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Chapter 7 - Chapitre 6 : L’Ombre du Choix

Les jours qui suivirent la confrontation avec Ali furent chargés de tensions invisibles. Mounir s'était enfermé dans sa chambre, mais même dans la solitude, il n'échappait pas à l'impression grandissante que ses pensées étaient de moins en moins siennes. Il se sentait comme un étranger dans son propre esprit, comme si une voix étrangère, imperceptible mais omniprésente, prenait de plus en plus de place. Chaque décision qu'il prenait semblait dictée par une force qu'il ne contrôlait pas.

Au dehors, la ville continuait sa vie avec son tumulte quotidien, son bruit constant et sa foule de gens pressés. Mais pour Mounir, tout cela semblait de plus en plus lointain. Le monde extérieur, avec ses lois et ses repères, devenait étranger à ses yeux. Chaque rue qu'il empruntait semblait plus vide, chaque visage plus flou, comme si la réalité elle-même se distordait autour de lui.

Il se leva ce matin-là, non pas par besoin de sommeil ou de repos, mais simplement pour échapper à la torpeur qui envahissait son esprit. La chaleur de l'air ambiant semblait plus oppressante que jamais. Il se dirigea vers la cuisine, et c'est là qu'il rencontra Sonia. Elle était en train de préparer le petit-déjeuner, comme si de rien n'était, absorbée dans la préparation des plats.

Sonia. Chaque fois qu'il posait les yeux sur elle, une vague d'émotions contradictoires l'envahissait. Il savait que son cœur, malgré tout ce qu'il était en train de devenir, battait encore pour elle. Mais il y avait une distance entre eux, une distance imposée par les événements, par la spirale dans laquelle il était plongé, qui semblait insurmontable.

— Tu as bien dormi ? lui demanda-t-elle sans lever les yeux, une pointe de douceur dans sa voix.

Mounir répondit mécaniquement :

— Oui, je suppose.

Il s'installa à la table, observant en silence Sonia, qui continua à préparer le petit-déjeuner. Mais son esprit était ailleurs, perdu dans la tourmente de ses pensées. Il ne pouvait pas se défaire de la conversation qu'il avait eue avec Ali. Ses paroles résonnaient encore dans sa tête : *"Si tu refuses, Mounir, tu te condamnes à toi-même."* C'était une menace, mais aussi une promesse. Et Mounir savait que refuser n'était pas une option. À l'intérieur, il sentait qu'il n'était plus capable de reculer.

Le bruit des ustensiles sur la table, les odeurs de nourriture qui embaumaient la pièce, tout cela lui semblait irréel. Comment pouvait-il encore mener une vie normale, ici, entre ces murs, alors qu'il portait en lui ce fardeau grandissant, ce pouvoir qui le dévorait lentement ? Chaque morceau de pain qu'il portait à ses lèvres semblait avoir perdu sa saveur. Il ne pouvait plus goûter à rien, pas même aux petites choses de la vie.

Sonia, toujours sans se retourner, brisa le silence :

— Il faut que tu sois prudent, Mounir. Je sais que tu as changé ces derniers jours. Il y a quelque chose de différent en toi.

Il ne répondit pas tout de suite. Il se sentait pris au piège entre deux mondes, entre deux identités qui se bousculaient. Il voulait lui dire la vérité, lui expliquer ce qu'il était en train de devenir, mais il n'avait ni les mots ni le courage. Elle le regarderait alors avec des yeux pleins de peur et de rejet, c'était certain. Et lui, il ne savait pas s'il pourrait la supporter de la même manière.

— Je… je vais bien, répondit-il d'une voix qui lui semblait étrangère. Ne t'inquiète pas.

Sonia se retourna enfin et le fixa, un regard perçant, inquiet.

— Mounir, je te connais. Tu n'es pas toi-même. Et je suis certaine que ça ne te concerne pas uniquement toi. Si tu veux m'aider, il va falloir m'expliquer ce qui se passe.

