Mounir se tenait dans la pièce silencieuse, ses sens saturés par une réalité qui semblait se tordre et se distordre autour de lui. La chaleur l'envahissait, mais c'était une chaleur différente de celle qu'il avait ressentie pendant le rituel. Ce n'était plus la brûlure physique du sacrifice, mais quelque chose de plus subtil, de plus insidieux, comme si la chaleur émanait de son propre corps, ou peut-être de son âme.
Ali était resté silencieux, observant Mounir avec une attention froide et calculatrice. Le regard de l'homme était toujours aussi impassible, mais il y avait quelque chose dans ses yeux, quelque chose que Mounir ne pouvait pas saisir, mais qui l'intimidait profondément.
— Comment te sens-tu ? demanda Ali, sa voix douce mais perçante, comme une lame effilée.
Mounir tourna la tête lentement vers lui. Son corps était lourd, presque engourdi, mais au fond de lui, il sentait une énergie nouvelle, une énergie sombre. Chaque mouvement semblait plus rapide, plus fluide. Il entendait les bruits autour de lui avec une clarté qu'il n'avait jamais connue. Mais au-delà de cela, il sentait aussi une angoisse, une sorte de malaise qui se tissait autour de lui. Il avait l'impression d'être une créature à part, suspendue entre deux mondes.
— Je… je ne sais pas, répondit-il avec difficulté. C'est comme si j'étais… plus que moi-même, mais en même temps… je suis perdu.
Ali haussa un sourcil, comme si cette réponse était exactement ce qu'il attendait.
— C'est normal, dit-il. Le pouvoir prend du temps à se stabiliser. Tu as franchi un seuil, mais tu n'es qu'au début de ton chemin. Ce que tu ressens est la fusion de ton essence avec celle de l'entité que tu as invoquée. Au fur et à mesure que tu t'adaptes, ce pouvoir s'intensifiera. Mais n'oublie pas, Mounir, tout pouvoir exige un prix.
Mounir se sentit piqué par les derniers mots d'Ali. Il n'était pas certain de comprendre, mais il avait une intuition désagréable qu'il allait très vite découvrir ce que signifiait réellement « un prix ». Il n'avait pas eu de véritable famille, ni de liens solides avec quiconque. Son désir de réussir, de sortir de sa misère, l'avait poussé à accepter ce qui semblait être une opportunité unique. Mais maintenant, l'angoisse commençait à prendre le pas sur l'excitation initiale.
Ali observa attentivement Mounir, comme s'il attendait quelque chose, un signe de compréhension ou de révolte. Mais Mounir se contenta de fixer le sol, essayant de maîtriser les tourments qui bouillonnaient dans sa poitrine.
— Qu'est-ce que tu attends de moi ? demanda Mounir, la voix empreinte d'une tension qu'il n'arrivait pas à dissimuler.
Ali sourit légèrement, comme un maître satisfait du progrès de son élève. Il fit un geste de la main, invitant Mounir à le suivre. Ils traversèrent la pièce, qui semblait se dilater autour d'eux, le sol glissant sous leurs pieds comme si l'espace lui-même n'était plus stable.
— Ce n'est pas qu'une question d'attendre, répondit Ali, sa voix claire et assurée. Il s'agit de comprendre. De comprendre ce que tu as fait, ce que tu es devenu. Ce n'est pas un pouvoir que tu as simplement acquis, Mounir. C'est un lien, un pacte. Et un pacte, comme tu le sais, n'est jamais sans conséquences. Ce que tu as sacrifié aujourd'hui ne sera pas la dernière chose que tu devras perdre.
Il s'arrêta devant une porte massive en bois sculpté, une porte qui semblait vieille de plusieurs siècles. Mounir n'avait jamais remarqué son existence auparavant. C'était comme si elle était apparue subitement, un ajout discret dans l'ombre de la pièce. Ali se tourna vers lui, un regard perçant sur le visage.
— Cette porte, dit-il, mène vers un endroit où tu pourras commencer à comprendre l'étendue de ce que tu as accepté. Mais sache que tout ce que tu verras là-bas ne sera pas… agréable. C'est là que tu découvriras à quel point le prix de l'ombre peut être coûteux.
