Chiba Takuya venait à peine de fermer la porte de son bureau pour les isoler lui et madame Asanuma, que la curiosité le poussa à regarder rapidement à travers les parois vitrées.
Il fallait qu'il sache ce qu'il se passait. Parce que là, il était complètement paumé.
« Non mais vraiment. Ce type a une petite amie ? » Se dit-il à voix haute, tout en plissant les yeux.
Madame Asanuma, si elle était surprise, n'en laissa rien paraître. Mais Takuya était beaucoup trop choqué pour simplement se taire.
« Ce type est un vrai glaçon au boulot, » continua-t-il à dire, abasourdi ; « il sourit jamais et parle presque pas. Alors… Comment ??? »
Non, il n'arrivait pas à croire ce qu'il était en train de voir. Surtout qu'il n'y avait eu absolument aucun indice pouvant indiquer que le jeune homme entretenait en effet une relation.
« Il est probablement juste timide, et préfère garder pour lui seul sa vie privée ? » Se demanda madame Asanuma en posant une nouvelle liasse de papier sur le bureau de son supérieur.
Takuya se contenta de renifler bruyamment, avant de finalement s'asseoir à son bureau. Il jeta quelques regards à l'extérieur, pour tenter de suivre ce qui s'y passait de façon discrète.
Le jeune Nijima ne semblait ni surpris, ni embarrassé. Ni même déstabilisé.
Il était toujours cette personne imperturbable et inexpressive que Takuya avait reçu dans son équipe il y a deux ans de ça.
Pourtant, la femme qui lui faisait face n'arrêtait pas de sourire tout en lui parlant.
Ah, ce qu'il donnerait pour entendre ce qui se disait là-bas !
De là où il se trouvait, il ne pouvait voir qu'une partie de ce qui se passait. Et bientôt, les deux jeunes disparurent dans l'ascenseur, laissant Takuya sur sa faim.
« Osagawa Sensei a appelé il y a quelques minutes, » ajouta madame Asanuma en se préparant deux tasses de café instantané.
« Oh ? Qu'est-ce qu'il voulait ? » Demanda Takuya, curieux, tout en pivotant son fauteuil vers sa subordonnée. « Si c'était pour ses manuscrits, tout est bon et va partir directement à la mise en page.»
« Il a appelé pour vous remercier, » Dit-elle en déposant une des tasses sur le bureau, et gardant l'autre en main. « Il était très satisfait du 'jeune homme' que vous avez envoyé, selon ses propres mots. »
« Hein ? Il parlait de Nijima-kun ? » Grimaça-t-il en prenant la tasse sur son bureau. « Qu'est-ce que cet abruti a bien pu faire pour être apprécié par le capricieux Osagawa sensei ? »
Madame Asanuma se contenta de sourire, avant de commencer à boire son café.
Non, vraiment. Qu'est-ce que maître Osagawa pouvait bien trouver à ce type ?
S'il disait en être satisfait, c'était comme dire 'j'ai hâte de retravailler avec vous'.
Est-ce que les deux hommes s'étaient découvert des points communs ? Ou avaient sympathisé ?
Il prit une gorgée de son café, et commença à lire une proposition d'interview adressée justement à l'auteur dont il était question. Ça faisait un petit moment qu'il n'y avait plus eu de publicité de ce genre concernant maître Osagawa, donc c'était une occasion à ne pas manquer.
« Appelle-moi Nakatsuki, veux-tu ? » Demanda-t-il à madame Asanuma en agitant la proposition qu'il avait en main. « J'ai besoin de planifier ça avec lui. »
La femme prit avec elle sa tasse, et sortit du bureau pour aller chercher la personne mentionnée.
Takuya, lui, jeta un rapide coup d'œil à un des cadres posés devant lui. Il avait encadré un des dessins de sa fille, même s'il ne savait pas vraiment ce qu'elle avait tenté de dessiner là.
« Est-ce que ce serait pas un tigre ? » Se murmura-t-il à lui-même, au bout de quelques minutes passé à contempler l'œuvre de la petite fille.
Mais encore une fois, il n'était sûr de rien. C'était plus un gros gribouillis de couleurs qu'autre chose.
Entre-temps, l'agitation dans le reste des locaux était retombée ; en même temps que les deux personnes au cœur des rumeurs s'étaient éclipsées.
Deux personnes qui se trouvaient à présent dehors, sur le parking.
Et comme à mon habitude, je restais silencieux, attendant en observant l'attitude de la détective privée.
« Alors, surpris de me voir ? » Demanda-t-elle, tout sourire.
Je secouais négativement de la tête.
« Je pensais que vous ne vouliez pas accepter ma proposition, » dis-je en la regardant. « Mais vous voilà, apparaissant sur mon lieu de travail, à vous présenter comme ma petite amie... »
« Ah… À ce propos... » Dit-elle en détournant momentanément le regard et en posant sa main droite sur son bras gauche. « J'ai réfléchi ces dernières heures… Et… Désolée… Pour ça... »
Elle désigna rapidement de l'index mon œil au beurre noir, tout en étant un peu abattue. Elle semblait vraiment regretter ce qui s'était passé.
« Je ne peux pas vraiment contrôler ma force, alors je me doute que ça puisse être douloureux... » Continua-t-elle.
« La propriétaire de l'auberge a été suffisamment avenante pour me donner de quoi diminuer la douleur, » expliquais-je en restant parfaitement immobile. « Mais ça fait tout de même très mal. J'irai voir un médecin, une fois la journée terminée. »
« Quoi ? Tu n'y es pas encore allé ?! » S'exclama-t-elle avec surprise. « ça a l'air pourtant sérieux ! »
« ça va aller, » répondis-je simplement. « Mais ça ajoute encore une chose à vous reprocher à mon sujet. »
« Oui… Je sais... » Grimaça-t-elle. « C'est pour ça que je reviens avec, à mon tour, une proposition à te faire. »
Je hochais la tête, signe que je l'écoutais avec attention. Peut-être que cet œil au beurre noir ne serait pas que du négatif, finalement.
« Tu veux passer du temps avec moi pour essayer de ressentir des émotions, pas vrai ? » Demanda-t-elle sans vraiment attendre de confirmation de ma part. « Tu as un travail de bureau, donc je suppose que tes horaires sont tout le temps les mêmes, sauf exceptions. »
Je lui confirmais cela par un signe de tête.
Est-ce que ça voulait dire qu'elle acceptait de m'avoir auprès d'elle ?
« Mais tu dois comprendre que mon travail est très important pour moi, et que je ne peux pas t'accepter comme ça, sans savoir ce que tu vaut. » Ajouta-t-elle.
« Qu'est-ce que je dois faire, dans ce cas ? » Demandais-je, ravi d'apprendre qu'elle envisageais bien la solution que je préférais.
Elle fouilla rapidement dans une de ses poches pour en sortir son téléphone portable. Et après quelques secondes passées à taper du doigt sur l'écran, je ressentis une vibration dans ma poche de costume.
« Je t'ai envoyé une adresse. Dès que tu as fini de travailler aujourd'hui, rejoins-moi là bas. » Expliqua-t-elle avec sérieux. « Enfin, passe déjà faire soigner ton œil, hein. »
« Qu'est-ce qu'on va faire, exactement ? » Dis-je pour en savoir plus.
Elle rangea son téléphone, puis me souriant de toutes ses dents, avec confidence, me dit :
« Je vais procéder à ton évaluation sur le terrain ! »