La vie de Kaito s'était éteinte d'une manière aussi anonyme que le bruit d'une feuille tombant d'un arbre. Un accident, une chute, puis l'obscurité. Rien de plus. Rien de moins. Il n'avait jamais eu de grandes ambitions, juste des pensées en retrait, observant le monde sans vraiment s'y intégrer. Mais cela ne signifiait pas qu'il n'était pas conscient du monde qui l'entourait. Le vide, la solitude, il avait toujours eu une vision froide et détachée des relations humaines, de l'amitié, de l'amour, tout cela semblait futile. Pourtant, la question de la mort ne l'avait jamais effleuré, tant il était concentré à éviter les autres.
Quand il ouvrit les yeux pour la première fois dans ce monde, il se rendit compte qu'il n'était plus lui-même. Il n'était plus le lycéen Kaito, mais un bébé, dans un lit entouré de murs de bois. Une nouvelle vie. Un nouveau corps. Mais une même âme. La même perception froide et distante.
Ses parents, des gens simples mais pleins d'affection, semblaient ravis de l'accueillir. Ils l'appelaient "Lysandre", un nom étrange pour une âme qui se souvenait d'un autre. Mais il n'y avait pas de rébellion, pas de rejet. C'était comme une pièce qui s'adaptait dans un puzzle bien plus grand. Ses parents, un couple aimant, étaient heureux, et cela lui suffisait. Pas de questions. Pas de sentiments excessifs. Seulement des réponses.
Au début, il n'était qu'un enfant. Un enfant qui apprenait à ramper, à sourire, à comprendre les mots. Mais très vite, la différence se fit sentir. Là où d'autres enfants se laissaient aller à des comportements spontanés et sans retenue, Lysandre observait. Il voyait ses parents, ses camarades de jeu, leurs émotions, leurs actions, comme un spectateur dans un théâtre. Ce qu'ils ressentaient, il le savait, mais il ne ressentait rien.
À l'âge de trois ans, il commença à comprendre les subtilités du monde qui l'entourait. Il captait les failles dans les comportements humains, les micro-expressions, les mensonges et les vérités murmurées. Il n'en parlait pas, bien sûr, mais il les voyait, et ces observations lui donnaient une compréhension particulière du monde. Ses parents l'adorent, mais leur amour lui semble aussi fragile que de la porcelaine. Il perçoit la tendresse de leur voix, mais aussi la fatigue dans leurs gestes, une fragilité qui ne le touche pas. Tout est calculé. Tout est compris.
Les autres enfants le trouvaient étrange. Il ne riait pas aux blagues enfantines, ne s'émerveillait pas devant les jouets. Mais il savait comment s'adapter, comment imiter ce qu'ils attendaient de lui. Un sourire ici, un rire là. Il savait ce qu'ils attendaient. Leur incompréhension de ses réactions n'était qu'un reflet de leur propre ignorance.
À l'âge de cinq ans, Lysandre était déjà un puzzle difficile à déchiffrer. Il n'aimait pas les jeux comme les autres enfants, il préférait les jeux solitaires, les casse-têtes mentaux, les stratégies. Ses jouets étaient des objets qu'il manipulerait selon des logiques froides, et non des moyens de distraction.
À sept ans, la situation se clarifia encore davantage. Il avait appris à contrôler ses émotions au point de ne plus les laisser transparaitre. S'il ressentait quelque chose, il ne le montrait pas. Il analysait les gens autour de lui comme s'il observait un spectacle sans y prendre part. La question de ses propres sentiments, ses pensées profondes, demeurait cependant un mystère. Était-ce normal ? Pourquoi se sentait-il aussi déconnecté ? Pourquoi son cœur, malgré l'amour qu'il recevait, restait-il insensible ?
Lysandre se demandait si un jour, il aurait les réponses à ces questions. Mais il savait qu'en attendant, il continuerait à observer. À comprendre. À manipuler, peut-être, mais toujours dans l'ombre. Et un jour, tout cela, chaque geste, chaque mouvement de ce monde, finirait par le mener à un but qu'il n'arrivait pas encore à définir.
La vie avançait, sans urgence, sans but apparent. Mais Lysandre savait que le silence, un jour, ferait place à des révélations.