« C'est quoi ça, encore ? » Demanda Shinsuke avec un regard méfiant.
Il était arrivé un peu plus tard que d'habitude ce vendredi matin, et à peine devant son bureau, il avait remarqué quelque chose de suspicieux posé dessus.
« Ah, ça ? » S'étonna Saizo en pivotant sur sa chaise vers son ami.
« Oui, ça. » Répéta Shinsuke, un peu irrité.
Quelqu'un avait profité de son absence pour poser sur son bureau un gobelet de café et une toute petite plante grasse dans un panier gris.
« Hum… Une boisson et une plante ? » Finit par répondre Saizo, songeur.
« Je vois bien ce que c'est, » râla Shinsuke. « Je veux savoir ce que ça fait là. »
« Si c'est posé sur ton bureau, c'est que ça doit être pour toi, non ? » Sourit Saizo.
Shinsuke souffla bruyamment, exaspéré par l'attitude de son collègue et ami. Ce dernier semblait savoir quelque chose, et s'amusait à observer la réaction de Shinsuke face à ce cadeau imprévu.
Et ça l'agaçait.
Parce que même sans que Saizo lui réponde, il était à peu près sûr de savoir de qui tout ça venait.
Regardant par dessus les cloisons de séparation, il chercha du regard la jeune femme qui avait encore osé venir déposer des choses sur son bureau. Et à sa surprise, son regard tomba sur un bureau vide.
« Où est-ce qu'elle est encore passée ? » S'énerva-t-il.
« Qui ça ? » Demanda avec malice Saizo, tout en se redressant en avant pour éviter le regard meurtrier que lui lança Shinsuke.
Oh, ce type savait définitivement quelque chose. Shinsuke en était prêt à y mettre sa main à couper.
Il s'assit brusquement sur son siège, fixant d'un œil mauvais le gobelet où était inscrit « passez une bonne journée », ainsi que la plante verte maigrichonne qui aurait certainement tremblé face à son regard si elle avait pu.
Il tapa des doigts sur son bureau, visiblement en proie à un conflit intérieur. Il était arrivé un peu en retard, et un café ne ferait sûrement pas de mal. Toutefois, sachant qu'il connaissait l'expéditeur, il rechignait un peu à le toucher.
Avec un léger sourire, Saizo observait son ami douter. Il était très amusé par la situation qui se déroulait sous ses yeux.
Déjà quelques heures plus tôt, il avait été surpris d'être abordé de la sorte par la jeune femme qui venait tout juste d'être employée.
Non, il avait encore plus été surpris de la voir émerger de l'ascenseur en souriant, après avoir parlé avec entrain à un autre homme à l'intérieur. Il semblait qu'elle s'était faite un autre ami, entre temps.
Puis, après avoir déposé ses affaires à sa place, la jeune femme était venue directement vers lui, et avec un regard plutôt déterminé, elle lui avait posé une question.
« Ogawa-san, excusez-moi de vous demander ça si soudainement, mais pourriez-vous me dire ce que le chef Kobayashi préfère boire le matin ? »
Les réseaux d'information avaient plutôt bien fonctionné, et dans les deux sens, car chacun connaissait visiblement le nom de l'autre sans s'être précédemment parlé. Et Saizo se dit que les choses devenaient bien intéressantes.
« Pourquoi veux-tu savoir ça, Shinohara-san ? » Répondit alors Saizo, son regard en partie atténué par le verre de ses lunettes.
La jeune femme avait alors légèrement serré le poing, comme pour se donner du courage, puis, regardant droit dans les yeux Saizo, elle avait répondu :
« Je veux que le chef Kobayashi passe une bonne journée au travail. »
Ouhla.
Cette déclaration avait plus que surpris Saizo. Heureusement qu'il avait un sacré contrôle sur ses émotions et ses expressions faciales, sans quoi il aurait éclaté de rire face à l'énormité de cette innocente déclaration.
C'est donc avec un visage impassible – où un sourire menaçait tout de même d'apparaître au coin de ses lèvres – que Saizo reprit rapidement la discussion.
