En retournant vers le bâtiment, un homme d'âge mûr croisa notre chemin. Il devait avoir la quarantaine, et était habillé de façon décontractée, avec un magazine roulé sous le bras. Et immédiatement, il vint à notre rencontre.
« Bonjour, je peux vous aider ? »
Étrange question, qu devait plutôt se traduire par 'qui êtes vous ?' et 'que faites-vous là ?'.
Immédiatement, avant que je ne puisse dire quoi que ce soit – et croyez-moi, je n'aurais probablement pas dit grand chose – la détective s'avança et nous présenta.
« Nous sommes des amis de Munehara-san, » dit-elle.
« Oh, la dame qui vit à l'étage ? » Demanda l'homme.
« Et vous êtes ? » Demanda-t-elle en retour.
Il se passa rapidement la main dans les cheveux, comme pour cacher sa gêne. Il plissa également des yeux, comme si la lumière provenant de l'éclairage du bâtiment le gênait.
« Ah, excusez-moi. Je suis Yoshikawa Kai, le propriétaire de la résidence, » se présenta-t-il en inclinant légèrement sa tête en avant.
« Ravie de vous rencontrer, Yoshikawa-san, » sourit-t-elle.
J'inclinais légèrement la tête sans dire un mot, pour aussi me montrer poli.
« Munehara-san nous as dit que vous l'aviez conseillée, lorsqu'il y a eu une entrée par effraction dans son logement, » ajouta-t-elle avec un calme naturel. « Nous tenons à vous remercier pour ça. »
« Ah, ce n'est rien, vraiment ! » Sourit-il en essuyant ses mains sur son pantalon, avant de les poser sur ses hanches. « Je suis surtout rassuré que ça ne soit pas allé plus loin ! »
« Vous êtes donc au courant de toute l'histoire ? » S'étonna-t-elle en portant une de ses mains devant sa bouche.
Faussement étonnée, bien entendu. Quel jeu d'actrice.
Je me demandais pourquoi elle mentait comme cela. Est-ce que c'était parce que son métier exigeait d'elle une certaine discrétion ?
Si c'était le cas, je devrais lui dire à quel point j'étais impressionné. Car elle arrivait à mentir avec un sang froid impeccable.
«En effet, malgré moi... » Répondit-il un peu gêné.
Il semblait ne pas trop apprécier d'aborder le sujet présent, au vu de sa réaction. Peut-être n'aimait-il pas le fait qu'une telle histoire se soit produite dans sa résidence.
« Mais dites-moi, vous avez pensé à renforcer la sécurité ? » demanda la détective, en montrant derrière le propriétaire le portail condamnant l'entrée vers les couloirs des habitations.
« Renforcer la sécurité ? Pourquoi ? » S'étonna-t-il. « C'est pas comme si ce type allait revenir, à offrir des fleurs comme ça... Je pense qu'il a dû comprendre qu'il était indésirable... »
« Sûrement... » Concéda-t-elle en souriant légèrement.
Qu'est-ce qu'elle avait voulu dire par là ?
Sur le coup, la remarque me parut étrange.
Mais déjà, l'homme avait de nouveau à faire. Il avait tourné la tête, son regard attiré par quelque chose derrière nous.
« J'arrive Yashima-san ! » S'écria-t-il en voyant une vieille femme entrer dans la cour en traînant un caddie de courses en tissu. Puis, se tournant vers nous, il ajouta rapidement : « Ne traînez pas trop par ici le soir, il y a parfois des gens un peu louches qui traînent ! »
« Ne vous en faites pas, nous partons dans quelques minutes. » Répondit la détective. « Nous voulions nous assurer que Munehara-san allait bien, alors nous avons fait le chemin depuis la préfecture d'Ibaraki, alors nous avons encore beaucoup de route pour rentrer. »
« Je vois... Faites bonne route dans ce cas ! » Dit-il rapidement, avant de se mettre à courir vers la vielle femme et son caddie de courses.
Une fois qu'il fut assez loin, je me permis de poser une question.
« Pourquoi mentir sur qui nous sommes ? » demandais-je.
Elle se mit alors à légèrement pouffer de rire, avant de tapoter gentiment mon dos.
« Tu en poses de ces questions, toi ! » Dit-elle en souriant. « Un détective doit passer inaperçu et ne pas dévoiler son identité si possible, afin de pouvoir rester efficace dans son métier. »
Donc, c'était bien pour rester discrète qu'elle avait menti.
