Feng Lin et Liang franchirent enfin les portes du clan Feng. Le chemin du retour avait été silencieux, ponctué uniquement par le bruit du vent qui soufflait entre les ruines du domaine ancestral. La lune, haute dans le ciel, projetait une lumière froide sur les vestiges de ce qui fut autrefois un bastion de puissance.
Liang avançait d'un pas légèrement hésitant. Son corps fatigué trahissait la douleur qu'il s'efforçait d'ignorer. Son bras droit… ou plutôt, l'absence de ce dernier, était une blessure qui ne pouvait être cachée. Même s'il avait essayé d'envelopper le moignon sous des bandages épais, rien ne pouvait masquer la réalité. Il avait perdu un bras.
Alors qu'ils entraient dans la cour principale du clan, quelques serviteurs levèrent les yeux vers eux. La plupart étaient de simples domestiques qui, bien qu'ayant survécu au déclin du clan, n'étaient plus que des ombres de ce qu'ils étaient autrefois. Les conversations s'éteignirent progressivement tandis que leurs regards se posaient sur Liang.
Un silence pesant s'installa.
— Qu'est-ce que… ?
Une vieille servante, courbée par l'âge et le labeur, porta une main tremblante à sa bouche en voyant le bras manquant de Liang. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur, et bientôt, d'autres murmures parcoururent la foule.
— Liang… son bras…
— Comment est-ce possible ?
— Il était encore entier il y a quelques jours…
Les serviteurs se rapprochèrent lentement, l'incompréhension et la peur se lisant sur leurs visages. Mais ce ne fut qu'un instant avant que l'évidence ne les frappe.
— Feng Lin… murmura l'un d'eux, la voix empreinte de méfiance.
— C'est étrange, non ? Liang perd un bras juste après le réveil du jeune maître…
— Il n'y a jamais eu d'accident grave au clan depuis des années, et maintenant ça…
Le regard des domestiques se fit lourd, chargé de suspicion. Pour eux, la coïncidence était trop grande. Feng Lin était tombé dans le coma il y a quinze ans. Pendant ce temps, le clan avait toujours souffert, mais jamais un événement aussi dramatique ne s'était produit. Et voilà qu'il revenait, et Liang, qui lui était resté fidèle, en payait le prix.
Liang, lui, gardait le silence. Il sentait le poids des regards, la tension qui s'installait, mais il ne fit rien pour se justifier. Parce qu'au fond, ils n'avaient pas tort. Sa blessure… il la devait à Feng Lin.
Mais Feng Lin ne réagit pas non plus. Son expression resta impassible, indéchiffrable. Il balaya la cour d'un regard froid, et sous son regard, les serviteurs frémirent. L'atmosphère devint glaciale.
— Assez, trancha-t-il d'un ton calme, mais tranchant comme une lame.
Son regard glissa sur la foule. Il n'avait pas besoin de hausser la voix pour imposer le silence. L'autorité émanait naturellement de lui, même sans élever le ton.
— Si vous avez le temps de murmurer, alors vous avez le temps de travailler.
Certains baissèrent la tête, reculant instinctivement. Personne n'osa répondre, mais le malaise persistait. Feng Lin n'ajouta rien de plus et se détourna, avançant vers son ancienne résidence.
Liang lui emboîta le pas, mais son cœur était lourd. Il savait que le clan le regardait désormais comme une victime, et Feng Lin comme un monstre. Et pourtant… il continuait à marcher à ses côtés.
Liang sentit son estomac se nouer. La sueur perlait sur son front tandis qu'il accélérait le pas, suivant Feng Lin de près, presque comme une ombre.
— Je… Je vais retourner dans ma cour, balbutia-t-il d'une voix faible.
Mais Feng Lin ne répondit pas. Il continua à avancer d'un pas mesuré, ignorant les murmures comme s'ils n'existaient pas. Liang, malgré la peur qui lui serrait la gorge, n'osa pas partir sans permission.
— M-Maître Feng Lin… balbutia-t-il à voix basse.
Ce fut à cet instant que Feng Lin s'arrêta. Liang sursauta violemment et baissa immédiatement la tête, comme un serviteur craignant une punition.
— Pourquoi es-tu aussi nerveux ? demanda Feng Lin d'une voix froide.
— J-Je… balbutia Liang. C'est que… tout le monde nous regarde, et…
Feng Lin posa son regard perçant sur lui.
— Ils peuvent penser ce qu'ils veulent. Ça ne changera rien à la réalité.
Liang frissonna. Même si Feng Lin ne l'avait pas frappé, même si son ton n'était pas menaçant, il ressentait une pression écrasante en sa présence.
— C-Certes, Maître Feng Lin, répondit-il immédiatement, la tête toujours baissée.
— Bien. Alors suis-moi, ordonna Feng Lin.
Liang n'osa pas refuser. Même s'il tremblait intérieurement, il lui emboîta le pas, incapable de faire autrement.
Feng Lin observa Liang en silence. Il pouvait voir l'inquiétude dans ses yeux, la peur dissimulée derrière son respect forcé. Il savait ce que le clan pensait, ce que Liang lui-même devait ressentir.
Sans un mot, il se dirigea vers un vieux fauteuil près du lit et s'y installa. Il tapota doucement l'accoudoir, faisant tomber un peu de poussière.
— Cette chambre est en mauvais état, murmura-t-il, comme pour lui-même. Quinze ans… ça fait longtemps.
Liang baissa les yeux, mal à l'aise.
— Maître Feng Lin… Je…
Il n'osa pas finir sa phrase.
Feng Lin posa calmement son regard sur lui.
— Dis-moi, Liang. Est-ce que tu me tiens responsable ?
Liang sursauta légèrement. Il ouvrit la bouche, puis la referma. Il avait tant de questions, tant de doutes. Mais face à Feng Lin, il n'osait pas mentir.
— Je… Je ne sais pas… avoua-t-il finalement.
Feng Lin hocha lentement la tête.
— C'est honnête.
Il se pencha légèrement en avant, joignant les mains.
— Mais laisse-moi te dire une chose : je n'ai jamais voulu ça.
Liang releva légèrement les yeux, surpris.
— Tu penses que je suis la cause de ton malheur. Et peut-être que c'est vrai, peut-être que c'est faux. Mais au lieu de chercher un coupable, tu devrais te demander : que vas-tu faire maintenant ?
Liang serra les poings. Depuis qu'il avait perdu son bras, il se sentait inutile. Rejeté. Il n'était plus un serviteur, il n'était plus rien.
Feng Lin se leva et s'approcha lentement de lui.
— Tu as perdu quelque chose d'important. Mais es-tu prêt à rester faible pour le restant de tes jours ?
Liang leva la tête, ses yeux tremblants.
— Je…
Feng Lin posa une main sur son épaule.
— Si tu veux une raison de continuer, trouve-la toi-même. Si tu veux récupérer ce qui t'a été enlevé, alors bats-toi. Personne ne le fera à ta place.
Liang sentit un frisson le traverser. Ce n'étaient pas des paroles compatissantes, ce n'était pas une promesse vide. C'était une vérité dure, implacable.
Il baissa les yeux, profondément troublé.
Feng Lin recula et s'appuya contre le mur, les bras croisés.
— Réfléchis à ce que tu veux vraiment, Liang. Ensuite, viens me voir.
Le silence s'installa. Liang, les poings serrés, acquiesça lentement.
— Oui… Maître Feng Lin.
Il se leva et quitta