« je suis persuadée que nous avons les mêmes sentiments. »
Hana lança un regard inquisiteur accompagné d'une grimace à Mari, poussant la femme plus âgée à clarifier ses propos au plus vite.
« Ah, je veux dire, pas comme ça ! Je n'ai pas de sentiments pour le Chef ! » Répondit rapidement Mari, luttant pour sortir une phrase cohérente.
Elle en laissa même son pot de glace à ses côtés sur le banc, pour agiter avec énergie ses bras et contredire physiquement ce que la jeune femme pensait.
Cela sembla fonctionner, car le visage d'Hana finit par se relaxer.
Mari soupira longuement, ayant pu éviter de justesse une crise.
Le Chef Kobayashi était définitivement un sujet délicat à aborder.
« Ce que je veux dire... » reprit Mari en souriant, « c'est que je peux me voir en toi. »
Cela sembla intéresser Hana, qui était devenue curieuse.
Qu'est-ce que Mari voulait dire par là ?
Est-ce que elle aussi, elle… ?
« Tu n'es pas tombée amoureuse de lui aujourd'hui, n'est-ce pas ? » Demanda Mari, avec une voix à peine audible.
Hana hocha simplement de la tête pour lui répondre. Sans un mot.
Mari retomba lentement en arrière, pressant son dos contre le dossier du banc sur lequel elles étaient assises ; et assez lentement pour éviter de renverser sa glace en train de fondre. Elle coiffa derrière son oreille gauche quelques mèches de cheveux, montrant au passage des ongles parfaitement manucurés arborant des motifs de fleurs mignons et colorés. Elle dévoila par le même geste que son oreille n'était pas percée, et donc, qu'elle ne portait pas de boucle d'oreille. Ce qui était plutôt étrange et inhabituel, surtout pour une femme qui avait l'air de suivre toutes les tendances et les dernières modes.
Hana détourna alors le regard vers sa glace au caramel et à la menthe. Elle avait eu envie de manger quelque chose de sucré, sans que ce soit extravagant.
« Tu l'as rencontré avant aujourd'hui, et, va savoir pourquoi… » Continua Mari. « Tu as voulu le revoir, quitte à venir exprès travailler dans notre compagnie ? »
Mari semblait également se remémorer des choses que elle seule connaissait, montrant un visage amer et nostalgique.
Sa déduction avait été juste, et cela rappela à Hana tous les entretiens d'embauche qu'elle avait dû passer, pendant plus de six mois. Elle avait été recalée plusieurs fois, mais au bout du compte, on l'avait embauchée. Elle n'était pas sûre d'avoir à un moment souhaité abandonner. Mais si ça avait été en effet le cas, elle était heureuse de ne pas avoir abandonné jusqu'à présent.
« Je ne sais pas si tu pourras réellement tenir le coup, avec un travail aussi exigeant... » Réfléchit à haute voix Mari. « Sans parler du fait que la personne qui t'intéresse n'est pas quelqu'un de facilement approchable… Est-ce que tu es déjà sortie avec quelqu'un, Hana-chan ?»
Mari tourna son regard vers la jeune femme, et s'attendait à la voir un peu déprimée par ses mots, mais il n'en fut rien. Hana se contenta de sourire, tout en secouant sa tête pour lui répondre « non ».
Hana ne pouvait ressentir qu'un certain attachement pour son aînée, qui était plutôt attentionnée avec elle. Elle appréciait l'attention et l'inquiétude qui lui étaient adressées. Ce qui la fit se sentir encore plus résolue et sûre d'elle.
« Hum… ça me rassure... » Dit Mari tout en se levant du banc.
Hana lança un regard interrogatif à Mari. Cette dernière dut encore préciser ce qu'elle voulait dire par là. La jeune femme n'était pas très douée pour détecter les sujets de conversation abstraits.
Prenant les mains d'Hana dans les siennes, Mari la fixa d'un regard confident, et sourit tendrement.
« Je suis rassurée que tu sois quelqu'un qui ne semble pas avoir froid aux yeux, Hana-chan. » Avoua Mari. « Il n'y a rien de plus dur que de résoudre ses propres affaires de cœur. Surtout quand on a pas ou peu d'expérience là-dedans... »
Mari resserra alors sa pression sur les mains de la jeune femme, comme pour insister sur ce qu'elle allait dire par la suite.
