Chapter 15 - Elle travaille bien.

Hana s'étira de tout son long, faisant craquer ses lombaires restées trop longtemps dans la même position.

Elle avait assisté impuissante, au fil des heures, au départ de plusieurs de ses collègues ; jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une poignée de personnes encore présentes dans l'étage.

Le Chef Kobayashi était parti depuis bien longtemps, et même parmi ses collègues, Mari et Yuuto étaient déjà aussi rentrés chez eux. Ren était encore resté une petite heure, avant de se lever quelques minutes auparavant pour aller se préparer une dernière tasse de café.

Il était déjà presque 20h, et elle avait enfin fini la tâche que lui avait confiée son supérieur. C'était vraiment ingrat, de lui donner quelque chose d'aussi rébarbatif et compliqué dès le second jour. Mais qu'est-ce qu'elle y pouvait, après tout ?

Il avait décidé de s'en prendre à elle, sans qu'elle sache exactement ce qu'elle avait bien pu faire de mal. Mais au moins, elle lui montrerais grâce à cela, qu'elle était fiable et sérieuse dans son travail. Peut-être que cela lui suffirait comme preuve de sa valeur.

« Enfin terminé, Shinohara-san ? »Demanda Ren, de grosses cernes sous les yeux.

Malgré la fatigue qui pouvait se lire sur son visage, l'homme distingué était toujours vêtu et coiffé impeccablement, comme s'il ne venait pas de passer une très longue journée au travail.

Hana se demanda d'ailleurs si son apparence physique reflétait l'état de son corps. Car si c'était le cas, elle l'enviait de ne pas avoir aussi mal au dos qu'elle.

Ou peut-être était-ce à force de faire des heures supplémentaires, qu'il avait pris l'habitude de supporter une posture aussi contraignante ; penché sur son écran d'ordinateur.

En tout cas, la jeune femme doutait d'un jour s'y faire.

« Juste à l'instant, » répondit-elle avec un petit sourire.

« Cela m'impressionne, » remarqua alors Ren. « Je ne m'attendais pas à ce que vous arriviez à finir dans les temps. »

En même temps qu'il disait cela, il avait terminé son café et regagné son bureau, réunissant ses affaires pour lui aussi enfin rentrer chez lui.

Hana s'empressa d'enregistrer le document, et d'éteindre son ordinateur. Elle ne voulait pas rester un instant de plus, qui plus est seule, dans le cas où Ren déciderait de partir sans l'attendre.

« Est-ce que le Chef Kobayashi fait souvent cela ? » Demanda-t-elle, tout en mettant son manteau.

« Fait souvent quoi ? » Demanda en retour Ren, peu sûr de ce qu'elle voulait dire par là.

« S'en prendre aux nouveaux comme ça... » Élabora Hana.

Elle avait récupéré son sac, et Ren ayant déjà passé en bandoulière son cartable, ils se retrouvèrent tous les deux à se diriger vers l'ascenseur, chacun d'un côté de la rangée de bureaux. L'homme plus âgé profita de ce moment de flottement pour réfléchir à sa réponse. Lui-même semblait se demander ce qu'il était préférable de dire ou de taire.

« Disons… Qu'il a son caractère... » Dit-il au moment où ils se rejoignirent devant l'ascenseur. « Mais je sais aussi qu'il n'agit pas sans raison, contrairement à ce qu'on pourrait penser. »

Hana soupira longuement, las.

« C'est justement ça le problème... » Se plaignit-elle.

Ren en profita pour appuyer sur le bouton d'appel, bien qu'il était curieux de savoir où la jeune femme voulait en venir. Et parfois, il suffisait de rester silencieux, pour pousser l'autre à se confier.

Ce qui se révéla être la bonne décision, car quelques secondes plus tard, Hana reprit la parole.

« J'ai l'impression que le Chef Kobayashi m'en veut pour quelque chose, mais je ne sais pas ce que j'ai bien pu faire de mal... » Se lamenta-t-elle.

« C'est en effet problématique, » concéda Ren.

« C'est bien ce que je dis... » Renchérit avec lassitude la jeune femme.

L'ascenseur, jusqu'à présent arrêté au troisième étage, reprit son ascension. Ce qui permit à Ren de formuler une hypothèse.

« Dans ce cas, je pense que la meilleure solution est de confronter le problème face à face, sans hésitation », expliqua-t-il. « Après tout, peut-être que tout cela n'est qu'un malentendu. Mais que ce soit oui ou non le cas, ce n'est pas quelque chose que vous pouvez laisser de côté en espérant que ça se réglera tout seul... »

Hana fit la moue. Mais au fond, elle savait que Ren avait, dans sa précision, raison. Il valait mieux régler le problème dès le départ, que le laisser vous dévorer chaque jour passant. D'autant plus qu'elle ne savait vraiment pas ce qu'elle avait pu faire pour se mettre à dos la personne qu'elle admirait tant.

Et peut-être qu'en effet, la seule façon de le savoir serait de confronter directement la personne pour laquelle elle avait tant d'affection.

Un tintement électronique retentit, suivi de l'ouverture des portes de l'ascenseur, révélant une cabine complètement vide. Évident, vu que la majorité des employés étaient déjà rentrés chez eux.

Voyant que Ren ne bougeait pas, Hana prit cela comme une invitation à entrer la première à l'intérieur. Elle avait presque oublié que l'homme qui était son aîné dans l'entreprise avait beaucoup de manières ; la galanterie en faisant probablement partie.

Ren appuya alors sur une série d'interrupteurs avant de suivre Hana dans l'ascenseur, éteignant toutes les lumières du plafond et plongeant ainsi tout l'étage dans le noir complet ; si ce n'est pour l'intérieur de la cabine d'ascenseur où il s'engouffra. Voir l'immense pièce plongée dans l'obscurité fut vraiment étrange, aux yeux de la jeune femme. Mais cela la rassura également. Car c'était le signe qu'elle avait bien fait son travail.

Les portes de l'ascenseur se refermèrent sur les deux collègues, la cabine les emmenant au rez de chaussée de l'immeuble.

Au dehors, il faisait déjà complètement nuit, les immeubles de bureaux environnants toujours allumés à certains étages. Même si le personnel administratif était parti, cela ne signifiait pas que la journée était terminée. Loin de là. Le personnel de nettoyage, mais également la sécurité et les gardiens de nuit, prenaient le relais ; créant une boucle sans fin d'occupation des locaux.

Toutefois, lorsque la porte de la cage d'escaliers s'ouvrit, ce ne fut ni un agent d'entretien, ni un membre du personnel de sécurité, qui fit son apparition.

Un individu inconnu dont on ne pouvait distinguer les traits, dans l'étage à présent plongé dans le noir, s'avançait entre les rangées d'ordinateurs ; cherchant visiblement quelque chose.

Puis, au bout de quelques minutes, la personne s'arrêta devant un poste de travail particulier, et quelques secondes plus tard, alluma l'écran d'un ordinateur.

Sa silhouette sombre, découpée par le halo clair de la lumière provenant du moniteur, fut projetée sur le mur derrière ; et elle continua de se mouvoir, dans le silence le plus total.