« Je veux que vous me fassiez ressentir des choses. »
J'avais dit cela en toute honnêteté, et sans hésitation.
Alors pourquoi est-ce qu'elle me regardait avec autant d'effroi, tout à coup ?
« PARDON ?! » S'écria-t-elle avec dégoût en ayant un vif mouvement de recul. « J'ai dit 'n'importe quoi', mais sûrement pas ce genre de choses ! »
Ah.
Je me rendis compte qu'il devait y avoir méprise sur le véritable sens de mes paroles. Il fallait que je précise ce que je voulais dire par là. Sans quoi, elle risquait de se faire une mauvaise opinion de moi.
« Non, attendez… Je ne sais pas ce que vous allez imaginer, mais ce n'est pas aussi horrible que ça. » Dis-je rapidement pour éclaircir la situation.
Ce qui, au contraire, empira les choses.
« C'est bien ma veine ! Tomber sur un vrai détraqué! » S'écria-t-elle avec choc.
C'était vraiment pas sympa de dire ça, surtout que c'était elle qui comprenait tout de travers. Et la discussion était en effet en train de dépeindre une mauvaise image de moi.
« Laissez-moi m'expliquer... » Dis-je en commençant à contourner la table basse.
Ce qui la poussa à se lever à son tour.
Je fis un pas en avant, et elle fit un pas en arrière.
Elle tentait visiblement à se tenir à une certaine distance de moi.
Étrange…
Je fis à nouveau un pas en avant. Et elle fit à nouveau un pas en arrière.
Est-ce qu'elle…
Avait peur de moi ?
Aussitôt, je regardais sa posture, et son attitude. C'étaient les seules choses qui pouvaient me permettre de jauger l'état mental de quelqu'un. Un peu comme une liste d'éléments qui, additionnés les uns aux autres, indiquaient certaines émotions chez la personne que j'observais.
Des sourcils légèrement arqués, et une bouche ouverte en une fine fente sombre. Comme si elle essayait de réprimer un cri, tout en contrôlant une lente et profonde respiration.
Un pied tourné vers moi, et un autre légèrement sur le côté, comme si elle était prête à courir au moindre signal douteux de ma part.
Deux mains relevées vers son torse, légèrement serrées sous forme de poings. Signe qu'elle tentait inconsciemment d'ériger une barrière physique entre nous.
Elle avait vraiment peur de moi.
Voyant qu'elle ne me laisserait sûrement pas approcher plus – du moins, jusqu'à ce que ce malentendu ne soit résolu – je pris la décision de reculer sans dire un mot, avant de me rasseoir calmement devant le kotatsu.
Mon soudain silence, allié à ce mouvement de recul de ma part, suffit à la rassurer ; car ses épaules se décrispèrent, de même que ses poings.
Puis, elle finit par laisser retomber ses mains de chaque côté de son corps, avant de froncer les sourcils tout en penchant très légèrement la tête sur le côté.
Elle était manifestement confuse ; et attendait à présent que je sois celui qui prenne la parole en premier.
La fixant de mes yeux inexpressifs soulignés de grandes cernes, je m'exécutais, et tentais d'éclaircir la situation présente.
« Est-ce que vous avez remarqué quelque chose à mon sujet, depuis que nous avons commencé à parler ensemble ? » Demandais-je tout en continuant d'observer son comportement.
La question sembla la prendre au dépourvu. Pas parce qu'elle n'avait rien observé – elle avait montré être suffisamment maline et vive d'esprit pour écarter cette possibilité – mais parce qu'elle ne s'attendait pas à ce que je lui pose une question ; au lieu de m'expliquer directement.
Toujours debout au même endroit, elle réfléchit un instant, comme pour revoir dans son esprit toute la conversation passée, puis…
« Tu es bizarre, » dit-elle sans aucune hésitation en me regardant droit dans les yeux.
« Mais encore ? » Dis-je avec insistance.
« Tu ne parles presque pas, et visiblement pas parce que tu n'es pas très bavard, mais plutôt parce que tu as du mal à t'impliquer dans une conversation, » observa-t-elle.
Je hochais de la tête en signe d'approbation. Elle avait bien remarqué ce détail, malgré le fait que je tentais de dissimuler ce genre de choses.
« J'ai un problème... » Dis-je tout en me désignant moi-même du doigt.
« On a tous des problèmes... » Soupira-t-elle avec légèreté.
C'était là le signe qu'elle plaisantait.
Une réaction qui montrait bien qu'elle ne semblait plus avoir peur de moi, à présent. Mais cela voulait également dire qu'elle m'invitait à continuer de parler.
« Je pense que vous êtes celle qui peut m'aider à résoudre ce problème... » Expliquais-je.
Les mots 'résoudre un problème' la firent réagir, car elle fut tout à coup très intéressée et s'avança pour venir s'asseoir précipitamment en face de moi.
Et quelques secondes plus tard, elle avait à nouveau son carnet et un stylo à la main ; une expression sérieuse sur le visage.
« Est-ce que ce problème implique de suivre quelqu'un ? Ou de mener une enquête ? » Demanda-t-elle avec des yeux pétillants de curiosité.
Elle pensait peut-être que je voulais faire appel à ses services en tant que détective privé.
J'avais besoin d'elle, oui. Mais pas de cette façon. Pas comme elle l'imaginais.
Je secouais négativement la tête, ce qui lui fit immédiatement abandonner sa bonne humeur pour une expression plus terne, et déçue.
Je l'entendis même claquer sa langue, visiblement ennuyée ; avant qu'elle ne se mette à observer ce qui se passait à l'extérieur par la fenêtre derrière moi.
« À propos de ce que j'ai vu hier... » Dis-je pour attirer son attention. « Je ne sais pas vraiment ce que j'ai pu voir, mais je sais que vous ne voulez pas que j'en parle… »
Cela fonctionna, car immédiatement, elle reporta son regard vers moi.
« Si c'est ce que vous voulez, je suis d'accord. » Ajoutais-je. « Je ne dirais rien... »
Elle fronça un peu plus les sourcils, n'aimant pas la direction que prenaient mes paroles.
Et comme pour maintenir son calme et éviter de s'énerver envers moi, elle prit une tasse en céramique colorée et y versa du thé gardé chaud jusqu'à présent dans la bouilloire électrique.
« Mais ? » Releva-t-elle très justement tout en penchant sa tête légèrement en arrière. « Vous voulez que je vous aide à résoudre votre 'problème' en échange, pas vrai ? »
Au moins, nous étions sur la même longueur d'onde. Je savais ce qu'elle voulait, et elle savait également ce que je souhaitais en retour.
« Et donc, quel est le problème ? » Demanda-t-elle tout en portant la tasse à ses lèvres.
Je n'en avais pas vraiment parlé à qui que ce soit jusqu'à présent ; à vrai dire. Les seules personnes qui connaissaient réellement mon affliction étaient mes parents, ainsi que les divers médecins que j'avais croisés au cours de ma vie. Et jusqu'à présent, il n'y avait jamais eu aucun signe d'amélioration. Enfin, jusqu'à hier soir.
Alors, si c'était ma seule chance, il fallait que je la saisisse.
La regardant droit dans les yeux, je dis :
« Je suis un zombie. »