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Chapter 19 - Dossier N°1: Des obsessions déplacées - Obscurité.

La réalisation m'avait heurté de plein fouet comme un poids lourd sans freins lancé à pleine vitesse sur une autoroute.

Jusqu'à présent, j'avais pensé que j'étais celui qui prenait tous les risques. Et que les risques en question étaient relativement ridicules. Ce n'était qu'une banale histoire de harcèlement, après tout.

Mais en quelques secondes, ma conception de l'affaire avait été brisée en mille morceaux.

La détective était en danger, et elle était seule. Et personne, à part le gamin que je tenais encore au sol et moi-même, ne savait ce qu'il était réellement en train de se passer.

Les riverains, et même les voisins immédiats au sein de la résidence, dormaient paisiblement. Et même ceux réveillés par le bruit de verre brisé ne se doutaient sûrement pas que quelqu'un se battait dans l'appartement à côté.

Personne ne lui viendrait en aide.

Personne…

À part moi.

Me relevant soudainement et libérant par la même le jeune homme que j'avais surpris, je me mis à courir vers l'entrée de la cour, puis le portillon de la résidence.

J'entendis le jeune homme crier quelque chose derrière moi, mais je ne compris pas ce qu'il disait, trop focalisé à courir le plus rapidement possible pour intervenir.

L'esprit embrouillé par la gravité de la situation, il me fallut plusieurs secondes avant de me rappeler correctement du code d'accès du portillon verrouillant l'accès aux logements. Mais une fois cet obstacle écarté, je me mis à monter quatre à quatre les marches de l'escalier vers l'étage, et courut dans le long couloir extérieur jusqu'à la porte de l'appartement de madame Munehara.

Tous mes sens en alerte étaient focalisés sur l'activité à l'intérieur du logement.

J'entendis un grand fracas, comme des meubles renversés ou bousculés, et un autre objet délicat fut réduit en mille éclats, le bruit cristallin parvenant très nettement à mes oreilles.

Des gens se battaient à l'intérieur, sans aucun doute, et déjà, je m'acharnais sur la poignée de la porte pour tenter de l'ouvrir. Sans aucun succès.

La personne qui était entrée dans l'appartement avait sûrement verrouillé la porte de l'intérieur, m'empêchant moi ou quiconque de pouvoir y pénétrer.

Entre temps, le bruit chaotique provenant de l'intérieur avait définitivement réveillé les voisins, qui, depuis leurs portes entrebâillées, me regardaient d'un air curieux et se demandaient ce qui se passait. Mais je ne leur prêtait pas attention, essayant de défoncer la porte en me jetant contre elle.

Une main se posa rapidement sur mon épaule, pour tenter une énième fois de forcer la porte, et me tournant sur le côté, vis que le jeune homme m'avait suivi jusqu'ici.

« Appelez la police ! » Cria-t-il à un des voisins, qui s'empressa d'aller chercher son téléphone.

J'allais me libérer de son étreinte, quand il m'écarta, et sortit à ma grande surprise une clé avec un porte étiquette bleu pour l'insérer dans la serrure de la porte.

Le bruit de lutte provenant de l'intérieur s'était soudainement tût, ce qui redoubla la sensation horrible que je sentais s'installer dans ma poitrine.

Pourquoi est-ce que mon cœur battait si fort ? Pourquoi est-ce que j'avais presque envie de vomir ?

Entre temps, le jeune homme avait déverrouillé la porte – dans la confusion, je n'avais même pas compris comment il avait pu avoir une clé permettant de déverrouiller cette porte en particulier – et je m'étais alors précipité à l'intérieur, dans le noir complet.

Immédiatement, je me figeais dans l'entrée, sans pouvoir voir plus loin que le bout de mon nez.

J'entendais derrière moi les voisins parler avec des voix affolées et inquiètes. Ils retenaient apparemment le lycéen à bouts de bras pour l'empêcher de me suivre à l'intérieur.

Sortant mon téléphone portable, je branchais la fonction lampe torche pour garder le flash en continu et pouvoir éclairer mon chemin ; reprenant ma progression dans le petit couloir desservant la salle de bain et la pièce principale.

Mon cœur battait tellement fort que j'en sentais la pulsation jusque dans mes oreilles. Et cette sensation me rendait malade au point d'en avoir la tête qui tourne.

