« Alors, Shinohara-san, ça te dirait de venir manger avec nous ce midi ? »
Hana leva la tête vers l'arrière pour voir qui venait de lui parler, et se retrouva à regarder un homme qu'elle n'avait jamais vu avant se tenir juste derrière elle.
Ce n'était que son deuxième jour, et elle n'avait pas non plus fait connaissance avec tous les employés de l'entreprise. C'était une évidence, quand vous travailliez dans une structure aussi grande depuis aussi peu de temps.
Mais même avec cela, elle avait tout de même en tête les visages de toutes les personnes travaillant au huitième étage. Et cet homme, avec ses cheveux noirs mi-longs parfaitement séparés en deux franges égales, et ces yeux fins, n'en faisait certainement pas partie.
La soudaine question avait également rapidement attiré l'attention de Mari et de Yuuto, qui avaient rapidement jeté un regard curieux à l'homme venu interrompre leur travail.
« Pardon ? » Répondit Hana, déstabilisée.
C'était vraiment bizarre de se faire interpeller de la sorte par quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Elle n'avait pas l'habitude de ce genre de choses.
Mais cela ne découragea pas l'homme en face d'elle.
« Ah, je suis Kubo Touma, du Département Véhicules ! » Se présenta-t-il rapidement.
Hana hocha légèrement de la tête, et il réitéra sa proposition.
« Alors, tu voudrais venir manger avec nous ce midi ? » Demanda-t-il en souriant. « Nous allons encore faire un repas avec les internes de tous les départements, et il me semble ne pas t'avoir aperçue parmi eux hier. »
Oh, c'était donc ça.
Maintenant qu'elle y pensait, cet homme qui avait le même âge qu'elle – Morimiya, si elle se souvenait bien – avait parlé de ça la veille. Mais elle avait senti qu'elle n'avait pas vraiment besoin d'y aller, sur le moment.
Pourtant, on l'invitait à présent à y participer.
Cela lui fit plaisir, mais elle préférait également rester avec Mari, Yuuto et Ren.
Aussi, elle s'apprêtait à répondre, lorsqu'une voix grave retentit dans l'étage.
« Shinohara ! C'est pas le moment de rêvasser ! » Gronda sans même se lever le chef Kobayashi depuis son bureau.
Mais même sans être levé, Hana pouvait voir son regard énervé au dessus de la cloison en plastique. Il était vraiment grand, après tout.
Mais Touma ne fut pas impressionné. Peut-être était-il habitué, en tant qu'employé plus ancien, à ne plus faire attention aux remontrances de Kobayashi.
« On ne fait que rapidement discuter, Chef Kobayashi. » dit-il.
Et presque immédiatement, une sorte de malaise emplit l'air.
Hana comprit alors que ce type venait de marcher sur une mine, avec son attitude irrespectueuse.
Car quelques secondes plus tard, Kobayashi Shinsuke était debout, avec les sourcils tellement froncés, que plus aucun doute n'était permis. Ce gars allait se prendre une gueulante de première.
« Hé Kubo, tu ferais mieux de bouger ton cul et de retourner à ton étage si tu veux pas voir ta paie diminuer ce mois-ci ! » Menaça Shinsuke.
Touma se tourna alors vers le Chef Kobayashi, et sourit légèrement en plissant les yeux.
« Ah, désolé Chef Kobayashi ! » S'excusa-t-il rapidement.
Puis, se baissant vers Hana, il dit en chuchotant :
« Tu me diras ça par email, d'accord ? »
Hana n'eut pas le temps de lui répondre, que Kobayashi cria une nouvelle fois.
« KUBO ! SHINOHARA !» Hurla Shinsuke depuis son bureau, ce qui fit sursauter Hana sur sa chaise.
L'employé du Département Véhicules ne demanda pas son reste et se dirigea rapidement vers l'ascenseur pour quitter l'étage le plus rapidement possible ; laissant la jeune femme seule face à un supérieur irrité.
Ah, pourquoi ?
Ce type pouvait s'éclipser à tout moment parce qu'il n'était pas de cet étage, mais Hana, elle, devait rester jusqu'à 18h ce soir.
Alors pourquoi avait-il énervé encore plus le Chef Kobayashi, au lieu de partir sans rien dire ?
Et pourquoi le Chef Kobayashi s'énervait-il autant ? Les gens n'arrêtaient pas de discuter entre eux pendant toute la journée. Est-ce qu'il s'était autant énervé envers elle à cause de Kubo Touma, ou à cause d'une raison particulière qu'elle ignorait ?
