Chapter 23 - Ce n'est pas elle.

« Ah, pourquoi est-ce que la RH nous a gardés aussi longtemps ? C'était vraiment de la torture, là ! » Se plaignit Saizo en souriant légèrement.

Shinsuke se contenta de claquer sa langue.

Il savait que c'était sa faute, et qu'il était le seul fautif. Il était donc vraiment désolé pour son ami, mais aussi prudent : il ne voulait pas l'énerver plus qu'il ne l'était déjà.

Si Saizo continuait à sourire légèrement même en se plaignant, ce n'était jamais bon signe.

Il était énervé. Plus qu'énervé, même. Et les évènements s'étant déroulés à la RH n'allaient pas aider à améliorer son humeur.

Ils venaient de rencontrer leur nouveau directeur de département, qui non seulement était plus jeune qu'eux, mais qui en plus était de la famille du président.

De quoi bien leur mettre la pression.

Pour couronner le tout, ledit directeur avait tenu à se rendre au repas d'équipe pour se présenter aux autres employés, résultant en un long trajet inconfortable en taxi entre les trois hommes.

« Hé, il semble que pas mal de monde soit déjà rentré à la maison, » maugréa Saizo, toujours en arborant un léger sourire.

Ce sourire qui ne présageait rien de bon fit frissonner Shinsuke. Saizo était vraiment en pétard d'avoir manqué le début du repas d'équipe. Non, à bien y réfléchir, il semblait que quelque chose d'autre l'avait encore plus agacé.

« Même Shinohara-san est partie... » Observa-t-il en fronçant les sourcils.

Peut-être que c'était une bonne chose, finalement, que la jeune femme ne soit pas là. Saizo devenait littéralement obsédé à ce train-là.

Shinsuke était juste déçu de ne pas avoir pu mettre les choses au clair avec elle. Ça devrait sûrement attendre lundi matin…

Entre-temps, le nouveau directeur du Département Catastrophes Naturelles s'était aussi éclipsé.

Il avait échangé quelques mots avec le Chef Tsukasa, s'étant présenté avec discipline à lui et au reste de l'équipe, avant que la discussion prenne une tournure plutôt amicale. Shinsuke l'avait donc vu sortir de la pièce après ce court échange.

« Vu que vous êtes mon nouveau supérieur, je peux avoir votre numéro ? » Demanda avec entrain Heizo.

« Oui bien sûr, échangeons nos informations de contact, » répondit-il avec un sourire.

Takao avait en effet tâté rapidement ses poches de veste et de pantalon, avant de réaliser qu'il lui manquait quelque chose de crucial pour réaliser l'opération en question.

« J'ai oublié mon portable dans ma veste, je reviens, » s'excusa Takao.

Il venait de revenir de l'étranger, donc aucune chance qu'il puisse déjà connaître par cœur son nouveau numéro de téléphone, quand il avait déjà du mal à retenir quels bus passaient devant chez lui et à quelles heures.

Réticent, il retourna donc vers l'accueil du restaurant, où se trouvaient les porte-manteaux muraux où il avait laissé ses affaires. Très vite, ayant repéré sa veste dont la couleur bleu marine sortait légèrement du lot, il récupéra son smartphone, et s'apprêtait à retourner vers les pièces qui avaient été réservées pour l'entreprise, quand quelque chose attira son attention.

Deux personnes se tenaient dehors, juste devant l'entrée du restaurant. Ou, plus exactement, un homme tenait par sa taille une jeune femme qui ne semblait pas aller bien.

Il ne voyait que leur dos, mais étrangement, Takao eut un doute.

Les très longs cheveux noirs aux mèches irrégulières et sans coiffure précise pour les discipliner lui rappelaient la jeune femme qu'il avait rencontrée le matin même. Et maintenant qu'il y prêtait plus attention, les vêtements que les deux femmes portaient étaient similaires. Trop similaires, même.

Intrigué, il commença à s'approcher du couple, quand un détail lui sauta aux yeux : il connaissait également la personne qui la maintenait debout tandis qu'ils semblaient attendre un taxi.

Ce type… C'était également le même que ce matin.

Rapidement, un sentiment d'inconfort s'empara de Takao. Il avait l'impression que quelque chose n'allait pas, dans cette situation.

Malgré lui, il continua d'avancer, et interpella les deux personnes qui lui tournaient encore le dos.

« Hé vous deux, tout va bien ? » Demanda-t-il d'une voix plus autoritaire que ce qu'il aurait voulu communiquer.