« Et tu sais, on a tendance à se présenter trop facilement dans notre société, » observa-t-elle, « et à tout révéler sur nous à n'importe qui. »
Pas faux. Moi-même, j'avais pris l'habitude de me présenter avant même que l'autre personne le fasse. Sûrement parce que mon métier exigeait aussi d'etre au contact de nombreuses personnes.
Cela expliquait peut-être aussi le fait que sa carte de visite ne comportait aucune information notable à son sujet. Et donc, le fait que je ne connaissais toujours pas son nom.
Ce qui eut pour effet de me rendre d'autant plus curieux.
« Bon, allons rapporter à Munehara-san ce que nous avons trouvé jusqu'à présent, » dit-elle avant de s'avancer vers le portail.
Nous étions à peine revenus dans le petit appartement, que déjà, madame Munehara nous pressait de questions. Elle voulait savoir si nous avions trouvé quelque chose ; si nous avions déjà une piste ; et même s'il y avait déjà des suspects.
La détective lui avait alors répondu calmement que l'enquête suivait son cours, et que tout ce que nous pouvions faire pour l'instant, était de patienter. D'attendre.
Mais à attendre quoi, exactement?
J'étais un peu perdue quant à sa façon de travailler. N'aurait-il pas été mieux d'essayer d'attraper sur le moment la personne qui nous avait observés ?
À moins qu'elle ne pensait pas être capable de l'attraper pour sûr, étant donné la distance qui nous séparait ?
Ou peut-être encore, qu'elle voulait le prendre sur le fait, la main dans le sac ?
Pour être honnête, je n'avais absolument aucune idée de ce qu'elle pouvait penser pour le moment, et je n'avais pas non plus été plus curieux que cela. Sans quoi, j'aurais très bien pu lui poser mille questions.
Mais pour l'instant, elle terminait de lire les messages qu'elle avait reçus sur son téléphone. Et j'étais peut-être un peu vexé d'être laissé en dehors de la confidence.
À présent assis avec la détective à mes côtés, je commençais un peu à me perdre en détaillant pour la énième fois le petit appartement.
Je lisais les titres des livres entreposés sur la petite bibliothèque, et devant lesquels une fine couche de poussière s'était déposée sur l'étagère. Ils semblaient tous traiter de sujets pointus comme l'aérodynamique, la physique, ou encore les modèles de flux humains. Peut-être que la cliente travaillait en tant qu'ingénieure dans une entreprise offrant des services au public ?
Mais rapidement, mon regard vagabonda jusqu'à un autre angle de la pièce, où je pouvais apercevoir une grande veste en cuir beige, soigneusement suspendue à un crochet de porte-manteau.
Et déjà, je regardais encore à un autre endroit.
Je ne savais pas trop pourquoi je trépignais autant d'impatience ; si c'était le contexte particulier dans lequel nous nous trouvions, ou si c'était parce que j'espérais expérimenter de nouvelles choses.
Pour madame Munehara, en tout cas, c'était tout le contraire. Elle ne voulait pas voir cette situation s'éterniser, et même nous avoir dans son logement la mettait à présent mal à l'aise. Un peu comme si elle avait un mauvais pressentiment, je suppose.
« Qu'est-ce qu'on attends, au juste, » Demandais-je en chuchotant à la détective assise à mes côtés.
Entre temps, la nuit était enfin complètement tombée sur la ville, et il était presque impossible de voir quoi que ce soit dans les zones obscures que n'atteignaient pas l'éclairage public ou les lampes accrochées sur la façade du bâtiment pour éclairer la cour.
« J'ai besoin de vérifier quelque chose, » Dit-elle sans élaborer plus sa réponse. Puis, se tournant vers moi, elle ajouta : « Mais dis moi, je te trouve étonnamment calme. Tu as toujours été comme ça ? »
Quelle question.
Je n'étais en effet pas du genre à exprimer ce que je ressentais. Et je n'osais pas non plus commencer une discussion, quand je n'y étais pas contraint. Il était donc normal que je paraisse « calme » aux yeux de n'importe qui.
Et comme si elle avait deviné ma pointe de sarcasme, elle ajouta rapidement :
« Ce n'est pas un mal d'être discret. Mais je dois avouer que tu m'intrigues vraiment, Nijima-kun, » dit-elle en souriant discrètement. « Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi silencieux et prêt à me suivre partout sans broncher... »
Ah, ça, je pouvais l'expliquer. Enfin, pas de vive voix.
C'était probablement de la convoitise, alliée à du désespoir, qui m'avait poussé à rester auprès d'elle sans poser de questions.
