Shinsuke tapa plusieurs fois sur la touche entrée de son ordinateur, mais rien n'y fit.
Il n'arrivait pas à ouvrir le document excel reprenant les ventes du mois.
« Hé Saizo, t'as encore édité le rapport des ventes sans le fermer ? » Grogna-t-il à l'intention de son collègue sans même daigner lui lancer un regard.
« Non ? » Répondit simplement Saizo, lui aussi absorbé par son travail. « C'était pas toi qui l'avait édité en dernier ? »
Shinsuke se frappa mentalement.
C'était bien lui qui avait édité le document, pas plus tard qu'en début de semaine.
Peut-être avait-il fait une mauvaise manipulation, verrouillant le document ?
Il faudrait qu'il demande leur aide au service informatique.
Refermant le dossier où se trouvait le document posant problème, il revint sur sa boîte d'e-mails, et entreprit de consulter tous les messages qu'il avait reçus entre la veille et ce matin. Il y en avait déjà une centaine, et il claqua inconsciemment sa langue. Faire le tri dans tout cela allait s'avérer chronophage, mais il n'avait pas vraiment le choix.
Rapidement, il envoya plusieurs e-mails à Saizo – qui lui-même, se chargerait d'en transmettre certains à une tierce personne – et avec surprise, trouva un message de la part de la nouvelle interne.
Oh ? Elle a quelque chose à rendre ? Déjà ?
Il ouvrit le document en pièce jointe, et sûr, une énorme feuille de calcul s'afficha sur son écran.
Pourquoi s'était-elle compliqué la vie comme ça ?
Rapidement, il inspecta certains éléments de la page. Puis, il ouvrit alors un document se trouvant sur son propre ordinateur, affichant une autre feuille de calcul.
En vérité, il avait déjà terminé le document en question il y a plusieurs jours de cela, et n'avait pas besoin du tout que quelqu'un travaille dessus.
Mais quand il avait vu l'opportunité se présenter, il n'avait pas pu s'empêcher de lui confier cette tâche ingrate ; avec un délai raccourci, qui plus est. Après tout, même si elle ne finissait pas, ou faisait des erreurs, il aurait tout de même des données parfaites à envoyer à la comptabilité.
Parcourant rapidement les deux documents, il vit que les calculs étaient tous corrects, bien que la présentation laissait à désirer.
Et merde. Elle était plutôt douée pour ce genre de tâches.
Mais il était encore trop tôt pour avoir des regrets.
Il renvoya l'e-mail à la jeune femme, avant de se redresser sur son siège.
« Shinohara ! » S'écria-t-il en jetant un œil par-dessus la cloison en plastique ; réveillant une partie de l'étage qui somnolait encore et ne restait éveillée de si tôt matin qu'avec l'équivalent d'une perfusion de caféine.
Immédiatement, la jeune femme se leva, le regardant directement, sans la moindre hésitation.
« Édite-moi rapidement ton document ! Il est bourré de fautes d'orthographe ! »La réprimanda-t-il. « Et on a une feuille de calcul pré-formatée disponible, alors apprends à utiliser ce qui est à ta disposition, au lieu de donner un mal de crâne à tes supérieurs ! »
« D… D'accord, Chef ! » Dit-elle avant de se rasseoir avec précipitation.
'Si elle croit être tirée d'affaire, elle se met le doigt dans l'œil,' pensa-t-il.
Il s'apprêtait à fouiller à nouveau sa boîte de réception, quand une voix qu'il connaissait trop bien murmura avec un ton amusé.
« Déjà lassé ? » Sourit Saizo.
Shinsuke fronça les sourcils.
« Lassé de quoi ? » Grogna-t-il, le regard fixé sur son écran devant lui.
« De martyriser la petite Shinohara, » insista avec malice son collègue.
« Je la martyrise pas, » répondit-il avec hâte. « Je ne fais que lui rendre la pareille. »
« La pareille ? » Répéta Saizo, intrigué. « Il s'est passé quelque chose entre vous deux ? »
Cette fois, Shinsuke en eut assez, et se tourna brusquement sur le côté pour regarder Saizo.
« Qu'est-ce que tu vas imaginer, à la fin ?! » Râla-t-il.
« Ma foi, je suis bien obligé d'imaginer des choses, vu que tu ne me racontes rien ! » Se défendit l'autre homme, avec un grand sourire.
Shinsuke souffla bruyamment, avant de se retourner vers son écran.
C'était vraiment bizarre, comme histoire.
Il était persuadé que la jeune femme, et la folle de l'autre soir, étaient la même personne. Du moins, leurs visages se ressemblaient. Mais après tout, il avait bien bu ce soir-là.
Et jusqu'à présent, elle n'avait rien laissé paraître, et n'avais jamais directement répondu à ses questions.
Se pouvait-il qu'il ait fait erreur sur la personne, après tout ?
Il cliqua nerveusement plusieurs fois d'affilée sur sa souris, frustré de se retrouver dans une impasse face à cette situation.