Ses mots, empreints d'une sincérité désarmante, frappèrent Mounir comme un éclair. C'était comme si elle avait percé le voile de son indifférence, forçant la vérité à éclater en lui. Mais que pouvait-il lui dire ? Comment expliquer à une personne qu'il aimait qu'il avait accepté un pacte avec une entité démoniaque, qu'il portait en lui un pouvoir bien au-delà de ce qu'il avait imaginé, et que tout cela ne faisait que commencer ?

Il baissa les yeux, incapable de soutenir son regard. Il n'avait pas de réponse à lui donner. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était fuir cette vérité, la cacher un peu plus loin, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.

— Je te promets que je vais m'en sortir, dit-il d'une voix rauque. Il faut juste que je trouve un moyen.

Sonia le regarda, la tristesse se lisant dans ses yeux, mais elle ne dit rien. Elle détourna le regard et reprit son travail, mais quelque chose dans son attitude avait changé. Mounir se sentit plus seul que jamais.

Il se leva finalement de la table, sentant qu'il ne pouvait pas rester là plus longtemps. Il devait sortir, prendre l'air, se vider l'esprit. À la porte, il s'arrêta une seconde, jetant un dernier regard à Sonia. Mais elle ne le regardait même plus. Elle était absorbée dans sa cuisine, son dos tourné, et une grande distance semblait s'être installée entre eux.

En sortant dans la rue, Mounir sentit l'air chaud de la journée qui venait à peine de commencer lui envahir les poumons. Mais tout était plus lourd qu'avant. Chaque mouvement de foule, chaque voiture qui passait, chaque bruit semblait le rappeler à son nouveau rôle, à cette réalité qu'il ne pouvait plus fuir. Il erra dans les rues pendant un moment, sans but précis, jusqu'à ce qu'il se retrouve au bord d'un vieux marché. Les étals étaient remplis de produits frais, les étals de tissus, de bijoux, mais tout cela semblait irréel à Mounir. Il ne voyait plus les couleurs des fruits, ni la brillance des tissus. Il ne voyait que l'ombre de ce qu'il était devenu.

Alors qu'il marchait, perdu dans ses pensées, il entendit un bruit. Un léger chuchotement dans l'air. Il s'arrêta brusquement, les sens en alerte. Ce n'était pas un son provenant des rues animées. Non, c'était quelque chose de plus subtil, comme une voix qui se glissait dans son esprit.

*Viens à moi, Mounir…*

Le murmure était doux, comme une caresse, mais il était menaçant. Mounir tourna lentement sur lui-même, cherchant l'origine de la voix, mais il n'y avait personne. Pourtant, l'appel était clair. Il comprit alors que la voix ne venait pas de l'extérieur, mais de l'intérieur de son propre esprit.

*Tu n'es pas libre, Mounir. Tu ne le seras jamais…*

Il sentit une vague de terreur l'envahir. Il se rendit compte que ce qu'il vivait n'était pas simplement une malédiction extérieure, mais quelque chose de profondément enraciné en lui, une bataille qui faisait rage au plus profond de son âme.

Il s'éloigna du marché, les pensées tourbillonnant dans son esprit. L'appel était persistant, insistant. Il savait que son destin était lié à ce que cela signifiait. Mais cette conscience ne le libérait pas. Elle l'engloutissait.

Alors qu'il marchait sans but, il se rendit compte qu'il ne pouvait plus revenir en arrière. La décision qu'il avait prise l'avait condamné à un avenir qu'il n'aurait jamais imaginé, un avenir où les voix du passé et les ombres de ses choix se rejoindraient inévitablement.

Il s'arrêta, regardant les rues qui se vidaient lentement. Il était seul. Seul avec sa décision. Seul avec ce pouvoir qu'il portait désormais. Et dans la chaleur de l'air étouffant, il se sentit plus perdu que jamais.