Elle me semblait réellement être la seule piste concernant mes émotions. Aussi bizarre et intrigante soit-elle.
« Je pensais honnêtement que tu arrêterais de vouloir 'passer du temps' avec moi, avec cette histoire d'évaluation... » Avoua-t-elle à demi-mot. « Mais plus je te vois agir, et plus je te trouve intéressant à observer. C'est rafraîchissant. »
Rafraîchissant ? Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ?
« Est-ce que ça veut dire que vous m'autorisez à rester à vos côtés ? » Demandais-je avec une étrange sensation d'étranglement parcourant ma gorge.
« Hum... ça reste encore à voir... » Dit-elle pensivement. « Il te reste encore une chose à savoir à mon sujet, pour que tu puisse prendre cette décision. »
Parce que la décision me revenait, au final ? N'était-ce pas elle qui était censée m'observer et me jauger pour accepter ou non que je la côtoie ? Ou peut-être avais-je mal compris le but de sa démarche ?
Peut-être que ce n'était pas seulement elle qui m'évaluait, mais également moi, qui devait l'évaluer en retour ?
Toutefois, je n'eus pas le temps de lui demander autre chose, que le téléphone fixe de madame Munehara se mit à sonner.
Il était déjà près de 21h, alors je me doutais qu'il ne s'agissait pas d'un démarcheur, ou d'un ami l'appelant.
C'était probablement cet appel, que la détective attendait depuis tout à l'heure. Car déjà, elle était debout, et s'était postée devant le combiné, avant même que la cliente n'ait le temps de décrocher.
Mais sachant qu'elle était pétrifiée de peur, elle n'aurait probablement pas décroché du tout.
La détective me fit signe en mettant un doigt devant ses lèvres de garder le silence, et demanda d'un signe de la main à madame Munehara de s'approcher.
Cette dernière s'exécuta, avec réticence, et une fois arrivée aux côtés de la détective, prit le téléphone en main.
Elle appuya deux fois sur un bouton, décrochant l'appel et mettant le haut parleur en marche pour que nous puissions entendre toute la conversation.
Si conversation il y avait.
Car les secondes s'écoulaient, et personne ne parlait à l'autre bout du fil.
« A... Allô ? » Se risqua à dire madame Munehara.
Et enfin, une voix répondit.
« Ce sont vos amis, avec vous ? » Demanda une voix d'homme.
Enfin, pas vraiment une voix 'd'homme'. Peut-être de jeune homme, ou même d'adolescent. C'était un garçon qui parlait, mais il ne devait pas être très âgé, ce qui me surprit non seulement moi, mais également la détective.
Mais si nous étions surpris par la voix en elle-même, madame Munehara, elle, était surprise par la question qui lui avait été posée.
« C... Comment ? » Parvint-elle à dire, déstabilisée.
« Peu importe... » Dit la voix, ignorant l'état mental de la femme à qui elle s'adressait. « Vous devez partir. Vraiment partir. »
Puis, d'un coup, la communication coupa, nous plongeant dans un silence inconfortable ponctué d'un bip sonore provenant du combiné. Preuve que l'interlocuteur avait soudainement raccroché.
Et presque aussitôt, madame Munehara tomba au sol, ses jambes se dérobant sous elle. Ses nerfs avaient été mis à rude épreuve, et la détective s'empressa d'aller chercher un verre pour lui donner un peu d'eau.
« Je sais que vous êtes encore choquée, et que ça ne va pas, » dit la détective en s'accroupissant auprès de sa cliente, tandis que cette dernière buvait quelques gorgées d'eau ; « mais j'ai besoin de savoir une dernière chose. »
Une dernière chose ? La formulation était plutôt étrange.
« À part pour aujourd'hui, la personne qui n'arrête pas de vous appeler n'a jamais rien dit d'autre que 'partez', pas vrai ? » Demanda-t-elle.
Madame Munehara resta interdite un instant, comme si la question lui paraissait incongrue et sortie de nulle part. Mais elle finit par hocher de la tête pour confirmer cette hypothèse.
À vrai dire, c'était également mon ressenti.
Pourquoi demandait-elle cela, sachant qu'on avait déjà parlé des appels plus tôt dans la soirée ?
Elle semblait vouloir s'assurer de quelque chose, mais de quoi ?
La détective prit alors le verre des mains de sa cliente, et après l'avoir posé à côté d'elle sur le sol, prit les mains de madame Munehara dans les siennes.
« Je vais résoudre votre affaire, » lui sourit-elle avec sollicitude.