Le vent froid balayait les vastes plaines tandis qu'un vieil homme aux tempes grisonnantes avançait d'un pas mesuré. Son regard aiguisé scrutait l'horizon, observant chaque détail du paysage avec une concentration absolue. Cet ancien du clan Feng n'avait qu'une mission : veiller sur Feng Lin discrètement. Pourtant, en approchant des portes de la ville, il avait rapidement compris que quelque chose n'allait pas.
Dès son arrivée sur la route principale, il avait croisé un groupe de bandits en train de se disputer les restes d'une charrette renversée. Plutôt que d'intervenir, il les avait contournés, préférant éviter un affrontement inutile. Pourtant, ce contretemps l'avait retardé bien plus qu'il ne l'aurait voulu. Lorsqu'il était enfin parvenu à une distance raisonnable de la ville, il s'était heurté à un problème inattendu : il ne pouvait plus entrer.
Les portes de la ville n'étaient pas fermées, mais il sentait qu'un chaos intérieur y régnait. Des cris, des murmures et une tension palpable s'en dégageaient. Ne connaissant pas la cause de ce tumulte et craignant d'attirer l'attention, il s'était posté en retrait, attendant une opportunité. C'est alors qu'il les vit.
Feng Lin, accompagné de Liang et d'un autre jeune homme qu'il ne connaissait pas personnellement, sortaient discrètement de la ville. Son regard s'arrêta immédiatement sur Liang, dont la manche pendait mollement, imbibée de sang séché. Son bras manquant ne laissait aucun doute sur la gravité des événements qui s'étaient déroulés. L'ancien sentit un pincement au cœur. Il avait été celui qui avait pris Liang sous son aile, lui enseignant les rudiments du combat et lui inculquant les valeurs du clan Feng. Voir son disciple réduit à cet état lui était insupportable.
Ses yeux se posèrent ensuite sur Feng Lin, qui marchait devant, la tête légèrement baissée. Il ne paraissait pas blessé, mais quelque chose en lui semblait différent. L'ancien sentit une pointe de suspicion grandir en lui. Liang avait perdu un bras… et Feng Lin était indemne ?
Son regard se tourna vers le troisième individu : Zhou Han. Il ne connaissait pas les détails, mais son instinct lui soufflait que cet étranger était lié à tout cela. Était-il responsable de la blessure de Liang ? Ou bien Feng Lin avait-il joué un rôle dans cette tragédie ?
Ses poings se serrèrent involontairement. Un soupçon d'intention meurtrière traversa son esprit avant qu'il ne se ressaisisse. Il était ici pour observer, pas pour agir imprudemment.
L'ancien observa Liang, son regard s'assombrissant de plus en plus en voyant le bras manquant du jeune homme. Un frisson lui parcourut l'échine. Il murmura pour lui-même :
– Liang...
Son esprit fut soudain submergé par un flot de souvenirs.
Il se revoyait, des années auparavant, debout sous la pluie battante, tenant un enfant frêle dans ses bras. Liang, encore gamin à l'époque, le fixait de ses grands yeux remplis d'une lueur de détermination. Son corps était couvert de boue, ses vêtements en lambeaux, mais il n'avait pas pleuré. Pas une seule larme.
– Pourquoi veux-tu devenir plus fort ? lui avait-il demandé ce jour-là.
L'enfant avait serré les poings, sa petite voix tremblante, mais résolue :
– Parce que si je suis fort, personne ne pourra m'abandonner.
Cette réponse l'avait marqué à jamais. Il avait vu en lui un potentiel brut, une volonté indomptable. Liang n'était peut-être qu'un simple serviteur, mais il s'était entraîné avec plus d'ardeur que la plupart des jeunes serviteurs du clan Feng. L'ancien l'avait pris sous son aile, lui enseignant les bases de la cultivation, l'art du combat et surtout, la loyauté.
Il se souvenait des longues nuits où Liang s'endormait d'épuisement après un entraînement éprouvant, de ses mains ensanglantées par l'effort, de sa rage à vouloir prouver qu'il méritait sa place. Il lui avait souvent répété :
– Tu n'as pas besoin de prouver ta valeur aux autres, tant que tu la connais toi-même.
Et maintenant, cet enfant qu'il avait élevé, ce gamin obstiné qu'il avait façonné, était là, brisé, mutilé... Pour quelle raison ? Pour qui ?
Un frisson parcourut le vieil homme alors qu'il observait le jeune serviteur mutilé. Ses doigts tremblants se refermèrent inconsciemment sur son bâton. Liang… son cœur se serra douloureusement.
C'est lui qui l'avait pris sous son aile, qui lui avait appris à lire, à se battre, à comprendre le monde. Il l'avait vu grandir, lutter pour prouver sa valeur, endurer sans jamais se plaindre.
Un sanglot silencieux lui échappa. Il porta une main tremblante à son visage, sentant la chaleur des larmes rouler sur ses joues ridées. Lui, un ancien du clan, un homme qui avait vécu tant de batailles, se retrouvait là, impuissant, incapable d'effacer cette douleur. Liang avait perdu un bras… Non, il avait perdu bien plus. Il avait perdu un avenir.
L'ancien ferma les yeux un instant, la poitrine serrée. Ce garçon avait été comme un fils pour lui. Voir son corps affaibli, son regard éteint… c'était une torture insoutenable. Un murmure s'échappa de ses lèvres, porté par le vent :
— Je suis désolé, Liang…
Son regard se posa sur Feng Lin. Un flot de colère froide s'empara de lui. Il ne savait pas ce qui s'était passé en ville, mais Liang n'aurait jamais perdu un bras sans une raison valable. Et la seule inconnue dans l'équation, c'était ce garçon.
Son regard se durcit, mais il ne fit rien. Pas encore. Il observerait. Il attendrait. Et si Feng Lin était responsable... il le paierait au centuple.