« Tch ! Quel abruti... » Pesta silencieusement Yuuto, de façon ce que seuls Hana, Mari et Ren l'entendent. « Shinohara-san, surtout, reste bien loin de ce type. C'est un vrai aimant à problèmes. »
Pendant un instant, elle avait pensé qu'il parlait du Chef Kobayashi, mais quand elle vit que Yuuto secouait légèrement la tête vers les ascenseurs, elle comprit qu'il voulait parler du trouble-fête qui était venu s'incruster à leur étage.
Elle soupira.
Elle n'avait eu qu'un aperçu minime de ce type, mais déjà, cela avait été des mauvaises nouvelles pour elle. Et c'était déjà bien assez pour elle.
Pris par la curiosité, Yuuto jeta alors un coup d'œil à l'écran de la jeune femme, qui était entièrement occupé par une feuille de calcul Excel.
« Uwah ! » S'exclama-t-il avec dégoût, tout en réprimant le volume de sa voix pour que le moins de personnes ne l'entendent. « C'est quoi ça ?! »
Hana fut un peu surprise par le soudain petit cri, mais une fois revenue à elle, se sentit obligée d'expliquer au jeune homme ce qu'elle était en train de faire.
« Je suis en train de compiler toutes les souscriptions et les résiliations du mois, avec le montant de chaque contrat pour calculer le bénéfice actuel, » expliqua-t-elle.
« Sérieux ? Dès ton premier jour ? » s'étonna Yuuto.
Puis, comme perturbé par cela, il tapa avec son pied sur le séparateur entre Ren et lui, situé sous la table. Ce qui eut pour conséquence le fait que Ren leva les yeux, un regard strict braqué sur Yuuto au-dessus de la paroi en plastique. Il ne dit pas un mot, mais se doutait bien que son collègue plus jeune ne l'avait pas dérangé pour rien. Enfin, il espérait.
« Hé Ito-san, on avait pas eu cette charge de travail quand on était arrivés dans l'entreprise, pas vrai ? » Demanda Yuuto.
Ren leva un sourcil dubitatif, puis sans même prendre la peine de répondre, baissa le regard et se concentra à nouveau sur son travail en cours.
Visiblement, ce genre de question rentrait dans la catégorie « être dérangé pour rien », selon lui.
Yuuto grimaça, et se pencha alors en arrière pour apercevoir Mari.
« Hé, Hasami-san ? » Dit-il pour attirer son attention.
La femme plus âgée se pencha alors également en arrière sur son siège, elle et Yuuto se positionnant de chaque côté d'Hana comme deux gardes du corps un peu trop zélés.
« Jette un œil à ça, » dit Yuuto en pointant du doigt l'écran d'ordinateur de la nouvelle interne.
Interne qui, à présent, avait complètement arrêté de travailler, et se demandait pourquoi elle avait à présent deux adultes penchés sur chacune de ses épaules avec un regard concentré braqué sur son document.
Et après quelques secondes, Mari grimaça.
«Ouch...» Dit-elle, comme si ce qu'elle voyait était douloureux, rien qu'en regardant.
Elle mit alors sa main gauche sur l'épaule d'Hana, et secoua la tête.
«Le Chef Kobayashi t'as dans le collimateur...» Déduisit-elle avec une voix navrée. «Il t'a demandé de lui rendre ça pour quand ?»
«Demain matin... ?» Répondit avec hésitation Hana.
«Ouch...» Dit à son tour Yuuto. «Quelle espèce de...»
Mais le jeune homme s'interrompit rapidement, regardant avec un regard suspicieux tout autour de lui et tournant la tête comme un chien de prairie sur ses gardes.
Puis, voyant que l'objet de ses insultes n'était pas en train de marcher dans l'étage - comme un rapace planerait dans les airs pour chercher une nouvelle proie – il chuchota vivement pour compléter sa phrase.
«Quel enfoiré !» Dit-il en un souffle, de façon presque inaudible.
L'insulte lui valut quelques regards surpris ou craintifs de la part d'autres employés à proximité immédiate, mais rapidement, les esprits se calmèrent.
Mari regarda pensivement la feuille de calcul, puis ajouta d'un air un peu triste :
« J'ai bien peur que tu doive déjà faire des heures supplémentaires, dès ton second jour, Hana-chan... »
« Au moins elle sera habituée dès le départ… Hier on pouvait partir plus tôt, mais ça restait une exception... » Soupira Yuuto, avant de se plaindre. « Ah… Mes vacances ne sont plus qu'on lointain souvenir… Why… WHY ? »
Mari eut une expression de dégoût en voyant son collègue agir comme un vrai gamin. Ce qui amusa un peu Hana, et lui fit un peu retrouver son calme.
« Ah, c'est très bien, » dit alors Mari en se remettant devant son ordinateur. Elle jeta un dernier regard à la jeune femme à ses côtés, et ajouta en souriant : « Évite de stresser, et fais de ton mieux, Hana-chan. Des points en bonus si tu travaille avec bonne humeur. »