Chapter 20 - Elle est amusante.

C'était déjà le vendredi matin, soit bientôt la fin de la semaine. Aussi, bon nombre d'employés semblaient ravis de passer les portiques automatiques dans le hall de Marline Insurance.

La perspective d'un week-end bien mérité devait en motiver plus d'un à terminer son travail avant la soirée.

Pour Utagawa Takao, en revanche, il s'agissait du début de ses ennuis. Il s'agissait de son premier jour de travail pour son oncle, et il regrettait déjà sa décision.

La discussion qui avait eu lieu quelques jours plus tôt dans ce restaurant n'avait pas cessé de l'inquiéter ; car il connaissait l'entêtement du vieil homme.

Toutefois, si quelque chose d'autre devait être sûr, c'était qu'il ne céderait pas. Il savait déjà où il voulait aller, et Marline n'était qu'un petit arrêt sur le bord de ses ambitions.

Ayant d'abord dû se présenter à la sécurité au rez-de-chaussée pour qu'elle lui remette un badge d'accès, il avait demandé quelle direction il devait prendre ; car encore trop peu familier avec la structure du bâtiment. On lui avait indiqué la direction des ascenseurs, ainsi que l'étage auquel il devait se rendre.

Il se dirigeait donc vers les ascenseurs, quand il vit devant ces derniers une jeune femme aux longs cheveux noirs faire d'étranges mouvements à répétition.

Elle semblait prendre une grande inspiration, puis, les poings serrés et levés à mi-hauteur, ramener brusquement ses bras vers le bas. Elle répétait ce geste plusieurs fois, sans savoir que quelqu'un était en train de l'observer.

S'approchant un peu plus, ses bruits de pas sur le sol plus que propre alertèrent enfin la jeune femme quant à un potentiel nouvel arrivant ; et, se tournant pour voir qui venait dans sa direction, elle cessa cet étrange rituel.

« Bonjour ! » S'exclama-t-elle en souriant légèrement.

Ouh là. Elle semblait très énergique, celle-là.

Takao lui retourna une salutation en inclinant légèrement la tête, avant d'avancer un peu plus et de se mettre aux côtés de la jeune femme pour attendre la prochaine cabine d'ascenseur qui descendait depuis plusieurs minutes.

« Hé, déjà là, Shinohara-san ? » S'exclama alors une voix derrière eux.

Takao fronça les sourcils, avant de tourner légèrement la tête pour voir le nouvel arrivant.

Il s'agissait d'un homme assez grand, habillé d'un costume gris foncé sans cravate et au col légèrement déboutonné ; et dont la démarche était assurée et rapide.

La jeune femme à ses côtés hocha légèrement la tête en silence, tout en montrant un sourire gêné ; ce qui attira le regard de Takao. Quel étrange changement d'attitude, entre lui – un parfait inconnu – et cet homme – l'appelant par son nom - qui semblait pourtant la connaître.

« Dis, t'aurais pu répondre à mon e-mail, quand même... » Dit l'homme.

C'était peut-être un supérieur mécontent. Il n'y avait pas plus classique, comme situation.

La jeune femme se contenta de sourire à nouveau, avec cet air légèrement gêné. Était-elle peut-être mal à l'aise ?

« Mais bon, y'a le repas d'équipe ce soir ! Ça te dis qu'on se mette à la même table pour discuter ensemble ? » Proposa-t-il en souriant de toutes ses dents.

Ah.

Il y avait erreur sur la personne.

Ça, c'était un sourire de type cherchant à draguer. Et du genre louche.

« Nous ne sommes pas dans le même Département, Kubo-san, » répondit-t-elle en clignant lentement des yeux.

« Justement ! » Renchérit l'homme appelé Kubo. « Vu qu'on peut pas se voir à cause de ton boss craignos, autant en profiter pour faire connaissance ! »

Attendez, il y avait quelque chose entre eux, ou pas ?

Ça devenait un peu délicat comme situation, et Takao chercha à inciter l'ascenseur à descendre plus vite par un regard braqué sur l'écran affichant les étages auxquels la cabine se trouvait actuellement.

« Je vous prie de ne pas dire de mal de mon supérieur, Kubo-san,» répondit alors froidement la jeune femme, tout en insistant bien sur le nom de son interlocuteur.

Son ton tranchant surprit Takao, qui, risquant un regard vers sa gauche, vit que la dénommée Shinohara avait à présent un air sévère et les sourcils froncés.

