y a un parking pour les employés. » Dit-elle d'une traite, tout en me fixant toujours de ses yeux bleu-gris.

Ce qui m'agaça légèrement, car au final, elle n'avait pas du tout répondu à ma question.

Elle semblait ne s'être arrêtée de parler, que pour jauger ma réaction à sa petite déduction.

Mais comme à mon habitude, je ne montrais pas particulièrement que j'étais surpris ou inquiet.

« Maintenant, tu dois te demander pourquoi j'ai autant fait de recherches à ton sujet, pas vrai ? » Ajouta-t-elle avec malice en faisant reposer sa joue dans la paume de sa main droite.

Oui. Je me demandais bien pourquoi, en effet, avait-elle pris la peine de chercher mon identité et des informations personnelles à mon sujet. Toutefois, j'étais plus intéressé par autre chose.

« Comment savez-vous tout ça sur moi ? » Demandais-je à nouveau.

C'était assez surprenant qu'elle sache des détails plutôt anodins mais d'autant plus difficiles à connaître. Alors j'étais plutôt curieux.

Et cette fois, elle répondit de but en blanc à ma question, sans aucun détour.

« J'ai fouillé tes affaires hier soir.» Répondit-elle avec un sourire prédateur sur le visage. « J'y ai trouvé tes papiers d'identité, mais aussi de multiples tickets de parking. Mais aucune carte d'abonnement aux transports en commun. »

Oh. C'est donc ce qui s'était passé. Elle avait cherché ma voiture pour savoir qui j'étais.

« Ce qui laissait à penser que tu conduis plus que tu ne prends les transports, au vu des multiples allers et retours à ce parking, » continua-t-elle à expliquer. « Quant à ton numéro de téléphone, je me suis appelée moi-même pour l'enregistrer. Simple, pas vrai ?»

Simple ? Trouver des éléments reflétant la vie personnelle de quelqu'un, c'était simple. Mais savoir les interpréter correctement, c'était déjà bien plus délicat. Et pourtant, elle avait réussi sans la moindre hésitation ni erreur à déduire mon quotidien. Avec quoi ? Quelques bouts de papiers.

« Mais ne t'en fais pas, j'ai tout remis exactement à sa place, » dit-elle en s'arrêtant de sourire. « Je ne suis pas rustre au point de déranger les affaires de quelqu'un sans les ranger après. »

C'était considéré de sa part. Mais une bonne intention totalement gaspillée avec quelqu'un comme moi. Toutefois, avec ce qu'elle venait de me révéler, une évidence se formait à présent dans mon esprit. C'était elle, qui avait…

« Vous avez bougé ma voiture... » Réalisais-je à voix haute.

« Correct. » Répondit-elle avec un léger sourire, me fixant avec un regard scrutateur.

Elle semblait apprécier ma vivacité d'esprit.

C'est généralement ce que les gens finissaient par remarquer, à mon sujet. J'étais peut-être socialement inapte, mais en retour, doué d'une logique et d'un esprit d'analyse assez précis. Peut-être même trop précis, étant donné que parfois, les décisions – ou les raisons qui m'y poussaient - que je prenais étaient totalement incomprises par mon entourage.

Toutefois, une interrogation me venait à présent à l'esprit. Si elle comptait me recontacter par la suite, pourquoi se donner tant de mal à déplacer ma voiture, et à m'y installer ?

Elle aurait très bien pu attendre que je me réveille à nouveau, pour parler avec moi.

Pourtant, elle avait préféré utiliser un moyen détourné et me faire du chantage...

« Quoi ? Tu t'attendais à ce que je déduise tout ça sur le moment, dès ton entrée ici ? Faut arrêter de regarder la télé mon gars... » Ajouta-t-elle en souriant.

À présent, elle semblait presque se vanter et se moquer de moi en même temps.

« C'est de l'atteinte à la vie privée, » répondis-je à mon tour, sans pour autant être effrayé.

Ce qui lui fit immédiatement perdre le sourire qu'elle avait eut tant de joie à me montrer.

« Et si je comprends bien, c'est vous qui avez garé ma voiture en bord de route, » ajoutais-je. « On peut donc ajouter coups et blessures – vu que vous m'avez fait perdre connaissance - ainsi qu'enlèvement à votre liste de délits. »

« Je crois que j'ai moins de soucis à me faire que quelqu'un qui a renversé et tué une personne avec sa voiture... » Répondit-elle avec mordant.

« Avoir 'tué' quelqu'un n'est un crime que si la personne meurt vraiment... » Lui fis-je remarquer.

Elle sembla se rendre compte que son argument se retournait contre elle, et cela la contraria un peu plus.

« Eh… T'es vraiment ennuyant, dans ton genre, » dit-elle d'un air déçu. « Mais tu es aussi vraiment bizarre... Du genre, agréablement bizarre.»

« Je suis bizarre ? » Répétais-je. « Vous êtes pourtant celle qui n'avait plus de tête hier... Et qui m'a fait du chantage pour me faire venir ici.»

Pire encore, elle comprit que j'étais absolument sûr de ce que j'avais vu la veille, avec mon affirmation. Et cela ne l'inquiétais absolument pas du tout.

Elle tapa violemment avec la paume de sa main sur le kotatsu, faisant tressaillir sur place le bol de fruits et la cafetière.

« Alors là, c'est la meilleure ! » S'exclama-t-elle avant de se mettre à rire sans pouvoir s'arrêter.

Quoi encore ? Qu'est-ce que j'avais dit de si drôle à ses yeux ?

Puis, après s'être calmée, elle reprit un air sérieux, et cette fois, il me sembla que l'air dans la pièce s'était soudainement refroidi tout autour de nous.

« Est-ce que tu te rends compte de la situation dans laquelle tu te trouve, Nijima-kun ? » Me demanda-t-elle avec un regard acéré.

Elle se leva soudainement, et commença à marcher vers la porte d'entrée de la chambre.

« Si je t'ai fait du chantage pour que tu vienne me retrouver ici, c'est en toute évidence parce que je veux obtenir ton silence... » Continua-t-elle tout en se retrouvant devant la porte en bois.

J'entendis alors un cliquetis métallique, qui me fit comprendre qu'elle venait de fermer à clé la porte qui représentait avec la fenêtre derrière moi les seules issues possibles.

Et, tout en restant face à la porte, elle dit :

« Tu t'imagine que je ne vais pas te laisser repartir aussi facilement, pas vrai ? »