J'étais réellement aux abois, essayant d'entendre le moindre petit bruit autour de moi, malgré les bavardages grandissants des voisins restés à l'extérieur de l'appartement. Mais l'endroit était désespérément silencieux. Comme s'il n'y avait jamais eu le moindre être humain avant mon arrivée.

Balayant de ma lampe improvisée la pièce dans laquelle je me trouvais enfin après avoir quitté le petit couloir de l'entrée, je vis alors quelque chose qui me fit m'arrêter net.

Une forme, allongée au sol.

Et y dirigeant ma lampe, je vis, à mesure que je la bougeais le long de la silhouette, des chaussures, un pantalon noir, une veste en cuir… Des vêtements que je reconnus comme étant ceux que portait la détective. Mais quelque chose n'allait pas.

Quelque chose… Était en trop.

Planté en plein milieu du torse de la détective, et traversant toutes les couches de vêtement, je vis un grand couteau de cuisine dont seul le manche dépassait.

La détective avait été poignardée, et ne bougeait plus.

Je restais interdit, comme si quelqu'un avait eu une télécommande contrôlant ma vie, et avait appuyé sur la touche 'pause'.

Qu'est-ce que je devais faire ?

Elle ne bougeait plus, et était étendue au sol.

Qu'est-ce que je devais faire ?

Pourquoi est-ce que cette scène me paraissait si familière ? Pourquoi est-ce que cela me mettait tellement mal à l'aise que j'allais probablement vomir ce que j'avais mangé ce midi ?

J'étais face à une situation qui avait totalement échappé à mon contrôle, et je n'étais même pas sûr de la marche à suivre dans ce genre de situation. J'étais trop confus et agité pour penser rationnellement ; si bien que je n'entendis pas le plancher craquer derrière moi.

« Attention monsieur ! » S'écria le lycéen derrière moi.

Son cri me fit revenir brusquement à moi, et me retournant, je vis une silhouette humaine se tenir entre moi et la porte d'entrée ; découpée par la lumière provenant de l'extérieur de la pièce. Mais la vision fut extrêmement brève, car la silhouette en question, après avoir arraché la clé de la serrure, ferma brusquement la porte d'entrée, nous plongeant tous les deux dans la pénombre la plus totale. Je n'avais pas à le voir, pouvoir savoir qu'il avait à nouveau verrouillé la porte à clé.

Et à ma plus grande horreur, j'entendis la personne courir sur le plancher, tout droit vers moi.

Braquant la lampe de mon téléphone vers elle, je pus éblouir et révéler le visage de la personne qui se ruait vers moi. Et vis au dernier moment que l'homme que j'avais en face de moi avait un couteau à la main, et s'apprêtait à me poignarder moi aussi.

Par pur instinct, je sautais sur le côté pour éviter le coup, mais l'homme parvint à me donner un coup d'épaule dans le bras, faisant voler en l'air mon portable.

Le petit faisceau lumineux tournoya dans les airs quelques secondes, pendant lesquelles j'évitais encore la lame brandie vers moi en reculant à chaque avancée de la lame. Mais par chance, mon téléphone tomba rapidement au sol quelques mètres plus loin, lumière dirigée vers le plafond.

Cette source inespérée de lumière me permit d'apercevoir les contours de la personne qui revenait à la charge, lame à la main. Je reculais encore, mais il parvint à m'entailler l'avant bras gauche, ce qui me fit horriblement mal et me brûla la peau. Évaluer les distances était beaucoup trop compliqué avec un seul œil, et me mettait à un franc désavantage, en plus de la pénombre. Et déjà, la lame se dirigeait vers mon torse.

Tant pis. Il fallait parer au plus urgent.

Levant les deux bras devant moi pour me défendre, j'attrapais malgré moi la lame, qui vit entailler la paume de ma main droite. Je vis avec horreur la couleur que je détestais le plus au monde sortir de la blessure, mais restais suffisamment lucide pour arrêter la lame en resserrant ma main dessus.

Ce qui surprit mon agresseur, incapable de bouger le couteau hors de mon emprise.

Il décida alors de lâcher l'arme entre mes mains, et de me donner un coup de pied dans les jambes, avant de me percuter de tout son poids.

