À peine avait-elle dit ce mot, que je comprenais enfin toute la situation.
Harceleur.
Quelqu'un qui suis vos faits et gestes en permanence, vous espionne, et peut même vous menacer.
Voire pire. Bien pire.
Ce seul mot m'avait fait comprendre la raison pour laquelle la cliente que nous avions en face de nous semblait si méfiante, notamment à mon propos.
Elle ne faisait confiance à personne, car virtuellement, n'importe qui pouvait être ce harceleur.
Et il m'était évident qu'elle faisait suffisamment confiance à la détective pour la faire entrer chez elle, accompagnée d'un homme qu'elle n'avait jamais vu avant.
Toutefois, cela démontrait également une autre chose : le désespoir dans lequel cette femme devait se trouver, pour devoir en arriver là. À recevoir deux inconnus dans son petit logement, en fin de journée, malgré le malaise qu'elle pouvait ressentir.
La détective me décocha un rapide sourire en coin, tandis que madame Munehara commença à raconter tout depuis le début.
« Au départ, je trouvais toujours un sac suspendu à la poignée de ma porte d'entrée, » expliqua-t-elle tout en lançant des regards nerveux vers ladite porte. « Il y avait toujours des fleurs dedans, et aucune carte pour savoir de qui elles venaient. Je me suis dit que peut-être, j'avais un admirateur secret qui les faisait livrer chez moi... »
La détective avait sorti entre temps son smartphone, prenant des notes directement avec un petit stylet. Il semblait qu'elle avait laissé tomber son carnet pour quelque chose de plus avancé sur le plan technologique. Et elle écrivait si vite, qu'il était impossible que ce soit la première fois qu'elle utilisait cette fonction. C'était probablement comme cela qu'elle prenait des notes lors d'une affaire.
« Vous avez vérifié avec la société de livraison qui pouvait être leur client ? » Demanda la détective.
La cliente secoua négativement de la tête.
« Ils ont refusé de me le dire, car c'est confidentiel… Ce qui m'a un peu déçue, alors j'ai arrêté de récupérer les fleurs, et j'ai laissé le sac pendu à ma porte... »
Madame Munehara remua nerveusement sur son coussin, visiblement mal à l'aise avec ce qu'elle racontait.
« Mais c'est là que c'est devenu bizarre. Pendant un moment, il n'y a plus eu de sac suspendu à ma porte. Je me suis dit que la personne avait peut-être laissé tomber... » Dit-elle. « Mais il y a deux semaines de ça, les choses ont soudainement pris une tournure inquiétante... »
Je voyais bien, qu'à mesure que son récit avançait, la femme nous faisant face perdait de plus en plus son calme. Comme si ce qu'elle racontait empirait sa peur.
« Je suis rentrée chez moi, et… Des fleurs étaient posées sur le sol, en plein milieu de la pièce. » Expliqua madame Munehara, ses mains tremblantes serrant sa tasse de thé.
C'était en effet inquiétant. Comment les fleurs avaient-elles pu se retrouver à l'intérieur ?
Même moi, qui ne comprenait pas toujours les gens, savait que la personne responsable avait très vraisemblablement pénétré par effraction à l'intérieur du logement où nous nous trouvions.
« Y avait-il quoi que ce soit de notable ou d'étrange vis-à-vis de ce jour, et des fleurs en question ? » Demanda la détective.
« Je… je ne pense pas… » Répondit madame Munehara. « Je suis rentrée comme à mon habitude, et tout était à sa place. La seule chose qui avait changé étaient les fleurs sur le sol... »
« C'est bizarre... » Dit alors la détective. « Vous avez fait changer la serrure après cela ? »
La cliente acquiesça d'un hochement de tête.
« Je ne voulais pas prendre le risque que la personne puisse rentrer à nouveau... »
« Vous avez fait changer la serrure… Mais… Y avait-il le moindre signe que la serrure avait été forcée ? » Demanda la détective.
« Non, je ne crois pas... » Répondit la cliente, quelque peu déstabilisée par la question. « J'ai toujours pensé que la personne était entrée par la fenêtre… Alors j'ai fait changer la serrure de la porte, et ajouter un verrou supplémentaire à la fenêtre. »
Oh. C'était en effet étrange. Car ça ne collait pas avec le fait que quelqu'un soit entré. Certes, la personne aurait pu passer par la fenêtre… Mais dans ce cas, pourquoi… ?
« Pourquoi avoir fait changer la serrure de la porte, alors que l'intrus est visiblement passé par la fenêtre ? » Demandais-je brusquement, sans me rendre compte que j'avais parlé plus vite que mes pensées.
J'avais peut-être été trop accusateur dans le ton de voix utilisé, car la cliente eut un léger mouvement de recul, tout en fronçant les sourcils. Peut-être pensait-elle que je doutais d'elle, ou pire, que je l'accusais de quelque chose.
Même la détective grimaça un peu en me lançant un regard plein de reproches. Mais rapidement, elle rassura la cliente.
« Ne vous en faites pas, il peut être un peu direct dans sa question, » dit-elle en me désignant du doigt ; « mais comme je vous l'ai expliqué, nous avons besoin de tous les détails possibles sur l'affaire... Même ceux qui peuvent vous sembler insignifiants.»
Madame Munehara me lança un regard confus, puis sembla rapidement oublier ma bévue.
Il était clair que la peur la poussait à continuer de nous parler. Et que la moindre parole plus haute que l'autre pourrait la faire sursauter.
« Le propriétaire m'a dit que c'était préférable, » précisa-t-elle en regardant la détective. « Que si la personne était entrée, elle avait peut-être pu copier le double des clés ; ou trafiqué la serrure pour pouvoir entrer même sans clé... »
La détective continua de prendre des notes avec frénésie, le stylet glissant rapidement sur l'écran de son téléphone portable. Il semblait aussi qu'elle envoyait des messages à une tierce personne en même temps que la discussion se poursuivait, sans que je sache à qui exactement elle parlait.
Mais madame Munehara n'avait pas encore tout dit sur la situation.
« Vous m'avez dit au téléphone que les choses avaient empiré, au cours de ces deux dernières semaines. Pourriez-vous m'en dire plus à ce sujet ? » Demanda la détective.
Cette fois, la cliente serra ses deux mains ensemble devant elle, ramenant la tasse près de son corps, et fixa avec l'inquiétude dilatant ses pupilles, la fenêtre qui donnait sur la cour. Toute ses craintes étaient cristallisées dans cette fine paroi de verre la séparant de l'extérieur.
« Depuis deux semaines… » Commença madame Munehara.
Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, que le téléphone fixe posé sur le mur près de l'entrée se mit à sonner. Ce qui fit sursauter la cliente, et lui fit tomber au sol la tasse qu'elle tenait toujours dans les mains.
La tasse ne cassa pas, grâce aux tatamis recouvrant le sol. Mais en retour, ils se retrouvèrent imbibés de thé.
Et son regard apeuré changea de cible et d'intensité, passant de la fenêtre au dit téléphone ; qu'elle regarda avec effroi.