L'ancien du clan Feng s'arrêta devant le cadavre de Zhou Han, son regard plongé dans le vide. Sous la lumière froide de la lune, le corps sans vie du jeune homme gisait sur le sol poussiéreux, son sang formant une mare sombre qui s'étendait lentement, imbibant la terre asséchée. Pourtant, ce n'était pas le meurtre en lui-même qui le troublait. Il en avait vu d'autres. C'était celui qui l'avait commis qui l'obsédait.
Feng Lin.
Il avait observé toute la scène, caché dans l'ombre d'un arbre mort, son souffle retenu. Ce garçon, censé être faible et incapable, avait tué avec une froideur terrifiante. Pas un éclat de rage, pas un frisson d'hésitation. Juste une efficacité brutale et méthodique, comme si la vie humaine n'avait aucune valeur à ses yeux. Il n'avait pas tué par colère, ni par vengeance. Il avait tué parce que c'était nécessaire.
L'ancien serra les poings. Ce n'était pas normal. Il avait vu des guerriers aguerris exécuter des ennemis sans état d'âme, mais jamais un jeune homme comme Feng Lin n'aurait dû posséder une telle indifférence face à la mort.
Après un dernier regard au cadavre, il fit demi-tour et entreprit le chemin du retour vers ce qu'il restait du clan Feng. Autrefois un bastion de puissance et d'influence, leur territoire n'était plus qu'un cimetière silencieux. La plupart des membres étaient partis, morts ou dispersés. Ceux qui restaient n'étaient que des vieillards et des serviteurs trop faibles pour fuir. Seules quelques torches vacillantes éclairaient encore les ruines de ce qui fut un grand clan.
Lorsqu'il franchit les portes délabrées, aucun garde ne vint l'accueillir. Il ne restait plus personne pour surveiller l'entrée. Seul le silence régnait, pesant et omniprésent, alors qu'il se dirigeait vers l'ancienne salle du conseil, désormais vide et couverte de poussière. Les colonnes de bois, jadis imposantes, étaient fissurées, rongées par le temps et l'abandon. Des éclats de lanternes brisées gisaient au sol, vestiges d'une époque révolue.
Il s'arrêta devant un siège en bois massif, autrefois celui des dieux. Il n'y avait plus de clan. Plus d'aînés pour guider le clan.
Il poussa un soupir.
— Tu sembles troublé, murmura-t-il en scrutant son ancien conseiller.
— Patriarche… il faut que nous parlions de Feng Lin, répondit l'ancien d'un ton grave.
Un silence s'installa. Le patriarche lui fit signe de s'asseoir, puis attendit.
— Je l'ai observé de près, continua le vieil homme. Ce n'est plus le même garçon. Son comportement, son regard, son absence totale d'émotions face à la mort… C'est comme si un être totalement différent habitait son corps.
Le patriarche plissa légèrement les yeux, mais ne dit rien, laissant l'ancien poursuivre.
— Lorsqu'il a tué un homme, ce n'était pas de la colère ni de la vengeance. C'était froid, méthodique… Comme s'il n'éprouvait absolument rien. Pire encore, il considère la morale comme une faiblesse, et la puissance comme la seule vérité absolue.
Le patriarche resta pensif un moment, puis il murmura :
— Tu penses qu'il a changé au point de ne plus être Feng Lin ?
Le vieil homme hésita avant d'acquiescer lentement.
— Je n'ai jamais entendu parler d'un coma qui transforme un homme à ce point. Même les blessures les plus graves ne peuvent altérer une personnalité de manière aussi radicale. Mais il existe quelque chose dont peu parlent… quelque chose qui, bien que rare, n'est pas inconnu dans le monde de la cultivation.
Le patriarche inspira profondément. Il comprenait où son conseiller voulait en venir.
— La réincarnation, souffla-t-il.
L'ancien hocha la tête.
— Si c'est vrai… Si Feng Lin n'est plus Feng Lin mais un autre, alors nous ignorons tout de ses véritables intentions.
Le patriarche ferma les yeux, son esprit tourbillonnant sous l'ampleur de cette révélation. Si Feng Lin avait réellement été remplacé par un être d'un autre temps ou d'un autre monde… alors le clan Feng marchait sur un fil ténu entre la prospérité et l'anéantissement.
Après un long silence, il déclara d'une voix sombre :
— Pour l'instant, nous n'agirons pas. Observons-le. Si ce qu'il est devenu peut renforcer notre clan, alors il sera un atout. Mais s'il menace notre existence… nous devrons envisager l'impensable.
L'ancien hocha la tête avec gravité.
Dans l'ombre de la nuit, un destin incertain se dessinait pour le clan Feng…
Alors qu'ils marchaient sur le sentier sinueux menant au clan Feng, Liang jeta un regard hésitant à son jeune maître avant de briser le silence.
— Je croyais qu'il y avait quelqu'un d'autre avec nous… Où est-il passé ?
Feng Lin ne ralentit pas son pas et répondit d'un ton détaché :
— Il est parti vers une ville lointaine.
Liang sembla surpris, mais hocha lentement la tête.
— Il est parti… comme ça ? Sans dire un mot ?
— Certains préfèrent voyager seuls, répondit Feng Lin avec indifférence.
Liang garda le silence un instant, puis détourna le regard. Quelque chose dans la voix de Feng Lin le mettait mal à l'aise, mais il n'osa pas insister davantage.
Alors qu'ils approchaient du clan Feng, le paysage autour d'eux devint plus familier. Les montagnes rocheuses qui entouraient leur territoire se dressaient dans la brume du soir, projetant de longues ombres sur le sentier sinueux.
Au loin, le domaine du clan Feng apparut enfin. Même à distance, son état délabré était évident. Les murs d'enceinte, autrefois solides et imposants, étaient fissurés par le temps et marqués par d'anciennes batailles. Certaines parties s'étaient même effondrées, laissant des brèches béantes dans ce qui devait être une barrière protectrice.
À l'intérieur, les toits des bâtiments étaient inégaux, plusieurs tuiles manquantes révélant les structures de bois affaiblies par les années. De rares lumières vacillantes brillaient derrière quelques fenêtres, signe que le clan, bien que sur le déclin, n'était pas encore éteint.
Feng Lin observa cette scène sans la moindre émotion apparente. C'était le clan Feng, son clan. Jadis puissant, désormais réduit à une simple existence fragile. Mais dans son esprit, ce n'était pas une fatalité. C'était une base… une fondation à reconstruire selon sa propre volonté.