Et s'il avait vraiment eu tort et s'était trompé de personne, il préférait mourir de honte tout seul, si possible sans entendre Saizo ricaner de la situation comme un gamin ayant foutu un coussin péteur sur le siège de la prof.
Mais avant cela, il devait en être sûr.
C'était décidé, il la confronterait directement sur le sujet, quitte à ranger sa fierté de côté.
Il pouvait se montrer insupportable et sévère envers les gens qui lui faisaient des crasses ou ne faisaient pas leur travail. Mais il n'était pas non plus borné et insensé.
Il se pencha alors en arrière, et tout en s'étirant pour faire craquer ses vertèbres, s'adressa à Saizo.
« Dis, le repas d'équipe c'est bien vendredi soir ? »
La question sortie de nulle part surprit son ami, qui fronçant les sourcils, rajusta ses lunettes sur son nez avant de se tourner vers lui pour le regarder.
« Tu comptes venir ? » S'étonna-t-il.
« Quoi, j'ai pas le droit, c'est ça ? » S'énerva Shinsuke.
Saizo fit un petit sourire, avant de s'accouder sur son bureau, toujours sans le lâcher du regard.
« Tu sais bien que d'habitude, tu ne viens pas à moins d'y être forcé par la direction... »
« On a plus de direction depuis au moins un mois, » rétorqua sèchement Shinsuke. « Et ils sont jamais là suffisamment longtemps pour nous connaître, de toute façon. »
Ils entendirent alors des bruits de pas s'arrêter derrière eux, et virent avec surprise Ito Ren se pencher entre eux, comme si de rien n'était.
« À ce propos, j'ai entendu dire que nous allions bientôt avoir un nouveau directeur de Département, » dit l'homme sérieux.
« Oh ? La RH a encore livré des infos croustillantes, à ce que je vois... » Dit Saizo, encore plus amusé.
Shinsuke se contenta de souffler, avant de se pencher vers son bureau pour reprendre son travail.
« Ne fais pas attention à lui, il est en train de revoir ses choix de vie, » déclara Saizo, en désignant d'un signe de tête son supérieur et ami. « Mais dis-moi, Ito-san, tu as d'autres infos sympa à partager ? Comme par exemple, à propos de Shinohara-san ?»
Le nom fit réagir Shinsuke, qui se figea momentanément devant son ordinateur, avant de recommencer à taper de plus belle sur les touches de son clavier.
Ce qui amusa visiblement Saizo, bien qu'il se retint de faire tout commentaire.
« Shinohara-san est plutôt enjouée, » commença à révéler Ren. « Mais même si je pensais au départ qu'elle était venue dans l'entreprise sur un simple coup de tête, il semble qu'elle soit quelqu'un de sérieux et d'appliqué dans son travail. »
Avec ces derniers mots, Ren avait lancé un discret regard au Chef Kobayashi.
« Je vois… Donc ce n'est pas un élément problématique ? » Demanda Saizo.
Avant même d'obtenir une réponse, l'homme à lunettes se pencha vers Shinsuke, avant d'annoncer avec un sourire apathique :
« Je comprends mieux pourquoi tu sembles soudainement troublé... »
Le Chef Kobayashi ne répondit rien, même s'il était clair qu'il avait entendu la remarque de Saizo.
Toutefois, ce dernier fut interpellé par Ren.
« En revanche, j'ai entendu dire que Kubo-san était sur la sellette. » Dit-il d'un air détaché.
« Oh ? La RH en a enfin marre de lui ? » Demanda Saizo, intrigué.
« Aucune idée, » répondit Ren en secouant la tête. « Mais apparemment, ils ont tout un dossier sur lui, et ce n'est pas beau à voir. »
« Hé bien ! Ça pour une surprise ! » S'exclama à voix basse Saizo.
Ren s'excusa et reprit son trajet de la salle de pause à son bureau, laissant les deux supérieurs derrière lui.
« T'as entendu ? Apparemment, c'en est fini de Kubo-san... » Dit Saizo tout en se tournant sur son siège.
« ça lui pendait au nez, » dit enfin Shinsuke.
« N'empêche… Je me demande si ça a un rapport avec cette histoire... » S'interrogea Saizo, d'un air pensif.
Sans en dire plus, il reprit son travail, ce qui agaça fortement Shinsuke.
Il ne pouvait pas juste dire ça, et laisser en suspens ce qu'il allait révéler !
Shinsuke arrêta alors de taper sur son clavier, et se tourna à son tour vers Saizo.
« Quelle histoire ? » Demanda-t-il en fronçant les sourcils.
Saizo l'imita alors, délaissant son clavier pour se tourner vers lui ; créant ainsi une petite zone de bavardage entre les deux hommes.
« C'est vrai que généralement, tu ne fais pas attention à ce qu'Ito-san peut bien raconter, quand il passe par ici... » Dit pensivement Saizo en se grattant le menton avec insouciance.
« Et ? » S'impatienta Shinsuke.
« Il y a des rumeurs qui courent, selon lesquelles plusieurs internes ont démissionné avant la fin de leur année d'apprentissage à cause de lui. »