« Tu veux que le chef Kobayashi ait une bonne impression de toi ? S'est-il passé quelque chose entre vous deux ? »
À cette question, la jeune femme perdit sa confiance, tout à coup surprise et déstabilisée.
Ce qui fit comprendre à Saizo qu'il devait être sur une piste.
Toutefois, vu l'attitude soudainement sur la défensive de la jeune femme, il sut qu'il n'en saurait probablement pas plus pour l'instant. Il décida donc de désamorcer la situation un peu inconfortable en lui donnant une opportunité.
« Du thé, avec du lait et un sucre. » Dit-il en mettant sa joue dans sa main, après s'être accoudé à son bureau.
La jeune femme ne comprit pas tout de suite la valeur de cette information, peut-être car elle s'attendait à une nouvelle question de la part de son supérieur. Mais, après quelques secondes, son visage s'illumina d'un grand sourire.
« M-Merci, Ogawa-san ! »
Et presque immédiatement, elle partit sans demander son reste. Sûrement pour aller chercher la boisson en question.
Il y avait définitivement quelque chose entre ces deux-là. Saizo en était sûr. Mais quoi, exactement ? Il était bien trop curieux pour laisser tomber l'affaire, et il sentait qu'en aidant légèrement la jeune femme, il obtiendrait plus d'informations sur ce qui se passait.
Ce qui, en un sens, s'était produit.
Car il semblait que Shinsuke s'était résigné pour cette fois, prenant en main le gobelet de boisson chaude.
Il le porta à ses lèvres, l'odeur le surprenant un peu, puis commença à en prendre une gorgée.
Soudainement, il s'arrêta de boire avec un air surpris.
« C'est pas du café... » S'étonna Shinsuke en fixant du regard le gobelet qui continuait de lui souhaiter une bonne journée.
Non, en effet, ce n'en était pas.
Saizo sourit intérieurement face à la réaction de son ami, qui était en proie à la confusion.
Il devait sûrement se demander comment la jeune femme avait pu savoir ce qu'il préférait boire le matin ; et, suspicieux, lança un regard en coin à Saizo tout en se remettant à boire son thé.
Saizo se contenta de lui décocher un petit sourire, avant de se concentrer à nouveau sur son écran.
« Qu'est-ce qu'a dit le médecin ? » Demanda-t-il après quelques minutes en chuchotant, sans détourner le regard de son ordinateur.
Shinsuke fit la moue, le gobelet vide déjà jeté dans sa poubelle, et la petite plante verte semblant déjà avoir trouvé sa place entre le pot de crayons et l'agrafeuse.
« Il dit que ce sont toujours mes muscles, » répondit-il avec un air maussade. « Mes muscles, et rien de plus. »
« Tes muscles, hein ? » Répéta Saizo, plongé dans ses pensées.
Shinsuke massa alors rapidement son bras droit, et Saizo sut qu'il avait encore mal, même s'il n'avait rien dit à ce sujet.
Les visites inopinées au médecin s'étaient aussi un peu rapprochées, ces derniers temps. Il espérait donc que son ami viendrait bien à la soirée d'entreprise, histoire de se détendre un peu.
Jetant un regard discret à Shinsuke, il vit alors que ce dernier avait soudainement les yeux plissés et les sourcils froncés.
Regardant dans la même direction que lui, Saizo vit alors que la jeune Shinohara était revenue à son bureau entre temps.
Réaction plutôt intéressante… Saizo était vraiment intrigué, à présent ; car son ami semblait totalement ignorer que la jeune femme était intéressée par lui.
Il regarda encore une fois la jeune femme sourire timidement tout en parlant à ses collègues à proximité immédiate, et ne put s'empêcher de lui-même légèrement sourire. Il lui avait donné juste un petit coup de pouce, comme ça. Mais à présent, ce serait à elle de fournir le plus d'efforts possibles pour faire bouger cette montagne froide et insensible qu'était Kobayashi Shinsuke.