Mounir ressentit une boule d'appréhension dans son ventre. Il ne savait pas si cela faisait partie du test, ou si Ali l'avait conduit vers une nouvelle étape de son initiation. Quoi qu'il en soit, il n'avait plus d'autre choix que d'avancer.
Il suivit Ali à travers la porte. Ce qu'il découvrit au-delà ne ressemblait en rien à ce qu'il avait imaginé. La pièce, immense, semblait être une sorte de cave ou de crypte. Les murs étaient recouverts de pierres sombres, et l'air y était lourd, chargé d'une odeur de terre humide et de décomposition. Des bougies allumées en nombre restreint jetaient une lueur vacillante, faisant danser les ombres des objets qu'il ne pouvait pas identifier. C'était un endroit où l'espace semblait se dilater et se resserrer, une sorte de lieu entre la réalité et l'au-delà.
Au centre de la pièce se trouvait une table d'autel en pierre, et autour de celle-ci, des objets étranges, certains d'apparence ancienne, d'autres plus modernes. Il y avait des instruments qu'il n'avait jamais vus auparavant, chacun d'eux imprégné d'une aura de mystère et de danger. Mounir sentit la pression de l'atmosphère peser sur lui, comme si cet endroit était un foyer de secrets et de malédictions anciennes.
— Ce que tu vois ici, expliqua Ali en désignant la table et les objets autour d'eux, est la véritable source de ton pouvoir. Mais ce pouvoir n'est pas sans sa propre malédiction. Ce que tu as acquis dans l'obscurité exige une forme de sacrifice continu.
Mounir s'approcha lentement de la table, son regard s'attardant sur les objets qui semblaient l'observer. Parmi eux, il distingua un petit livre relié de cuir, son apparence ancienne et usée. Il tendit la main, presque instinctivement, vers ce livre, comme si une force invisible l'attirait.
— Ne touche pas à cela ! s'écria Ali d'une voix plus forte, un avertissement dans le ton.
Mounir se figea, le cœur battant plus fort. Il recula d'un pas, mais la curiosité ne cessa de le ronger. Qu'y avait-il dans ce livre qui semblait l'attirer comme un aimant ? Ali s'avança alors, son visage impassible.
— Ce livre contient les secrets de ce pouvoir, Mounir, dit-il d'un ton grave. Mais ce n'est pas une connaissance que tu veux obtenir, du moins pas encore. Chaque mot inscrit dans ce livre est une malédiction en soi, une malédiction que tu ne peux comprendre avant d'être prêt à en payer le prix. Et toi, tu n'es pas encore prêt.
Mounir hocha la tête, mais il n'était pas sûr de tout saisir. Il se sentait comme un pion dans un jeu plus vaste qu'il n'avait jamais imaginé. Ali n'était pas simplement un homme, mais un guide, un maître d'un autre monde. Et lui, Mounir, était un apprenti dans ce monde étrange et terrifiant, avec des pouvoirs qu'il n'avait pas encore pleinement compris.
Mais une question brûlait toujours dans son esprit. Un prix. Ali parlait sans cesse du prix qu'il avait payé, mais quel était ce prix ? Et plus important encore, quel serait le sien à l'avenir ?
Il tourna la tête vers Ali, une détermination naissante dans le regard.
— Quel est le prix, Ali ? demanda-t-il. Quel est le vrai prix de ce pouvoir ?
Ali sourit légèrement, mais il y avait quelque chose de cruel dans son sourire.
— Tu découvriras ce prix toi-même, Mounir, dit-il d'une voix basse. Quand le moment viendra, tu sauras exactement ce que tu as perdu. Mais souviens-toi de ceci : ce que tu as gagné n'a pas de valeur sans ce que tu es prêt à sacrifier.
Le silence s'installa alors, lourd et oppressant. Mounir se tenait là, au centre de cette pièce obscure, réalisant qu'il n'avait pas simplement fait un choix ce jour-là. Il avait ouvert une porte qu'il ne pourrait plus jamais fermer.