Mounir n'avait jamais aimé l'idée d'être coincé. Dans son petit appartement en périphérie de la ville, les murs se refermaient sur lui chaque jour un peu plus. Le soleil, filtrant à travers les fenêtres mal protégées, chauffait la pièce de manière oppressante, rendant l'air lourd et moite. Une chaleur étouffante qui semblait s'immiscer jusque dans son âme, lui donnant la sensation de se noyer dans un quotidien sans fin. Les notifications de son téléphone, pleines de refus, d'ignorance ou de silence, s'étaient accumulées avec le temps, un mur invisible qu'il ne parvenait plus à franchir.
Il fixa l'écran fissuré de son téléphone, parcourant encore et encore les offres d'emploi qui se succédaient, toutes pareilles. De l'expérience. Toujours de l'expérience. Où était-elle censée venir, cette fameuse expérience, quand le monde ne lui en offrait aucune opportunité réelle ? Le dernier refus en date, une énième promesse de "revenir vers lui", était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.
— *Tu ne vas jamais y arriver comme ça*, murmura-t-il, sa voix se perdant dans le vide de la pièce.
Dans un geste presque mécanique, il se laissa tomber en arrière sur le lit étroit, les bras écartés, cherchant à s'échapper de la prison qu'il s'était imposée. Le plafond fissuré semblait tout aussi morne et abandonné que son propre esprit. Il y avait des jours où il se demandait si la vie, à part la recherche infinie d'un travail, avait encore un sens.
Sa mère entra alors, sans un bruit, comme une ombre silencieuse qui apportait avec elle un peu de chaleur. Son visage, marqué par l'âge et la fatigue, portait pourtant toujours la même douceur. Elle s'assit à côté de lui et posa une main sur son épaule, une main pleine de réconfort et de douleur, cette douleur silencieuse que l'on garde pour soi quand on voit ses enfants souffrir sans pouvoir les sauver.
— Mounir, viens manger, dit-elle d'une voix douce. Tu n'as pas mangé aujourd'hui, il faut que tu prennes des forces.
Il la regarda, les yeux légèrement voilés. Il savait qu'elle disait cela parce qu'elle avait l'impression que, si elle ne lui rappelait pas les bases de la vie, il pourrait disparaître dans cette impasse. Mais que valait-il encore d'aller manger un plat froid, sans saveur, sans appétit pour rien ?
— Je mangerai plus tard, répondit-il d'une voix qui se voulait apaisée, mais qui trahissait sa fatigue intérieure.
Elle lui offrit un regard silencieux, un regard qui en disait long, puis se leva. Avant de quitter la pièce, elle se tourna une dernière fois vers lui, comme si elle espérait qu'il la suivrait, qu'il briserait enfin le silence qui l'enveloppait depuis des jours. Mais il ne bougea pas. Il se sentait déjà trop vieux pour se débattre avec des rêves qui ne venaient pas.
— Ne laisse pas tout ça t'écraser, lui dit-elle, avant de disparaître dans le couloir.
Le bruit de la porte qui se fermait résonna dans sa tête comme un écho lointain. La réalité était simple, et son avenir aussi. Mais dans cet instant, Mounir n'était qu'une silhouette dans un monde qui ne semblait même plus le voir.
Il se leva, les jambes un peu lourdes, et alla se poster à la fenêtre, observant les rues en contrebas. Là, la vie battait toujours son plein. Les vendeurs ambulants criaient leurs marchandises, des enfants jouaient au ballon entre les bouches d'égout, et des taxis klaxonnaient à travers le bruit incessant des voitures. La ville était vivante, mais lui se sentait comme un spectateur, hors de son temps. Il n'avait jamais eu l'impression d'appartenir à cet endroit. Il rêvait de quitter cet espace, d'échapper à ce piège sans issue. Mais comment ?
Ses yeux se posèrent sur une silhouette au bout de la rue. Un homme marchait, grand, droit, portant un costume sombre qui le distinguait de tout le reste. Il se déplaçait avec une telle assurance qu'il semblait appartenir à un monde qui ne se contentait pas des misères humaines.
Cet homme, Mounir le remarqua à peine au début, mais quelque chose dans sa démarche, quelque chose dans son regard, le fit se tourner vers lui. Il avait l'air… *différent*. Comme si il n'était pas censé être ici, comme si tout autour de lui était une scène qu'il observait sans y être vraiment lié.
Puis l'homme s'arrêta sous un réverbère, jetant un regard furtif en direction de Mounir. Un sourire s'étira sur son visage, un sourire plein de quelque chose que Mounir ne pouvait pas définir. Quelque chose d'inquiétant, mais aussi d'attirant.
— Vous êtes Mounir, non ? dit-il d'une voix calme, presque chaleureuse, alors qu'il levait les yeux.
Mounir sursauta. Comment cet inconnu pouvait-il savoir son nom ? Ils ne s'étaient jamais parlé. Pas directement. Mais l'homme le connaissait.
— Oui, c'est moi, répondit-il, la voix méfiante. Comment vous… ?
— J'observe les gens, dit l'homme avec un sourire qui semblait cacher des secrets. Je vois que vous êtes un homme de talent, mais que vous n'avez pas encore trouvé votre place dans ce monde.
Un frisson parcourut l'échine de Mounir. Il n'arrivait pas à définir ce qui était si étrange dans cette rencontre, mais il avait l'intuition que cet homme, Ali, n'était pas là par hasard.
— Je cherche juste un travail, répondit Mounir, plus pour se rassurer lui-même que pour répondre réellement à Ali.
Ali s'approcha légèrement, comme si la distance entre eux n'était qu'une illusion.
— Et si je te disais que je peux t'offrir bien plus qu'un simple emploi ? Une chance de changer ta vie pour toujours ? Une chance de réaliser des choses que tu n'as même pas imaginées ?
Les mots résonnèrent en Mounir. Chaque syllabe frappait son esprit comme une cloche lointaine, mais il hésita. *Une chance… mais à quel prix ?* Il avait entendu des rumeurs sur des propositions comme celle-ci. Des gens attirés par des promesses alléchantes, mais piégés dans des réseaux dont il ne pouvait plus sortir. Mais il était fatigué, et ses rêves étaient devenus de plus en plus flous, presque irréels. Peut-être qu'il n'avait plus rien à perdre.
— Je… je n'ai rien à perdre, murmura Mounir, presque pour lui-même.
Ali sourit encore, mais cette fois, quelque chose dans ses yeux sembla se durcir, comme une promesse sinistre.
— C'est exactement ce que je voulais entendre. Viens avec moi, et je te montrerai un monde qui t'attend. Un monde où tout ce que tu désires peut devenir réalité.
Mounir se sentit pris dans un tourbillon. C'était comme s'il se tenait à l'orée d'une nouvelle réalité, prête à l'avaler tout entier. Il regarda en arrière, vers la maison de ses parents, vers cette vie qu'il avait toujours connue, mais quelque chose en lui le poussait à avancer, à se libérer de l'étreinte de la routine. Sans vraiment comprendre pourquoi, il prit une profonde inspiration, se leva et suivit Ali.
Peut-être qu'au fond de lui, il savait que cet instant marquait un tournant dans sa vie. Un tournant dont il ne reviendrait pas.