« Mais je suis persuadée que si c'est toi, tu y arriveras. »
Hana se sentit envahie par une sensation étrange. Elle frissonna, et il lui sembla que son cœur battait plus fort. Ses mains semblaient chauffer, comme sa poitrine. Était-ce là ce qu'on appelait nouer une relation avec quelqu'un ?
Et plus que ça, était-ce ce qui s'approchait le plus d'avoir une amie ?
Elle n'en était pas très sûre, et ce n'était que son premier jour. Il était donc trop tôt pour que quoi que ce soit puisse être décidé, et fixé à l'avance.
Se faire des amis était imprévisible en soi. Ce n'était pas quelque chose de planifié, de prévu ; mais quelque chose qui arrivait par hasard. Un heureux hasard.
Les amis les plus importants qu'on pouvait se faire avaient tous le même point commun, après tout : on se se souvenait jamais comment ça avait commencé, et ça avait peu de chances de se terminer un jour.
'T'approche pas. Je veux rien avoir à faire avec toi. Il faut que je te le dise comment pour que tu comprenne ?'
Ces paroles blessantes lui étaient revenues à l'esprit.
Les amitiés les plus importantes avaient peu de chance de se terminer, c'était vrai.
Mais il était aussi vrai, que lorsqu'elles se terminaient éventuellement, ce n'était pas sans conséquences, ni dans le calme.
« Mais si tu as besoins de conseils, n'hésite pas ! » Déclara Mari en posant son pouce sur sa poitrine pour se désigner elle-même. « Je suis sortie avec beaucoup d'hommes, donc de ton point de vue, je pourrais être une experte en relations ! »
Une experte en relations ? Est-ce qu'un tel titre pouvait vraiment exister ? Hana était curieuse de savoir quel genre de conseils son aînée pourrait lui donner. Mais quelque chose d'autre la rendait encore plus curieuse sur le moment.
« Qu'est-ce que tu veux dire par le fait que tu te vois en moi, Mari-san ? » Demanda finalement Hana.
Cette fois, Mari afficha un sourire malin et amusé. Et pointant un index vers Hana, Mari l'abaissa plusieurs fois, comme si elle appuyait sur un bouton ou un mur imaginaire, en même temps qu'elle répondit :
« C'est. Un. Se. Cret. » Articula-t-elle très clairement.
Puis, levant ce même index pour l'apposer sur ses lèvres roses, elle ajouta pensivement :
« Je suppose que le découvrir par toi-même pourrait être un bon entraînement ? »
Les deux femmes jetèrent leurs coupes en carton vides dans la poubelle la plus proche, puis, inquiète, Mari ajouta :
« Mais tu sais, Hana-chan... » Dit-elle en rebroussant chemin vers leur lieu de travail. « Tu devrais t'abstenir de dire ou de montrer trop de choses personnelles à ton sujet… Tout le monde n'est pas aussi gentil que toi. Ou que Ren-kun, Yuuto-kun, ou moi-même… »
Il lui semblait que la jeune femme marchait derrière elle, ce qui l'encouragea à parler un peu plus.
« Le monde des adultes est bien plus terrifiant que celui des enfants. Il est bien plus cruel, et les personnes réellement dotées de bonnes intentions sont rares… Et la gentillesse apparente peut aussi cacher des choses mauvaises... »
N'entendant plus les pas de la jeune femme faire écho aux siens, Mari s'arrêta, pour se retourner vers Hana.
Elle fut surprise de constater qu'Hana ne la regardait pas et lui montrait son dos. La nouvelle recrue faisait face à la direction opposée, regardant quelque chose au loin. Mais Mari ne vit pas immédiatement quoi que ce soit qui puisse attirer à ce point l'attention d'Hana, qu'elle en oublie ce qui l'entoure.
Peut-être de l'autre côté de la rue principale ?
Curieuse de savoir ce que Hana était absorbée à regarder si intensément, Mari suivit le regard contemplatif de la jeune femme, et trouva ce qu'elle regardait : le chef Kobayashi, marchant côte à côte avec le chef adjoint Ogawa.
Elle ne pouvait pas voir l'expression d'Hana, de là où elle se trouvait.
Pourtant, elle se souviendrait sûrement longtemps du ton douloureux et triste avec lequel la jeune femme parla, lorsqu'elle prononça deux mots simples mais pourtant importants :
« Je sais. »