La question fit sursauter l'homme, qui tourna légèrement sur lui même en entraînant la jeune femme dans son geste ; ce qui confirma les soupçons de Takao.

Il s'agissait bien de la jeune femme du nom d'Hana, et de ce type lourdingue, Kubo Touma.

« Ah, le type de ce matin ? Qu'est-ce que tu veux ? » Demanda-t-il avec désinvolture.

Il ne devait sans doute pas savoir que Takao était un de ses supérieurs, et avait décidé d'adopter une attitude plutôt irrespectueuse en pensant être face à un égal.

« J'aimerai savoir si Shinohara-san va bien, » insista Takao.

« Elle a juste trop bu, alors je la raccompagne chez elle, » répondit succinctement Touma, tout en adoptant une attitude agressive.

Si Kubo pensait l'intimider, c'était mal le connaître. Quelque chose n'allait définitivement pas dans cette situation, et il comptait bien découvrir quoi.

« Vous savez où elle habite ? » Interrogea Takao.

« Euh… Ouais… Près de Sasazuka, » répondit rapidement Touma.

Quel menteur.

Mademoiselle Shinohara habitait près de Kameido, dans la direction opposée.

Pris de curiosité au sujet de la jeune femme, il avait rapidement consulté son dossier dans l'après-midi. Il n'était pas sénile au point de confondre deux quartiers différents de la ville.

Ce qui, en soit, rendit la situation encore plus tendue, car entre-temps, un taxi était arrivé et s'était arrêté juste devant eux.

« Si t'as fini de m'interroger, on peut y aller ? » Demanda Touma avec mécontentement.

Pendant tout ce temps, la jeune femme n'avait pas pipé mot, ce qui laissait à penser qu'elle était probablement inconsciente, ou trop ivre pour répondre quoi que ce soit. Elle était donc vulnérable, et potentiellement en danger.

Et même si ce n'était qu'une possibilité, Takao préférait être désolé et devoir s'excuser d'un malentendu par la suite, plutôt que d'avoir des regrets en n'ayant pas agi.

« Je vais m'occuper de ramener Shinohara-san chez elle, » se proposa-t-il.

« Hein ? Qu'est-ce que tu racontes, abruti ? Tu vois pas que je m'occupe déjà d'elle ? » S'énerva Touma.

Ah, c'était décidément plus que suspect. Qui s'énervait donc comme ça, pour une telle proposition ?

« Il me semble que c'est à Shinohara-san d'en juger, n'est-ce pas ? » Insista Takao.

« Puisque j'te dis que- ! »

Touma fut coupé net dans sa phrase, une main ayant violemment agrippé ses cheveux et tiré sa tête en arrière.

Surpris, les deux hommes regardèrent sur la gauche : la jeune femme, encore la tête baissée, avait fermement pris en main les cheveux de l'homme qui avait encore son bras passé autour de sa taille.

Et très rapidement, une voix menaçante s'éleva, tel un grondement.

« Qu'est-ce que tu crois faire à Hana, enfoiré ? »

Ce qui se passa les secondes suivantes fut tellement rapide et violent que Takao ne put qu'en rester simple spectateur.

La jeune femme s'était soudainement redressée, et toujours en tenant les cheveux de Touma avec sa main gauche, lui avait envoyé un coup de poing fulgurant en plein visage.

Touma tomba au sol, ayant perdu conscience sous la force de l'impact, la jeune femme restant seule debout et le fixant avec un air colérique.

« J'vais te massacrer, salopard. » Dit-elle avec une voix qui donnait la chair de poule tout en s'approchant de l'homme évanoui sur le trottoir.

Des curieux s'étaient déjà arrêtés pour observer la scène, et Takao se doutait que quelqu'un était probablement déjà en train d'appeler la police. Des clients et employés du restaurant commençaient également à sortir pour découvrir ce qui se passait, poussés par la curiosité.

Vu le comportement de la jeune femme, les gens allaient sûrement dire que c'était elle l'agresseur, malgré ce qui s'était passé plus tôt. Elle n'était pas en mesure d'expliquer tout de suite ce qui s'était passé, et si ses collègues venaient à l'apercevoir, les choses risquaient de devenir très compliquées pour elle.

Ce qui poussa Takao à prendre une décision impulsive, irréfléchie.

Il prit la jeune femme par le poignet et se mit à courir avec elle vers une des petites rues perpendiculaire à celle où était située l'entrée du restaurant, échappant rapidement à l'attroupement qui s'était formé.

Étant enfin à l'écart et au calme, la jeune femme secoua son bras pour se libérer de la prise de Takao, avant de faire un pas en arrière.