Il n'y avait pas une once d'hésitation, ni dans ses paroles, ni dans son attitude ; aussi, Takao comprit enfin à qui il avait à faire.

Cette femme était quelqu'un d'enjoué, mais d'absolument sans merci sur certains points.

« Hé, je fais que dire la vérité ! » Se défendit Kubo. « Tout le monde sait que ce type est une vraie plaie ! »

Sa remarque n'aidant pas la situation, la jeune femme le fusilla du regard ; et au même moment, la sonnette discrète signifiant l'arrivée de l'ascenseur à leur étage retentit.

Takao regarda en face de lui pour voir les portes s'ouvrir sur une cabine complètement vide, mais il n'osa pas bouger.

Ce qui se passait juste à côté était bien trop intéressant pour couper court à l'observation qu'il en faisait.

Toujours avec froideur, la jeune femme hocha légèrement la tête, avant de se tourner pour entrer dans l'ascenseur.

Il semblait qu'elle en avait assez de l'attitude de ce lourdaud.

Takao en profita alors pour la suivre, et s'arrêta net juste après avoir passé les portes, bloquant de son dos l'accès à la cabine.

« Euh, excusez-moi… » Entendit-il Kubo dire derrière lui. « Vous pouvez vous pousser un peu ? »

Mais Takao ne bougea pas, laissant son large dos obstruer le passage.

Certaines personnes avaient besoin qu'on leur donne des indices quant à leur comportement et leur influence sur les autres.

« Dites, j'aimerais bien monter... » Se plaignit Kubo, son ton de voix commençant à être moins cordial.

Takao ne bougeait toujours pas, observant la jeune femme en face de lui.

Elle regardait à présent la scène avec un amusement manifeste, bien qu'elle se retint de rire pour ne pas froisser l'homme laissé coincé à l'extérieur.

« Vous pouvez bouger ? » Se plaignit à nouveau Kubo, qui perdait patience.

Cette fois, Takao réagit.

Ce type était trop entêté pour capter le moindre indice.

Soit.

Tournant la tête pour observer le type impatient resté derrière lui, Takao lui décocha un sale regard.

Le genre de regard qui hurlait « dégage, cloporte ! », sans avoir besoin de le dire avec des mots.

Visiblement, le dénommé Kubo saisit enfin le message, car il baissa les yeux et recula d'un pas.

« Je.. Je suppose que je vais prendre le suivant... » S'excusa-t-il péniblement.

Les portes de l'ascenseur se refermèrent alors juste derrière le dos de Takao, et la cabine put enfin commencer son ascension vers les étages.

Soupirant, ses épaules se relâchèrent, libérant une tension qu'il avait complètement ignorée jusqu'à présent. Il fixa un moment le sol en plastique gris clair, avant de relever les yeux, et de voir que la jeune femme lui souriait chaleureusement.

« Merci de votre aide, » dit-elle avec gratitude.

Il secoua la tête.

« Ce n'est rien... » Dit-il.

« Ça représente beaucoup pour moi, » insista la jeune femme.

Sur ces mots, elle tendit un bras vers lui, signe qu'elle voulait lui serrer la main.

Hésitant un peu, il finit par prendre la main de la jeune femme dans la sienne, et, tandis qu'ils échangeaient une poignée de mains, elle se présenta.

« Je suis Shinohara Hana, » dit-elle avec un sourire rayonnant.

« Utagawa Takao », répondit-il sobrement.

Ah mince.

Poussé par l'attitude sympathique de la jeune femme, il venait de lui donner son nom sans réfléchir.

Elle allait sûrement faire le lien avec le grand patron de l'entreprise…

« Enchantée de vous connaître ! » Dit-elle avec entrain. « Vous êtes un ancien ou un nouvel employé ? »

La question surprit Takao.

Se pouvait-il qu'elle ne sache pas qui il était ? Ou parte du principe qu'un même nom de famille ne voulait pas forcément dire que deux personnes étaient liées ?

« Vous voyez, je viens à peine d'être embauchée, alors j'ai encore un peu du mal à me familiariser avec tout le monde... » S'excusa-t-elle avec gêne en se tenant le bras.

« C'est mon premier jour, » répondit-il en secouant la tête.

« Ah, je vois, vous êtes nouveau, comme moi ? »Sourit-elle. « J'espère qu'on va bien s'entendre ! »

Face à l'attitude désarmante de la jeune femme, Takao ne put s'empêcher de sourire.

Peut-être que finalement, les choses n'étaient pas si mal.