Le geste, violent, me fit lâcher la lame du couteau et tomber en arrière ; dos contre le sol. L'arme, elle, tomba avec un bruit sourd par terre.

Le choc ressenti par mon crâne fut atténué par les tatamis recouvrant la pièce à vivre, mais pas suffisamment pour que je puisse réagir à temps et me relever ou ramper plus loin.

Mon agresseur prit tout son temps pour ramener le couteau tombé au sol, avant de s'avancer vers moi.

Alors… C'était comme ça que j'allais mourir ?

Est-ce que c'était vraiment comme ça que les choses allaient se passer ?

En y réfléchissant bien, tout ce qu'il avait fait de sa vie jusqu'à présent, ça n'avait pas été bien excitant. Enfin, s'il avait pu être amusé par quoi que ce soit.

Tout avait été 'ennuyant', comme l'aurait qualifié la détective.

Peut-être qu'il avait imaginé tout cela, finalement.

Peut-être qu'il avait halluciné, cette nuit où il avait croisé l'étrange femme pour la première fois.

Peut-être qu'elle avait pris pitié de lui, de son état de confusion, et avait joué le jeu pour éviter de le décevoir.

Mais ce n'était pas grave. Même si c'était une mauvaise blague, résultant d'une vision de son esprit, ce n'était pas grave. Ce n'était pas important, qu'il ait imaginé ou non ce qu'il avait vu sur cette route de montagne.

Parce qu'ils allaient mourir tous les deux, ici, dans ce petit appartement.

L'homme avançait vers moi, et même enfin maître de mes mouvements et reculant à tâtons sur le sol, je savais que je ne pourrais pas lui échapper. Il était déjà bien trop prêt, et mes options toutes trop limitées pour me permettre de simplement m'en sortir sans le moindre dommage.

Et les larmes ne vinrent même pas à mes yeux.

Je faisais probablement pitié à voir, à ne même pas savoir pleurer dans ce genre de situation, même si j'en avais envie.

Je… Me faisais pitié.

Je ressassais tellement toutes les choses que j'aurais pu essayer de faire avant de mourir, que je ne me rendis pas compte immédiatement que mon agresseur et futur meurtrier avait cessé d'avancer vers moi ; et qu'au lieu de me regarder, il avait la tête levée et fixait un point derrière moi.

Est-ce que je pouvais me risquer à regarder, moi aussi ? Ou devais-je prendre cette opportunité pour ce qu'elle était, et tenter le tout pour le tout ?

Non. Je ne devais pas hésiter.

Je commençais déjà à me pousser vers le haut en position assise en me servant de mes coudes puis de mes mains, et repliais mes jambes vers moi ; quand j'entendis un bruit juste derrière moi qui me figea moi aussi sur place.

On aurait dit… Un gémissement poussé par un être humain.

Comment cela se pouvait-il ?

La curiosité me fit abandonner tout projet de fuite, et tournant la tête pour voir ce qui se trouver derrière moi, je compris enfin ce qu'était la chose qui semblait effrayer mon agresseur.

Debout sur ses deux jambes, mais le torse bombé et penché en arrière, se tenait une figure humaine ; un couteau dépassant toujours comme un poteau téléphonique de sa poitrine

.

Je ne pouvais pas voir son visage, tellement elle était arquée en arrière, et ses deux bras pendaient mollement de chaque côté de son corps ; ses épaules à des hauteurs différentes rendant encore plus inquiétante la vision déstabilisante dont nous étions témoins.

Avec une lenteur presque irréelle, elle se redressa, petit à petit, en position droite ; bougeant ses épaules pour les remettre au même niveau et ramenant ses bras vers l'avant, tout en gardant sa tête penchée vers l'arrière.

Puis, abaissant enfin sa tête, elle fixa de son regard froid et terne l'homme qui se trouvait encore en face de moi, couteau à la main.

C'était la première fois que je la voyais faire cette expression, avec ces yeux qui semblaient à la fois vous juger, et vous mépriser. Des yeux qui avaient perdu leur éclat pétillant, et semblaient à présent ternes. Sans vie.

Et toujours en dévisageant l'homme armé, elle dit, avec un ton passablement énervé :

« Hé, enfoiré, ça fait mal, ça... »