« Qui t'es, toi ? » Demanda-t-elle avec méfiance.

Est-ce qu'elle était trop saoule pour se rappeler de leur discussion le matin même ?

« Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Takao, Utagawa Takao. On s'est rencontrés ce matin... » Dit-il tout en récupérant son souffle.

« Eh ? Ça me dit rien du tout... » Dit-elle d'un air désintéressé.

Takao ne put s'empêcher de pincer son arrête de nez. Elle avait vraiment trop bu, si elle ne se souvenait même pas de lui.

« On s'est présentés ce matin, » insista-t-il avec patience. « Vous m'avez même donné votre nom : Shinohara Hana. »

« C'était pas moi. » Répondit-elle du tac au tac.

« Bien sûr que si ! » Répliqua-t-il avec agacement.

« J'vous connais pas. » Dit-elle en croisant les bras.

Ah, ça devenait épuisant, à force…

« Je suis Utagawa Takao, » dit-il en se désignant du doigt, « et vous êtes Shinohara Hana. On travaille ensemble à Marline Insurance. »

« Marline ? » Répéta-t-elle. « Ça me dit quelque chose, en effet... »

« Oui ! Parce que c'est là où vous travaillez depuis le début de la semaine ! » Déclara-t-il, exaspéré.

« Dans ce cas montrez-moi votre badge, » ordonna-t-elle avec un visage impassible.

« Mon badge ? »

« Oui, pour prouver votre identité, » précisa-t-elle en le toisant.

Elle… Était sérieuse, là ?

Ledit badge était resté avec le reste de ses affaires, à l'entrée du restaurant.

Toutefois, la jeune femme faisait preuve d'une méfiance implacable, et il sentait qu'elle ne changerait pas sa position si facilement, surtout après ce qui venait de se passer.

Résigné, il décida donc d'affronter de face le problème.

« Écoutez, j'ai pas mon badge sur moi, alors qu'est-ce que je peux faire pour que vous me fassiez confiance ? »

« Laissez-moi tabasser cet enfoiré. » Dit-elle avec un air plus que sérieux.

« Non, c'est un crime, ça. » Tenta-t-il de la raisonner.

« Vous allez m'en empêcher, alors ? » Demanda-t-elle avec défiance.

« Bien sûr ! » Rétorqua-t-il avec force. « Je peux pas vous laisser commettre un crime ! »

Elle resta songeuse un moment, son regard sévère braqué sur lui, et tapota son index droit sur ses bras toujours croisés, avant de cligner lentement des yeux.

« Pourquoi vous vous souciez d'Hana ? » Finit-elle par demander.

« Pourquoi, je devrais pas ? » Répliqua-t-il. « C'est normal de s'en faire pour les autres ! »

« Vous me connaissez que depuis ce matin... » Dit-elle avec suspicion.

« Et ? Ce type qui a tenté un truc louche semblait vous connaître depuis plusieurs jours... » Argumenta-t-il. « Je ne vous connais peut-être que depuis ce matin, Shinohara Hana, mais vous m'avez semblé sympathique et sincère. C'est naturel de vouloir aider ce genre de personne. »

« Encore ça ? » Dit-elle en baissant la tête et en regardant le sol.

Encore quoi ? Qu'est-ce qu'il avait pu dire de mal ?

Il n'eut pas le temps de lui demander ce qu'elle voulait dire par là, car déjà, elle avait décroisé les bras avant de poser sa main sur sa poitrine à elle, et de déclarer tout haut en relevant la tête les mots suivants :

« Je suis pas Hana, je suis Nana ! » S'exclama-t-elle, offusquée.

« N… Nana ? » Répéta Takao avec un air confus.

C'était quoi ce bordel ?

Est-ce qu'elle se fichait de lui, ou quoi ?

Il s'apprêtait à la gronder et à lui dire que les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleures, lorsque quelque chose s'imposa soudainement à lui.

Il n'y avait pas suffisamment prêté attention jusqu'à présent, mais en y regardant de plus prêt, l'attitude et la posture de la jeune femme étaient totalement différentes de ce qu'il avait pu voir ce matin.

Si la Shinohara Hana de ce matin semblait timide et souriante, avec les épaules légèrement abattues, celle qui se tenait actuellement devant lui faisait preuve de défiance, semblait intransigeante, et avait adopté une posture cambrée pleine d'assurance.

Même leur façon de parler était différente.

Ça… Ne correspondait pas du tout.

La réalisation lui fit à son tour faire un pas en arrière, avant qu'il ne lui pose la question suivante :

« Qui… Qui êtes vous ? »